Dominique Meeùs

Dernière modification le   

retour à la table des matièresau dossier marxisme

324.
La formation de blocs

L’internationalisation et le renforcement de la concurrence sur les marchés les plus évolués vont de pair avec la formation de nouveaux blocs. Le projet de l’Europe 92 en est la manifestation la plus spectaculaire. Afin de mieux mener la lutte sur les marchés mondiaux, les groupes européens se réunissent pour constituer et dominer un « marché intérieur » plus vaste, pour partager le coût de la recherche, pour obtenir d’un appareil d’État européen un soutien plus efficace que celui que les États nationaux séparés ne peuvent leur accorder.

Le « marché unique » ne couvre formellement que la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Mais le processus mis en marche sur l’ordre des grands monopoles (réunis depuis 1983 dans la Table ronde des industriels européens) a des conséquences profondes dans tous les domaines.

1o Les grandes restructurations provoquées par ce projet de « l’Europe sans frontières » renforcent les regroupements internationaux et la centralisation en Europe. La monopolisation se fait à un rythme accéléré. Le marché unifié est une aubaine pour les groupes les plus grands, financièrement les plus forts, et géographiquement les plus ramifiés. Par une vague sans précédent de fusions, de rachats, de raids (comme celui de la Société Générale en 1988), les groupes européens cherchent à s’assurer la meilleure position de départ en vue du marché unifié. Cela signifie une plus grande concentration transfrontalière du pouvoir et des richesses entre les mains de quelques magnats.

2o Une offensive est menée de front contre la classe ouvrière et contre toute la population. La vague sauvage de restructurations des monopoles se joint à la pression exercée par les structures européennes dans le sens d’un nivellement vers le bas. Une spirale destructrice se développe, qui tend à démanteler d’une manière accélérée les acquis sociaux, l’emploi, les conditions de travail, les salaires, les services publics, les droits démocratiques et syndicaux. Ce chantage et ce dumping social se répandent librement au niveau des entreprises, en l’absence de toute obligation de nivellement vers le haut.

3o On crée un appareil d’État européen qui sert les intérêts des monopoles et renforce leur dictature.

Le « marché unique » incite la bourgeoisie européenne à renforcer ses structures supranationales de décision. Les travailleurs sont soumis à un carcan européen, qui impose les nonnes économiques du grand capital et nivelle vers le bas les normes sociales. L’Allemagne unifiée, qui se dresse comme une nouvelle superpuissance, dirigera l’Europe unie à son avantage et obligera les autres pays à suivre sa « discipline ».

La bourgeoisie élabore un appareil répressif européen. Son but est de parvenir à une législation européenne, dont le moteur est la lutte contre « l’ennemi intérieur » (c’est-à-dire le mouvement progressiste et ouvrier) et « l’ennemi extérieur » (surtout les pays du tiers monde progressistes et les réfugiés politiques). Sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, cette unification vise à « harmoniser » vers le bas la législation démocratique, c’est-à-dire à la ramener au niveau allemand. L’unification européenne veut instaurer une sorte de « cordon sanitaire » à ses frontières externes, ce qui rendra la chasse aux « immigrés clandestins » encore plus cruelle. En vue de l’application de cette législation, on prépare une Europe policière, contrôlée par personne, mais contrôlant toute la population.

4o Le projet « Europe 92 » propage le nationalisme bourgeois au niveau européen. La culture de l’eurochauvinisme renforce la tendance inquiétante à reléguer définitivement les immigrés du tiers monde au rang de citoyens de seconde zone. Dans ce climat, des idéologies abjectes comme le racisme et le fascisme se déploient librement. Les thèmes lancés par l’extrême droite sont de plus en plus repris dans les programmes et dans la pratique politique des grands partis bourgeois.

5o L’Europe s’érige en bloc impérialiste face au tiers monde. La libre circulation des personnes à l’intérieur des frontières de l’Europe ne s’applique pas aux immigrés provenant du tiers monde, et les barrières contre les réfugiés économiques et politiques sont rehaussées.

La recherche scientifique commune de l’Europe en vue de nouveaux procédés de production et de matériaux nouveaux rejette le tiers monde dans une position marginale dans le domaine industriel et technologique. Le fossé technologique s’approfondit et la division internationale du travail, telle qu’elle existe aujourd’hui, s’en trouve renforcée : le tiers monde est cantonné dans son rôle de fournisseur de matières premières à vil prix et de main-d’œuvre industrielle.

Le tiers monde souffre d’une hémorragie permanente, provoquée par son énorme dette extérieure. Le flux net de capitaux du Sud vers le Nord se chiffrait à 38 milliards de dollars en 1987, à 43 milliards de dollars en 1988, dont les banques et les États européens dévorent une bonne partie. Sur ce plan également, l’unification renforce la position des pays européens vis-à-vis du tiers monde.