Dominique Meeùs

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Crise structurelle et conjoncturelle

En utilisant la notion de crise, il faut préciser sa signification, car le mot est utilisé en de nombreux sens. Il faut tout d’abord faire une distinction entre la crise structurelle et la crise conjoncturelle.

Un cycle conjoncturel se déroule à court terme, durant une période de cinq à sept ans. C’est une suite de récessions (crise), suivies d’une phase de dépression, de reprise et d’essor. Bien que ces cycles ne se déroulent pas de façon entièrement simultanée ni avec la même acuité dans tous les pays capitalistes, on peut cependant distinguer des crises de la production industrielle dans le monde capitaliste vers 1949, 1955, 1960, 1966, 1969, 1973 et 1980. Ainsi, depuis 1960, les pays de l’OCDE ont connu cinq périodes de récession (dans le sens d’un ralentissement de la croissance ou d’une croissance négative) : de janvier 1960 à mars 1963, de mars 1966 à mai 1967, de juillet 1969 à fin 1971, d’octobre 1973 à mai 1975 et de février 1980 à novembre 19825. La durée moyenne de ces cycles est d’environ cinq ans. Depuis 1983, les pays capitalistes ont connu une période exceptionnellement longue de reprise, qui s’est tassée depuis la mi-1990. Au début de l’année 1991, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont connu une grave récession, qui entraîne également la France et menace l’ensemble de l’Europe.

À côté de ces « ondes courtes », il y a des périodes plus longues de croissance moyenne élevée et des périodes plus longues de croissance moyenne faible. Dans ce dernier cas, il y a lieu de parler de crise structurelle. Les variations conjoncturelles, dont nous avons parlé, fluctuent donc autour d’une ligne de base, qui délimite des périodes de plus longue durée. En période de croissance faible, les crises conjoncturelles se déroulent autrement qu’en période de croissance élevée (la période 1945-1972). Les crises sont profondes et de longue durée. Les phases de reprise sont courtes et sans vigueur. Le chômage plafonne à un niveau très élevé. Il y a une sorte « d’état de crise » permanent. Ainsi on parle de « la » crise de 1929 et de « la » crise de 1973.

Même l’OCDE doit à présent admettre que le capitalisme souffre d’autre chose que de simples variations conjoncturelles. L’organisation fait à présent la distinction entre le « cycle industriel » et les « tendances » sous-jacentes, qui réfèrent aux tendances à plus long terme. En se basant sur toute une série d’indicateurs, l’OCDE constate (id. p. 51) une inversion de la tendance à long terme vers 1972. « Si l’on considère l’ensemble de l’OCDE, le taux de croissance de la production industrielle était aux alentours de 6,5 durant une grande partie des années 60. Le changement de la tendance pour la production industrielle peut être situé de façon assez précise en 1972. Le taux de croissance est rapidement retombé à environ 2,5 % vers le milieu des années 70 et à l’heure actuelle il est estimé à 2,3 % (depuis 1983). »

L’inversion de tendance a commencé plus tôt (vers la fin des années 60) aux États-Unis. (Voir l’encadré 112 bis.)

112 bis. La crise conjoncturelle et structurelle*

Graphique 1

Ce graphique montre, pour l’OCDE entière, pour l’Europe, pour l’Amérique du Nord et pour le Japon, les pourcentages de croissance annuels de la production industrielle et du produit national brut. On peut constater une chute évidente vers 1972.

Graphique 2

En prenant la production industrielle (de tous les pays de l’OCDE ensemble) de 1980 comme indice 100, on peut constater une « tendance à long terme » avec des oscillations autour de celui-ci. Il y a une « cassure » vers 1972.

Graphique 3

Ce graphique donne l’évolution du cycle conjoncturel pour les pays de l’OCDE, mesuré d’après les fluctuations de la production industrielle par rapport à la tendance à long terme. La ligne horizontale représente donc la « tendance principale », qui est la tendance à la croissance à long terme.

*
OCDE, « OECD leading indicators and business cycles in member countries 1960-1985 », no 39 de Main Economic Indicators — Sources and Methods, janvier 1987

Ainsi on jette aux orties l’affirmation que le prix du pétrole serait à la base de tous les problèmes. Les hausses de prix d’octobre 1973 et de janvier 1979 ont incontestablement eu des répercussions sur le développement des récessions de 1973 et 1980, mais ils ne peuvent en aucune façon expliquer la longue tendance à la stagnation du monde capitaliste. Inversement, l’effondrement des prix du pétrole après 1985 et le retour au niveau d’avant 1973 n’ont pas résolu les problèmes de croissance structurelle des pays industrialisés. D’autres données démontrent que, déjà depuis la fin des années 60 et donc indépendamment des crises pétrolières, des signes d’une baisse de productivité et d’une décroissance du taux de profit sont apparus. Les problèmes de structure sont en fait déjà apparents auparavant et s’intensifient graduellement jusqu’à ce qu’un prétexte mette le feu aux poudres. En 1929 ce fut le krach boursier et une série de faillites bancaires, en 1973 la première hausse des prix du pétrole.

Les contradictions fondamentales du capitalisme conduisent à de longues périodes de croissance lente. Le capitalisme a connu de telles périodes de 1873 à 1895 et de 1919 à 1939. Elles débouchent sur des adaptations structurelles et des explosions violentes (guerre, révolution). La première a conduit à une monopolisation rapide, l’exportation de capitaux et à l’impérialisme. La deuxième a conduit à la guerre, au renforcement de l’impérialisme sous la direction des États-Unis et à l’épanouissement du capitalisme monopoliste d’État. Depuis le début des années 70, nous connaissons la troisième crise « structurelle » du système mondial capitaliste.

Si on pose maintenant la question, s’il y a une crise ininterrompue depuis 1973-1974, la réponse est oui et non. Si l’on considère la croissance à plus long terme, on peut prétendre que le capitalisme est en crise depuis le début des années 70. Si on la considère du point de vue du cycle conjoncturel, la croissance a connu des sommets (1979 et 1989) et des creux (1975 et 1982).

Notes
5.
OCDE, OECD leading indicators and business cycles in member countries, 1960-1985, janvier 1987.