Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
Dernière modification le
Manuel :
table des matières,
index —
Retour au dossier marxisme
Depuis que le marxisme a fait son apparition sur la scène historique, la tâche fondamentale et décisive des économistes bourgeois devint la « réfutation » du marxisme, toutes les variétés possibles et imaginables de philosophie idéaliste et de sociologie subjective servent de base méthodologique aux différentes écoles et tendances de l’économie politique bourgeoise.
En Allemagne, au milieu du 19e siècle, apparaît ce qu’on appelle l’école historique de l’économie politique (F. Roscher, B. Hildebrand, etc.) Les tenants de cette école niaient ouvertement l’existence de lois économiques du développement de la société et substituaient à l’investigation scientifique la description de faits historiques épars. La négation des lois économiques leur servait à justifier l’arbitraire réactionnaire, la servilité devant l’État bureaucratique et militaire, qu’ils exaltaient systématiquement. Les représentants plus récents de l’école historique, avec G. Schmoller à leur tête, constituèrent ce qu’on appelle la tendance historico-éthique ou historico-juridique. Le trait caractéristique de cette tendance est qu’elle substitue à la recherche économique des considérations idéalistes réactionnaires sur les objectifs moraux, les normes juridiques, etc.
Certains économistes de l’école historique (Hildebrand) ont formé en 1872 avec d’autres économistes bourgeois (Adolf Wagner, L. Brentano, W. Sombart) ce qu’on a appelé « l’Union de politique sociale » pour « prêcher du haut de la chaire » des réformes sociales en vue de prévenir la fin du régime capitaliste. Tout en continuant les traditions de leurs prédécesseurs, les représentants de cette tendance, appelée ironiquement « socialisme de la chaire », se firent les valets de l’État militariste allemand. Certains d’entre eux qualifiaient de « morceau de socialisme » chaque mesure de cet État. Les socialistes de la chaire exaltaient la politique réactionnaire de Bismarck et l’aidaient à tromper la classe ouvrière.
Au cours des dernières décennies du 19e siècle, au fur et à mesure que les idées du marxisme se propageaient, la bourgeoisie a eu besoin, pour les combattre, de recourir à de nouveaux moyens idéologiques. On vit alors apparaître sur la scène l’école autrichienne. L’appellation de cette école est liée au fait que ses principaux représentants — K. Menger, F. Wieser et E. Boehm-Bawerk — étaient professeurs dans des universités autrichiennes. Contrairement à l’orientation historique, les tenants de l’école autrichienne reconnaissait pour la forme la nécessité d’étudier les lois économiques, mais, pour présenter le régime capitaliste sous un jour plus favorable et en assumer la défense, ils reportèrent la recherche de ces lois, de la sphère des rapports sociaux dans le domaine psychologique subjectif, c’est-à-dire qu’ils suivirent la voie de l’idéalisme.
En ce qui concerne la théorie de la valeur, l’école autrichienne émit le principe dit de « l’utilité marginale ». Conformément à ce principe, la valeur de la marchandise est déterminée non pas simplement par son utilité, ainsi que l’affirmaient auparavant certains économistes vulgaires, mais par son utilité marginale, c’est-à-dire par l’appréciation subjective de l’utilité d’une unité de marchandise qui satisfait un des besoins les moins essentiels de l’individu. En réalité, cette théorie n’explique rien. Il est tout à fait évident, par exemple, que l’estimation subjective d’un kilogramme de pain est foncièrement différente chez un bourgeois rassasié et chez un chômeur affamé ; mais cependant tous deux paient le pain le même prix. À la théorie de la plus-value de Marx, les économistes de l’école autrichienne opposent telle ou telle variété de la « théorie de la productivité du capital », qui n’est qu’une forme rénovée de la théorie vulgaire des « trois facteurs de la production ».
Le passage à l’impérialisme et l’aggravation extrême qui en résulte pour les contradictions sociales et la lutte des classes, déterminèrent la dégradation ultérieure de l’économie politique bourgeoise. Après la victoire de la révolution socialiste en Russie, qui donnait pratiquement un démenti aux affirmations des idéologues de la bourgeoisie sur le caractère éternel du régime capitaliste, de nombreux économistes bourgeois commencèrent à considérer comme une de leurs tâches principales le recours à la calomnie pour déformer la nature du régime soviétique, pour cacher aux travailleurs des pays capitalistes la vérité sur les réalisations historiques du pays du socialisme. L’économie politique bourgeoise de nos jours constitue une arme idéologique de l’oligarchie financière dont la majorité des représentants joue directement et ouvertement le rôle de défenseurs de la réaction et de l’agression impérialistes.
En commentant des catégories du capitalisme comme la valeur, le prix, le salaire, le profit, la rente, les économistes bourgeois contemporains se placent généralement sur les positions de la tendance psychologique subjective, dont une des variétés est l’école autrichienne examinée plus haut ; et ils reprennent sur tous les tons la vieille théorie vulgaire des trois facteurs de la production. L’économiste anglais Alfred Marshall (1842-1924) a essayé de concilier de façon éclectique les trois théories vulgaires différentes de la valeur : celle de l’offre et de la demande, de l’utilité marginale et celle des frais de production. L’économiste américain John B. Clark (1847-1938), tout en prêchant l’idée mensongère de « l’harmonie des intérêts » des différentes classes de la société bourgeoise, a formulé la théorie de la « productivité optima », qui n’est en réalité qu’une tentative originale pour associer la vieille théorie vulgaire de la « productivité du capital » à la théorie vulgaire de « l’utilité marginale » de l’école autrichienne. Le profit, d’après Clark, serait la rémunération du travail de l’entrepreneur ; les classes laborieuses, elles, ne créeraient qu’une faible part de la richesse et la recevraient intégralement.
Contrairement aux économistes bourgeois de l’époque du capitalisme prémonopoliste, qui chantaient la liberté de la concurrence comme condition fondamentale du développement de la société, les économistes bourgeois contemporains soulignent généralement la nécessité d’une intervention de l’État dans tous les domaines de la vie économique. Ils exaltent l’État impérialiste comme une force qui serait placée au-dessus des classes et qui serait capable de subordonner à un plan l’économie des pays capitalistes. Or, en réalité, l’ingérence de l’État bourgeois dans la vie économique n’a rien à voir avec la planification de l’économie nationale et ne fait qu’accentuer encore davantage l’anarchie de la production. Les apologistes des monopoles font hypocritement passer pour un « capitalisme organisé » la soumission de l’État impérialiste à l’oligarchie financière, la large utilisation par celle-ci de l’appareil d’État pour satisfaire son intérêt cupide et augmenter les profits des monopoles.
Dans les premières décennies du 20e siècle, en Allemagne, s’est répandue ce qu’on a appelé la tendance sociale ou l’école organique sociale d’économie politique (A. Ammon, R. Stolzmann, O. Spann et autres). Contrairement à l’école autrichienne qui aborde les phénomènes économiques d’un point de vue psychologique et subjectif, les représentants de la tendance sociale donnaient une interprétation des rapports sociaux des hommes, mais ils les considéraient de façon idéaliste, comme des formes juridiques dénuées de tout contenu matériel. Les économistes de la tendance sociale affirmaient que la vie sociale serait régie par des normes juridiques et éthiques. Ils camouflaient la ferveur qu’ils vouaient aux monopoles capitalistes par des considérations démagogiques sur le « bien-être général » et la nécessité de subordonner la « partie », c’est-à-dire les masses laborieuses, au « tout », c’est-à-dire à l’État impérialiste. Ils exaltaient l’activité des capitalistes, en proclamant qu’elle servait la société. Dans leur forme la plus réactionnaire, ces idées ont servi d’arme idéologique au fascisme en Allemagne et dans d’autres pays bourgeois.
Le fascisme allemand a utilisé les éléments les plus réactionnaires de l’économie politique vulgaire allemande, son chauvinisme extrême, son culte de l’État bourgeois, sa propagande en faveur de la conquête de terres étrangères et de la « paix sociale » à l’intérieur de l’Allemagne. Ennemis jurés du socialisme et de l’humanité progressiste, les fascistes allemands eurent recours à la démagogie anticapitaliste et se disaient hypocritement national-socialistes. Les fascistes italiens et allemands prêchaient la théorie réactionnaire de « l’État corporatif », selon laquelle le capitalisme, les classes et les contradictions des classes auraient été liquidés dans les pays fascistes. Les économistes fascistes justifiaient la conquête et le pillage des terres d’autrui par l’Allemagne hitlérienne, à l’aide de la « théorie des races » et de la « théorie de l’espace vital ». Conformément à ces « théories », les Allemands auraient été la « race supérieure » et toutes les autres nations des nations « inférieures », et la « race des seigneurs » aurait eu le droit de s’emparer par la force des terres des autres peuples, des peuples « inférieurs », et d’étendre sa domination au monde entier. L’expérience de l’histoire a montré nettement toute l’absurdité et l’inanité des plans hitlériens délirants de conquête de la domination mondiale.
Au cours de la crise générale du capitalisme, où le problème des marchés a pris une acuité sans précédent, où les crises économiques se sont multipliées et aggravées, où le chômage massif est devenu permanent, des théories diverses ont cherché à faire croire à la possibilité d’assurer le « plein emploi », de supprimer l’anarchie de la production et les crises tout en conservant le régime capitaliste. La théorie que l’économiste anglais J. M. Keynes (1883-1946) a exposée dans un ouvrage intitulé : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) a eu une large diffusion parmi les économistes bourgeois.
Tout en estompant les causes réelles du chômage massif permanent et des crises en régime capitaliste, Keynes s’applique à démontrer que ces « déficiences » de la société bourgeoise sont dues non pas à la nature du capitalisme, mais à la mentalité des hommes. Keynes affirme que le chômage résulte de la demande insuffisante en objets de consommation personnelle et industrielle. L’insuffisance de la demande en objets de consommation personnelle serait due à la tendance inhérente aux hommes à épargner une partie de leur revenu, et la demande insuffisante pour les objets de consommation industrielle au relâchement de l’intérêt des capitalistes pour le placement de leurs capitaux dans les différentes branches de l’économie par suite de l’abaissement général de la « rentabilité du capital ». Pour augmenter l’emploi de la population, affirme Keynes, il est nécessaire d’accroître les investissements, ce pour quoi l’État doit, d’une part, assurer une plus grande rentabilité aux capitaux en diminuant le salaire réel de l’ouvrier, moyennant l’inflation et l’abaissement du taux d’intérêt pour les prêts, et, d’autre part, effectuer de grands investissements sur le compte du budget. Pour élargir la demande en objets de consommation, Keynes recommande l’accroissement de la consommation parasite et du gaspillage des classes régnantes, l’augmentation des dépenses consacrées à des fins militaires et des autres dépenses improductives de l’État.
La théorie de Keynes n’est pas fondée. L’insuffisance de la demande en objets de consommation est due non point à une mythique « tendance des hommes à l’épargne », mais à l’appauvrissement des travailleurs. Les mesures proposées par Keynes soi-disant pour assurer le plein emploi de la population — inflation, augmentation des dépenses improductives pour la préparation et la conduite des guerres — conduisent en réalité à un nouvel abaissement du niveau de vie des travailleurs, à la contraction du marché et à l’extension du chômage. La théorie de Keynes est largement utilisée aujourd’hui sous une forme ou sous une autre par les économistes bourgeois, ainsi que par les socialistes de droite d’une série de pays capitalistes.
L’économie politique bourgeoise contemporaine des États-Unis est caractérisée par la théorie qui recommande l’accroissement du budget de l’État et de la dette publique comme moyen de remédier aux vices du capitalisme. Estimant que les possibilités de développement ultérieur du capitalisme par les seules forces économiques spontanées sont très restreintes, l’économiste américain A. Hansen démontre la nécessité pour l’État de « diriger » l’économie capitaliste en stimulant les placements de capitaux moyennant de fortes commandes de l’État. Selon la théorie de Hansen et de plusieurs autres économistes bourgeois américains, les dépenses de l’État doivent servir de « régulateur de l’emploi » : pendant la crise et la dépression, le gouvernement doit augmenter ses dépenses et, pendant l’inflation, les réduire. Partant de là, ils réclament l’extension de la pratique des commandes d’État, de la création d’entreprises au compte du Trésor, de l’achat de matières stratégiques sur une grande échelle, de l’extension de l’armée et de l’appareil gouvernemental. En fait, toutes ces formes de dépenses de l’État, liées à la militarisation de l’économie et à la course aux armements, contribuent largement à assurer des profits maximums aux monopoles.
Depuis la deuxième guerre mondiale, les économistes bourgeois américains font une vaste propagande en faveur de la militarisation de l’économie comme panacée des crises économiques de surproduction. D’après ce qu’ils affirment, une demande de matériel de guerre accrue assurerait un développement ininterrompu de la production. Cette théorie apologétique est démentie par la réalité car, en fin de compte, tout juste capable de retarder pour peu de temps l’arrivée d’une crise de surproduction, la militarisation de l’économie approfondit inévitablement la contradiction entre l’accroissement des possibilités de production et la réduction de la demande solvable de la population, contradiction qui conduit aux crises économiques.
Certains économistes bourgeois des États-Unis et de Grande-Bretagne se prononcent pour « le libre jeu des forces économiques », par lequel ils entendent en fait la liberté illimitée pour les monopoles d’exploiter les ouvriers et de dépouiller les consommateurs. Ces économistes proclament hypocritement que l’activité des syndicats en faveur des ouvriers est une violation de la « liberté économique » et ils exaltent la législation antiouvrière réactionnaire des États impérialistes. De même que les champions de l’économie « dirigée » par l’État bourgeois, les défenseurs du « libre jeu des forces économiques » traduisent les intérêts des différents groupes de l’oligarchie financière, qui cherche à s’assurer le profit maximum en intensifiant l’exploitation des masses laborieuses à l’intérieur du pays ainsi qu’en développant l’agression impérialiste sur le plan international.
Une série d’économistes bourgeois s’efforcent, par des élucubrations antiscientifiques sur la « valeur inégale » des différentes races et nations, sur la mission civilisatrice des races et nations « supérieures » à l’égard des races et nations « inférieures », etc., de justifier la politique agressive de mainmise des puissances impérialistes sur les terres d’autrui, d’asservissement et de pillage des autres peuples. Ce sont les représentants les plus réactionnaires de l’économie politique bourgeoise des États-Unis qui, à cet égard, font le plus de zèle : suivant les traces des fascistes allemands, ils répandent l’idée barbare de la « supériorité » des nations parlant l’anglais sur tous les autres peuples et s’appliquent à justifier par tous les moyens les plans délirants de domination des États-Unis dans le monde. À cette occasion, ils vantent avec zèle « le mode de vie américain », ressuscitant en fait la « théorie du caractère exceptionnel des États-Unis », depuis longtemps réfutée ; elle avait cours entre 1920 et 1930 et affirmait que le capitalisme américain se distingue fondamentalement du capitalisme européen, qu’il est exempt des « maux » que sont les contradictions de classes et la lutte des classes, la domination des monopoles, le colonialisme, etc. Le capitalisme américain est déclaré « populaire », « démocratique », « travailleur ». Or, en réalité, nulle part la domination du capital sur le travail, l’emprise des monopoles sur tous les domaines de la vie économique et politique, la subordination de l’appareil d’État à l’oligarchie financière ne se manifestent sous une forme aussi brutale qu’aux États-Unis.
De nombreux apologistes de l’impérialisme américain s’élèvent contre l’indépendance des peuples et leur souveraineté nationale ; ils proclament que l’existence d’États nationaux est la cause fondamentale de toutes les calamités sociales de la société bourgeoise contemporaine : militarisme, guerres, chômage, misère, etc. Au principe de la souveraineté nationale des peuples, ils opposent l’idée cosmopolite d’ « État mondial », dans lequel le rôle de direction est invariablement attribué aux États-Unis. La propagande en faveur du cosmopolitisme s’assigne pour tâche de désarmer les peuples sur le terrain idéologique, de briser leur volonté de résistance aux atteintes de l’impérialisme américain.
Nombreux sont les économistes bourgeois des États-Unis qui font une propagande directe en faveur d’une nouvelle guerre mondiale. Ils proclament que la guerre est un phénomène naturel et perpétuel de la vie sociale ; ils prétendent que la coexistence pacifique des pays du camp capitaliste et de ceux du camp socialiste est impossible.
Afin de préparer une nouvelle guerre mondiale, les publications bourgeoises diffusent largement la théorie depuis longtemps réfutée de Malthus. Le malthusianisme contemporain a ceci de caractéristique qu’il allie les idées réactionnaires de Malthus à la théorie raciste. Les économistes malthusiens prétendent que le globe terrestre est surpeuplé par suite de la « multiplication excessive » des êtres humains, et que c’est là la cause profonde de la famine et de toutes les autres calamités qui frappent les masses laborieuses. Ils réclament une réduction sensible de la population, notamment dans les pays coloniaux et dépendants dont les peuples mènent une lutte de libération contre l’impérialisme. Les malthusiens d’aujourd’hui recommandent des guerres dévastatrices avec emploi de bombes atomiques et autres engins d’extermination massive.
La vie montre l’entière inconsistance des constructions théoriques de l’économie politique bourgeoise contemporaine, son rôle servile à l’égard du capital monopoliste, son incapacité de donner une analyse scientifique et une solution positive des problèmes économiques de l’époque actuelle.