Dominique Meeùs
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— au dossier marxisme
De nombreux responsables syndicaux sont profondément convaincus que la nouvelle technologie est la seule issue pour sortir de la crise et du chômage. Une analyse des textes et des points de vue syndicaux fournit deux arguments à cette opinion, tous deux empruntés aux faiseurs d’opinions patronaux.
1o Il y a d’abord la version vulgaire, celle qui adopte, sans autre forme de procès, l’argument principal du discours patronal, la position concurrentielle. Ce syndicalisme managérial ne voit pas au-delà de ce cadre concurrentiel patronal et attend le salut de la victoire sur les concurrents. « Notre » patronat ne doit pas rater le coche. Ces « managers » syndicaux veulent dépasser les patrons sur leur propre terrain, contrôler si l’on rationalise suffisamment et à temps.
2o Certains tentent de fonder davantage leur position et renvoient aux théories de Schumpeter. Selon cet économiste bourgeois, les crises structurelles du capitalisme ne sont causées que par « l’essoufflement » de l’évolution technologique. La nouvelle révolution technologique constituerait donc la base d’une nouvelle et longue période de haute conjoncture. Pour certains dirigeants syndicaux, la perspective est donc très simple : accélérer, avec le patronat (« dynamique »), la nouvelle technologie. Contribuer à assainir, démanteler les industries vieillies et drainer tous les moyens financiers de l’État en direction de la technologie de pointe. En 1983, au plus fort de la crise et après des années d’hécatombe en sidérurgie, on pouvait lire le raisonnement suivant, lors du congrès CMB de Charleroi10 :
« Constater que le capitalisme entraîne la crise ne nous mène pas loin. Nous devons balayer les a priori et les préjugés sclérosés et examiner l’avenir d’un regard nouveau. La crise provient d’un effondrement des gains de la productivité. C’est la conséquence de l’épuisement de la technologie. Schumpeter a démontré que les grandes vagues du capitalisme vont de pair avec des vagues d’innovation (nouvelles technologies). Étant donné que les investissements sont très élevés dans ces secteurs, la vague actuelle risque de nous passer sous le nez si la Région wallonne ne met pas tout en œuvre pour lancer les nouvelles technologies. Pour cela, Charleroi doit devenir un pôle d’attraction des investissements. Autrefois les grèves étaient nécessaires parce que les ouvriers travaillaient 12 heures par jour. Cesser le travail était la seule façon de pouvoir militer pour discuter les problèmes. Aujourd’hui, avec des journées de 6 heures parfois, cet argument ne tient plus. De plus, la grève joue souvent le jeu du patronat confronté à la surproduction. De plus, les grèves sont souvent décrites dans la presse comme le fait d’anarchistes, de gauchistes avec de grands couteaux. C’est pourquoi le mouvement syndical doit être prudent quand il utilise l’arme de la grève. »
Cette très savante théorie ne laisse planer aucun doute sur l’enjeu du débat : il faut mettre la lutte de classes au placard. Tout doit céder le pas à la nouvelle technologie.
Aussi bien à Liège qu’à Charleroi, des dirigeants de la CSC et de la FGTB siègent dans les organes locaux de collaboration de classes, réunis autour des conceptions décrites ci-dessus. À Liège, l’organe s’appelait d’abord le Groupe Japon, puis le groupe Liège 2000 ; à Charleroi, il s’appelle le CAAEC. Au début de 1988, une « concertation stratégique » a été mise en route dans huit secteurs économiques, en Wallonie. Ces groupes de travail recherchent, en commun entre patrons et syndicats, de nouvelles pistes pour les entreprises. L’objectif est d’entraîner le mouvement syndical et l’ensemble de ses délégués sur le champ économique et lui faire jouer, sur ce champ, un rôle d’analyste et d’acteur11. »
En Flandre et à Bruxelles également, la nouvelle technologie est le ciment de la « nouvelle collaboration de classes ». Les Conseils socio-économiques, la Stichting Technologie Vlaanderen et les Sociétés de reconversion, gérées conjointement par les patrons et les dirigeants syndicaux, y remplissent un rôle similaire. Veut-on faire croire que ça s’appelle « cogestion » en Flandre, et « autogestion » en Wallonie ?
Certains dirigeants syndicaux se démènent, comme s’ils étaient les chargés d’affaires ou les délégués commerciaux du patronat. Ce syndicalisme managérial mine jusqu’à la raison d’être du syndicat. Outre le fait que le patronat dispose ainsi d’un certain nombre de forces de travail non payées, cela ne résout pas les problèmes auxquels l’on prétend remédier.
L’emploi ? Ou bien on contribue ainsi à mettre sur pied de nouvelles entreprises actives dans le domaine de la technologie de pointe, et alors il s’agit là d’entreprises à haute densité de capital mort, occupant très peu de travailleurs. Ou bien on contribue à équiper les entreprises existantes de méthodes de production hautement technologiques et cela se paie en termes de rationalisations, d’exploitation accrue et le plus souvent avec des pertes d’emplois. (L’exemple de Caterpillar le montre bien ; voir le paragraphe 226.) De plus, la collaboration de classe a un prix ; c’est l’anéantissement de l’autonomie syndicale.
Résoudre la crise ? Il est extrêmement naïf de croire que l’on contribue à résoudre les problèmes de crise aigus en se soumettant à la volonté du patron. Résoudre la crise recouvre du reste une autre signification, selon qu’on se place du point de vue du patronat ou des ouvriers. Pour le patron, la crise est résolue quand il a rétabli son profit et écrasé ses concurrents. Si contribution il y a, c’est une contribution à la guerre concurrentielle et à la division des travailleurs. Il s’en suit un appareil de production beaucoup plus productif qui heurtera plus violemment encore les limites du pouvoir d’achat des travailleurs. Avec une crise de surproduction nouvelle, encore plus aiguë. Bref, cette collaboration de classes hautement technologique n’apporte rien et est extrêmement ravageuse pour le syndicat.