Dominique Meeùs

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235.
Les organes légaux de concertation et la délégation syndicale en danger

Le patronat fait appel aux délégués syndicaux pour donner de l’autorité aux « nouveaux organes de concertation », mais ceux-là menacent en même temps la liberté d’action de la délégation syndicale. Les délégués sont encapsulés dans des organes qui ont, de nature, une orientation corporatiste — tous ensemble pour l’intérêt général — et qui, par la même occasion, vident de tout contenu le fonctionnement des organes légaux de concertation (conseil d’entreprise, comité de sécurité). Tous les récents congrès syndicaux perçoivent le danger et soulignent que le cadre légal et conventionnel existant doit être respecté et même renforcé. La CSC exige, comme condition à la collaboration, que soit pleinement garantie la place du syndicat dans l’entreprise. La FGTB parle d’un renforcement du contrôle ouvrier qui devrait faire « contrepoids aux idées répandues par le management participatif ». Mais est-ce suffisant ? Comme nous l’avons montré, le patronat se garde bien de lancer une attaque de front contre les organes légaux. Dans la plupart des entreprises, le patronat tente de faire coexister les deux formes de concertation. En mettant en place un appareil antisyndical à côté du conseil d’entreprise et du comité de sécurité, leur rôle peut s’en trouver sans cesse plus marginalisé. Avec la conséquence qu’on devine : au Japon, seuls 7 % des ouvriers viennent encore exposer leurs problèmes à leurs délégués19. En France, les plus de 40 000 cercles de qualité existants sont largement utilisés pour contrecarrer la CGT, combative, et affaiblir encore le taux de syndicalisation. Chez General Motors à Anvers, une entreprise de 12 000 travailleurs, le conseil d’entreprise dure tout au plus un quart d’heure. Le patronat tolère volontiers un peu de « contrôle ouvrier » au sein des organes légaux si, simultanément, la « cogestion » est appliquée dans les organes non légaux. Que reste-t-il d’ailleurs du « contrôle ouvrier », si la délégation syndicale doit abandonner sa position d’indépendance pour collaborer à l’organisation de la production ?

Le congrès national de la FGTB de novembre 1990 affirme à juste titre que les « cultures d’entreprise » totalitaires sèment les germes d’une société totalitaire (p. 75) et que, face à la « culture d’entreprise », la « culture syndicale » doit être préconisée. Le renforcement de la délégation syndicale et de l’autorité syndicale au niveau de l’entreprise se réalise précisément dans la lutte contre les structures patronales. La délégation syndicale est le seul représentant des travailleurs face au patronat. Elle dispose du conseil d’entreprise et du comité de sécurité, où elle doit être informée par le patronat, où elle peut discuter de problèmes relatifs à l’organisation du travail, aux horaires de travail, aux plans sociaux et à la sécurité. Elle peut y invoquer la législation relative à l’introduction des nouvelles technologies, une législation qui est très insuffisante, mais beaucoup trop peu utilisée pour obtenir des informations. (Voir l’encadré 235 bis.) Elle peut accroître son autorité en adoptant une position combative pour la défense du travail, du salaire et de bonnes conditions de travail. Et puis, la réponse aux initiatives patronales consiste effectivement à développer une communication plus ouverte avec les travailleurs en raccourcissant les canaux de communication syndicat-affiliés et en renforçant le rôle des affiliés et des militants dans la définition des objectifs syndicaux. Mobiliser plus la créativité des militants et des affiliés20.

235 bis. Législation et contrôle relatifs à l’introduction de la nouvelle technologie*

CCT 9 (1972)

Politique en matière d’emploi et de gestion du personnel.

Cette CCT générale détermine quelle information annuelle, trimestrielle, occasionnelle doit être communiquée au conseil d’entreprise en matière d’emploi, de structure de l’emploi et de modifications prévues.

Cette CCT a pour objectif d’impliquer de plus près les travailleurs dans la vie de l’entreprise et dans sa gestion en matière d’emploi, en vue du futur et dans le but de créer un meilleur climat entre employeurs et travailleurs ».

AR du 27-11-1973

L’obligation de présenter aux travailleurs les informations économiques et financières et d’en rendre compte au conseil d’entreprise. Cette obligation d’informer s’applique aussi aux nouvelles technologies.

Arrêté de prévention (ARAB, 1974)

Obligation d’adapter les machines, les outillages et appareils aux travailleurs, afin de prévenir les accidents, maladies et plaintes.

CCT 39 (1983)

Accord sur la technologie. L’accord s’applique à toutes les entreprises de plus de 50 travailleurs (à l’exception des services publics). Il prévoit « » un droit à l’information et à la concertation lors de l’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci entraînent d’importantes conséquences collectives », ce qui signifie qu’au moins 50 % et dix travailleurs, appartenant à une même catégorie professionnelle, doivent subir les conséquences de cette introduction. Les conséquences sociales sont les mutations, les licenciements et la modification des conditions de travail.

La CCT 39 prévoit que, dans ce cas, l’employeur doit fournir une information par écrit, au moins trois mois avant l’introduction de la nouvelle technologie. Cette information doit porter sur les facteurs financiers et techniques qui justifient cette innovation, sur la nature des conséquences sociales et sur le calendrier d’introduction de la nouvelle technologie. Les conséquences pour l’organisation du travail, les conditions de travail, les compétences professionnelles et les mesures de recyclage sont incluses dans cette obligation d’informer.

D’une étude relative à l’application de la CCT 39, il ressort que, pour la période 1983-1988, dans 22,5 % des 315 entreprises soumises à cette CCT, aucune information n’avait été dispensée, en dépit de l’obligation légale*. Les patrons sont manifestement moins accommodants envers la délégation syndicale et le conseil d’entreprise qu’ils ne le sont envers les cercles de qualité.

*
M. Albertijn, B. Hancké, D. Wijgaerts, « Het Belgisch technologieakkoord CAO 39 », Tijdschrift voor Arbeidsvraagstukken, 4e année 1988/3 ; M. Albertijn, L. Baisier, D. Wijgaerts, « Niet-institutioneel overleg in Vlaanderen », STV, dossier d’information, février 1990.
Notes
19.
Mike Parker, Jane Slaughter, Choosing Sides : Unions and the Team Concept, A Labor Notes Book, South End Press, 1988.
20.
Congrès extraordinaire de la FGTB, 23-24 novembre 1990, p. 80.