Dominique Meeùs
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— au dossier marxisme
De l’échec de la première vague de « cercles de qualité », les patrons ont tiré la leçon que l’implication des dirigeants et des délégués syndicaux est une condition absolue pour assurer le fonctionnement de ces nouveaux organes. Ils ont découvert que le système ne peut fonctionner si les représentants syndicaux mettent des bâtons dans les roues. Car un problème crucial est de vaincre la méfiance à l’égard des initiatives patronales. Il ne suffit pas de nommer les cadres et chefs d’équipe comme responsables des teams et des « cercles » pour atteindre l’objectif visé, qui est la collaboration des ouvriers.
Cette « association syndicale » est devenue, dans d’autres pays aussi, la tactique dominante. L’objectif final du management participatif est de liquider le réflexe de classe, la lutte syndicale et donc le démantèlement effectif de la puissance syndicale. Mais le plus avantageux est le démantèlement volontaire, qui est obtenu lorsque les dirigeants syndicaux deviennent eux-mêmes d’ardents défenseurs du management participatif. Au Japon, le problème se pose à peine, puisque les patrons disposent de syndicats maison. En Californie, bon nombre d’entreprises hautement technologiques adoptent la tactique de la confrontation antisyndicale. Mais la plupart des patrons américains ont compris que cette tactique ne réussit que temporairement. Le projet GM-Saturne est le nouveau modèle patronal. Dès le départ, les dirigeants syndicaux y sont impliqués dans le concept d’entreprise, ils sont représentés jusqu’au niveau le plus élevé, collaborent loyalement pour rendre l’entreprise compétitive face aux concurrents japonais. Ils ont démantelé leurs anciennes structures syndicales, ne concluent que des accords d’entreprise spécifiques, ils ont placé leurs représentants de la base comme dirigeants de la production et ils fonctionnent eux-mêmes comme bureau de recrutement, dans lesquels un des critères appliqués est le dévouement à la la philosophie Saturne (battre la concurrence par la collaboration). Le même modèle de cogestion fonctionne, sous une forme adaptée, dans l’usine General Motors à Anvers. Le plan a été manigancé en secret par un « groupe d’orientation » composé de cinq managers de haut niveau et de cinq secrétaires syndicaux régionaux. Dans ce qu’on y appelle la « Nouvelle Approche », des représentants syndicaux participent à chaque échelon du management : les secrétaires provinciaux au niveau supérieur, les délégués principaux et les secrétaires au conseil de gestion, une sélection de délégués syndicaux au niveau du cadre moyen, les délégués de base aux côtés de chefs de section, comme responsables des teams. (Voir l’encadré 227 bis.)
Le management participatif suit une stratégie. Patiemment, on s’oriente dans la voie d’un syndicat maison, on vise une collaboration de plus en plus intensive avec les responsables syndicaux locaux, pour le « bien-être » de l’entreprise et « l’emploi local ». Et l’on se garde bien de toucher aux organes « légaux » (conseil d’entreprise et comité de sécurité) afin de ne pas provoquer la direction syndicale. On les laisse simplement se rabougrir dans leur propre impuissance, tandis que les organes de cogestion acquièrent de plus en plus de poids.
Simultanément, une offensive est menée en direction des travailleurs, pour les enfermer dans une « culture d’entreprise ». De plus en plus, lors de l’embauche, l’accent est mis sur la nécessité d’avoir une bonne mentalité. Lors de l’ouverture de la firme Nissan, en Grande-Bretagne, seuls 1 500 candidats ont été sélectionnés, parmi les 25 000 candidats convoqués. Il est bien plus important d’avoir des candidats qui s’adaptent à la culture de l’entreprise que des candidats compétents : la formation, l’entreprise s’en charge bien elle-même.
Le protocole signé, à la mi-1989, par la direction de GM et les dirigeants syndicaux s’inscrit, de l’avis des parties concernées, dans le cadre de la lutte pour la part du marché européen, une part du gâteau qu’il faudra, au cours des prochaines années, disputer avec la concurrence japonaise. « Les syndicats qui représentent les travailleurs à General Motors Continental se sont engagés à soutenir l’entreprise dans cette lutte concurrentielle, par une collaboration plus intensive avec le patronat », affirme le protocole.
À cet effet, la structure de cogestion suivante a été mise en place :
Composition | Responsabilité | |
Comité de direction | Top management + cinq secrétaires syndicaux (provinciaux) | Planning à long terme et politique générale |
↓ ↓ |
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Conseil de gestion | Management + cinq délégués principaux de la délégation syndicale + secrétaires syndicaux | Planning et politique à moyen et à court terme |
↓ ↓ |
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Responsables unité d’entreprise opérationnelle — carrosserie, peinture, assemblage | Manager unité d’entreprise + deux responsables unité d’entreprise de la délégation syndicale + un délégué relations de travail | Coordination au jour le jour opération unité d’entreprise autonome — trois équipes |
↓ ↓ |
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Responsables d’équipes — Équipes A, B, C | Superintendants — chefs de section + délégué ONR-CVGV de la délégation syndicale | Opération au jour le jour — une équipe |
Sous la tutelle de cette structure de cogestion, une nouvelle étape qualitative a été franchie, au début de 1991, dans la collaboration de classes organisée. Toujours selon le modèle japonais, une nouvelle méthode a été testée afin de développer l’esprit d’entreprise. Il s’agit du « processus de l’amélioration permanente » (appelé KAI-ZEN, en japonais). Si l’influence idéologique et l’endoctrinement ne suffisent pas, les stimulants matériels peuvent encore être utilisés. Le système débute par trois heures de formation en « amélioration permanente », assurées par un spécialiste ou « champion ». À la fin de la formation, les participants décident de mettre en place un processus d’amélioration permanente en concluant un contrat signé par ceux qui y collaborent. Tentez donc d’y résister, en tant qu’individu ! « Quand le processus d’amélioration permanente débouche sur des économies mesurables, les collaborateurs peuvent introduire un projet d’amélioration par un système de reconnaissance. » Après une analyse des coûts et profits, l’amélioration peut être « reconnue » et les collaborateurs signataires du contrat ont alors droit à 10 % de l’économie ainsi réalisée (le patron empoche les 90 % restants !). Si par exemple une économie de 4 500 000 francs belges est réalisée, l’équipe a droit à 450 000 francs belges, répartis comme suit :
Répartition de la prime | Participants | Parts | Prime totale nette (francs belges) | Prime individuelle nette (francs belges) |
Collaborateurs concernés | 18 | 36 | 330 624 | 18 368 |
Collaborateurs à déplacer | 3 | 9 | 82 656 | 27 552 |
Chefs de section | 3 | 3 | 27 552 | 9 184 |
Collaborateurs de soutien | 1 | 1 | 9 184 | 9 184 |
Total | 25 | 49 | 450 016 |
Il s’agit ici surtout de liquider des postes de travail : cela fait partie du système. Une procédure est prévue pour le choix du « collaborateur à déplacer » : les volontaires ont la priorité et, si nécessaire, ceux qui ont le moins d’ancienneté sont liquidés. Le travailleur ainsi déplacé bénéficie d’une protection salariale inconditionnelle, illimitée dans le temps ». L’entreprise se charge d’imaginer d’autres possibilités de se débarrasser des forces de travail superflues, par exemple en ne remplaçant pas les départs naturels. De cette manière, chacun est encouragé — et en obtient un avantage financier — à réduire le volume du personnel, à supprimer des emplois.