Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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36.1. La nature et le rôle du commerce en régime socialiste.

La nécessité du commerce dans la société socialiste découle de l’existence de la production marchande et de la loi de la valeur. Les articles de consommation courante produits dans la société socialiste étant des marchandises, leur répartition, leur acheminement jusqu’au consommateur, se fait nécessairement par la voie commerciale. Au mode de production socialiste correspond une forme particulière d’échange des marchandises qui a reçu en U.R.S.S. le nom de commerce soviétique, et qui diffère profondément par sa nature du commerce capitaliste. C’est un commerce sans capitalistes. En U.R.S.S., les marchandises sont réalisées par les entreprises et les organismes d’État et coopératifs, par les kolkhoz et par les kolkhoziens. Les moyens dont disposent les entreprises du commerce soviétique sont propriété socialiste. La domination sans partage de la propriété socialiste, dans toutes les sphères de l’économie nationale, a fait entièrement disparaître en U.R.S.S. les conditions d’existence de catégories telles que le capital commercial, le profit commercial, etc.

En régime socialiste, le commerce obéit aux exigences de la loi économique fondamentale du socialisme : satisfaire au maximum les besoins matériels et culturels croissants des travailleurs, contrairement au commerce capitaliste qui, étant une fonction du capital commercial, sert à enrichir les capitalistes.

Dans la société socialiste, la population se procure la grande masse des articles de consommation individuelle par l’intermédiaire du commerce. C’est à l’achat de ces articles : denrées alimentaires, vêtements, chaussures, objets d’agrément, articles de ménage et d’usage courant, qu’elle consacre la majeure partie de ses revenus. Une portion seulement des articles de consommation individuelle est répartie directement, sans passer par le commerce, par exemple les produits délivrés aux kolkhoziens pour leurs journées-travail.

Le développement du commerce contribue d’une manière très efficace à intéresser matériellement et personnellement les travailleurs de la ville et de la campagne aux résultats de leur travail, à l’élévation de sa productivité. Le commerce soviétique est la condition nécessaire de l’application de la loi économique de la répartition selon le travail, la réalisation des revenus en argent des travailleurs de l’U.R.S.S. s’opérant par l’intermédiaire du commerce soviétique. C’est de ses progrès, de la façon dont sont desservis les acheteurs qu’il dépend pour une bonne part que les besoins des travailleurs soient satisfaits conformément à leurs revenus.

C’est dans le commerce que les kolkhoz achètent les objets d’usage productif : machines agricoles, matériel divers, équipement électrique, combustible, matériaux de construction, automobiles, etc. Font aussi partie du commerce les opérations de stockage et d’achat des denrées agricoles que l’État et les coopératives acquièrent auprès des kolkhoz et des kolkhoziens.

Le commerce soviétique, nous enseigne Lénine, est une forme de l’alliance économique entre la ville et la campagne. C’est un élément vital dans le système des relations économiques entre l’industrie d’État et l’agriculture kolkhozienne. Le développement de cette alliance sur le plan commercial entre la ville et la campagne est la condition indispensable du resserrement constant de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, la condition de la fourniture de biens de consommation à la population des villes et des campagnes, ainsi que de matières premières agricoles à l’industrie.

La division du travail entre les organismes de la production et du commerce, l’attribution aux organismes de commerce et de stockage de la fonction consistant à assurer la circulation des marchandises permettent à la société socialiste de réaliser une grande économie en accélérant la rotation du produit social et en diminuant la somme des moyens employés dans la sphère de la circulation, ce qui permet de consacrer davantage de moyens à l’extension de la production socialiste.

Le commerce soviétique, qui repose sur la production socialiste, est en même temps la condition indispensable de l’extension et du renforcement de cette dernière.

Pour que la vie économique du pays puisse battre son plein ; pour que l’industrie et l’agriculture aient un stimulant au développement de leur production, il faut qu’une autre condition soit encore remplie, à savoir que les échanges soient très actifs entre la ville et la campagne, entre les différents districts et régions du pays, entre les différentes branches de l’économie nationale. Il faut que le pays soit couvert d’un réseau serré de dépôts, de magasins, de boutiques. Il faut que les marchandises circulent sans arrêt, affluant des lieux de production vers le consommateur, par le canal de ces dépôts, magasins et boutiques.

J. Staline, « Rapport au 17e Congrès du P.C. (b) de l’U.R.S.S. », Les Questions du léninisme, t. 2, p. 169-170.

Le commerce soviétique relie la production socialiste à la consommation populaire. En régime capitaliste, la liaison entre la production et la consommation s’établit spontanément par le mécanisme de la concurrence, à travers les crises. En régime socialiste, grâce à l’action de la loi du développement harmonieux, proportionné de l’économie nationale, le commerce peut et doit nécessairement servir à réaliser une coordination planifiée de la production et de la consommation.

La loi du développement harmonieux, proportionné, de l’économie nationale, qui exerce son influence dans notre pays, exige une coordination consciente et organisée de la production et de la consommation. Grâce à la planification de notre économie, nous pouvons tenir compte directement de la demande, sans faire de détours, et développer la production en conséquence. Ici s’affirment les grands avantages de notre régime. Mais il en découle en même temps une énorme responsabilité pour les organisations commerciales, car le succès en ce domaine ne dépend que de nous-mêmes, de notre organisation et de notre savoir-faire.

A. Mikoïan, Des mesures à prendre pour assurer le développement continu du commerce et améliorer l’organisation du commerce d’État, coopératif et kolkhozien. Rapport présenté le 17 octobre 1953 à la conférence des dirigeants d’organisations commerciales de l’U.R.S.S., p. 16 (éd. russe).

Le commerce soviétique se développe harmonieusement ; il s’appuie, d’une part, sur l’extension ininterrompue de la production socialiste et, d’autre part, sur l’augmentation constante des besoins, du pouvoir d’achat des masses. Le mieux-être de la population, l’augmentation des revenus en argent des travailleurs et la baisse systématique du prix des marchandises créent une demande toujours accrue des articles manufacturés et des denrées agricoles. Aussi le commerce soviétique ignore-t-il les difficultés de réalisation et les crises d’écoulement inhérentes au capitalisme.

L’État soviétique et ses organes déterminent le volume et la structure de la production des objets de consommation courante, les sources et le montant des fonds de marchandises, les modalités d’une circulation rationnelle des marchandises ; ils règlent l’organisation et la distribution du réseau commercial. Ils répartissent les marchandises entre les différentes régions en tenant compte du pouvoir d’achat de la population, de ses revenus et de ses dépenses.

Le commerce en régime socialiste est donc la forme d’échange des marchandises par laquelle s’opère la liaison harmonieuse entre la ville et la campagne, la production socialiste et la consommation des masses, en vue de satisfaire les besoins croissants des travailleurs.

Le commerce soviétique est, par essence, dans l’obligation de tenir compte intégralement de la demande de la population, des goûts toujours plus affinés du consommateur, des particularités nationales et locales, des conditions climatiques, saisonnières et autres. Ainsi seulement le commerce peut être planifié de telle sorte que la masse des marchandises envoyées dans chaque région réponde à la demande non seulement par sa somme, c’est-à-dire quant à sa valeur, mais aussi par la variété de l’assortiment, c’est-à-dire par ses valeurs d’usage.

Le commerce soviétique influe activement sur la formation de la demande des consommateurs ; il contribue à faire entrer dans les mœurs des produits nouveaux. Il utilise dans ce but la publicité pour informer loyalement le consommateur des qualités et de la destination de telles ou telles marchandises, contrairement à la publicité capitaliste dont le but est d’enrichir le capitaliste aux dépens du consommateur. Le niveau et la corrélation des prix des marchandises vendues à la population sont un facteur important de la formation de la demande.

Si la population de l’U.R.S.S. a un pouvoir d’achat élevé, il ne s’ensuit nullement que toute marchandise est de ce fait assurée de trouver un écoulement. Avec les progrès du bien-être des masses, leurs besoins se diversifient, les consommateurs se montrent de plus en plus exigeants sur la qualité. Pour satisfaire plus complètement les besoins de la population, il est nécessaire d’éliminer les défauts dans la planification de la production des articles de consommation courante et du commerce ; celle-ci est pratiquée, souvent encore, sans tenir suffisamment compte de la demande et sans utiliser les possibilités existantes de production et d’écoulement d’un certain nombre de marchandises. Les organisations commerciales sont tenues de faire face rapidement aux fluctuations de la demande, de ne pas répartir les marchandises d’une manière mécanique, d’éviter toute erreur d’attribution dans les envois aux différentes régions, de desservir de mieux en mieux leurs clients, de tout faire pour la commodité de l’acheteur et d’économiser son temps.

Le rôle du commerce soviétique est d’influer activement sur la production en la poussant à fabriquer davantage de marchandises demandées par la population, à en améliorer la qualité, à élargir et à perfectionner leur assortiment. Les principaux moyens d’action du commerce soviétique sur la production sont les contrats conclus entre les organisations commerciales et industrielles pour la fourniture de produits d’un assortiment et d’une qualité déterminés, la pratique généralisée des commandes préalables passées par les organisations commerciales à l’industrie, un contrôle rigoureux des marchandises livrées et l’application de sanctions pour toute dérogation aux clauses du contrat, jusques et y compris le refus de réceptionner les articles de mauvaise qualité. Pour renforcer l’influence active qu’exerce le commerce soviétique sur la production, on doit répandre la pratique des contrats passés directement par les organisations et entreprises commerciales locales avec les entreprises productrices.

Une planification correcte du commerce suppose la coordination de l’approvisionnement centralisé avec une large initiative laissée aux organes locaux pour mobiliser les ressources en marchandises, ainsi qu’une responsabilité accrue quant à l’approvisionnement de la population. Dans ce système, la quantité des marchandises acheminées vers telle ou telle région dans le cadre de l’approvisionnement centralisé dépend de l’utilisation qui y est faite des possibilités locales de mobilisation des ressources en marchandises. Les organismes locaux sont ainsi mieux intéressés à l’accroissement de la production et des stockages locaux.

L’accroissement du rôle des organismes locaux dans la planification du commerce fait mieux connaître les demandes de la population, donne plus de souplesse et d’efficience au travail des organisations commerciales appelées à favoriser par tous les moyens l’entrée dans le commerce d’un nombre toujours plus grand de nouvelles ressources locales supplémentaires.

La circulation des marchandises dans le pays est conditionnée par l’emplacement des régions de production, par le niveau et la structure de la demande consommatrice par régions. La régularité des transports, dont dépend dans une grande mesure la rapidité avec laquelle s’effectue la circulation des marchandises, est à cet égard d’une grande importance.

Outre la circulation des marchandises, les organismes de commerce et de stockage assurent le transport, la conservation, le triage et l’emballage des marchandises, autrement dit poursuivent le processus de production dans la sphère de la circulation.

Le commerce assure la rentrée régulière, dans le secteur d’État et dans celui des kolkhoz, des fonds nécessaires pour renouveler et étendre la production. C’est de la rapidité avec laquelle les marchandises sont réalisées que dépend en grande partie la rapidité de la rotation des fonds dans l’ensemble de l’économie nationale. Et c’est par l’entremise du commerce que l’industrie socialiste produisant des biens de consommation reçoit l’argent qui sert à couvrir ses dépenses et constitue le revenu net des entreprises ainsi que le revenu net centralisé de l’État. Une partie de l’argent retiré par les industries légère et alimentaire de la vente des marchandises revient à l’industrie lourde en paiement des moyens de production. La réalisation régulière des marchandises par le commerce soviétique assure la rentrée en temps voulu dans le fonds général de l’État de ressources monétaires qui seront utilisées dans l’ensemble de l’économie nationale. La vente par les kolkhoz et les kolkhoziens de leur production marchande est la source de leurs revenus en argent, qui servent à renforcer et à développer l’économie collective des kolkhoz et à satisfaire les besoins personnels des kolkhoziens.

Le développement du commerce soviétique, l’augmentation de la masse des marchandises vendues aux prix fermes établis par le plan sont un facteur essentiel de la solidité croissante de la monnaie soviétique.

Avec le progrès de la production socialiste et le mieux-être de la population, le commerce prend toujours plus d’ampleur et sa structure s’améliore : la part des marchandises de haute qualité et de valeur augmente, l’assortiment s’enrichit.

De 1928 à 1940, le volume du commerce d’État et coopératif de détail a été multiplié (à parité de prix) par 2,3 en U.R.S.S., alors que, dans les pays capitalistes, il était, à la veille de la seconde guerre mondiale, au-dessous du niveau de 1929. En 1954, le commerce de détail (à parité de prix) avait doublé en U.R.S.S. par rapport à 1940, et augmenté de 80 % par rapport à 1950, tandis que le volume du commerce intérieur augmentait à peine par rapport au niveau de 1950 aux États-Unis et restait à peu près stationnaire en Angleterre.

En 1954, les magasins de l’État et des coopératives ont, par rapport à 1940, vendu à la population 2,8 fois plus de viande, plus de 2 fois plus de poisson et de produits dérivés, 2,6 fois plus de beurre, plus de 3 fois plus d’huile et d’autres matières grasses, 2,8 fois plus de sucre, 2,5 fois plus de tissus, dont près de 3 fois plus de tissus de laine et 6 fois plus de tissus de soie ; plus de 2 fois plus de chaussures, plus de 6 fois plus de montres, plus de 7,5 fois plus de machines à coudre, près de 12 fois plus de bicyclettes, 18 fois plus de postes de radio.

Les tâches du cinquième plan quinquennal relatives au volume du commerce ont été réalisées en quatre ans. De 1950 à 1955, la masse des marchandises fournies à la population par le commerce de l’État et des coopératives a presque doublé.

Toutefois, le niveau actuel du commerce retarde encore sensiblement sur le pouvoir d’achat accru des masses laborieuses. L’ensemble des mesures appliquées par le Parti communiste et l’État soviétique pour assurer un vigoureux essor de l’agriculture et l’augmentation de la production d’articles d’usage courant créent les conditions indispensables à un développement considérable du commerce à la ville et à la campagne conformément à l’accroissement de la demande. La base matérielle et technique du commerce soviétique se renforce, les entrepôts et les magasins, notamment les magasins spécialisés, se multiplient. Le passage graduel du socialisme au communisme exige le développement au maximum du commerce soviétique.