Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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35.6. La rente différentielle en régime socialiste.

Un certain nombre de conditions économiques et naturelles concourent à la formation d’une rente différentielle dans les kolkhoz. Celle-ci est due au fait que, premièrement, la terre nationalisée, bien du peuple entier, remise aux kolkhoz en jouissance perpétuelle et gratuite est mise en valeur par des kolkhoz différents, fondés sur la propriété coopérative-kolkhozienne, propriété de groupe ; deuxièmement, en économie marchande, des marchandises produites dans des conditions différentes de productivité du travail sont vendues au même prix.

Les terres des kolkhoz diffèrent par la fertilité, la situation et l’efficacité de leur mise en valeur, qui dépend surtout de la mécanisation de l’agriculture. Étant donné que les meilleures terres sont en quantité limitée, la société socialiste se voit contrainte de cultiver aussi des terrains moins fertiles pour satisfaire ses besoins en produits agricoles. Le travail de kolkhoziens placés dans des conditions dissemblables a une productivité différente. Les kolkhoz dont la productivité du travail diffère obtiennent une quantité différente de produits agricoles à l’hectare. Autrement dit, ils ne dépensent pas la même quantité de travail par unité de produit obtenue.

Les kolkhoz dont le travail s’exerce sur les meilleures terres, dans des conditions de production et d’écoulement plus favorables, créent un revenu supplémentaire par rapport aux kolkhoz travaillant sur des terres moins fertiles, dans de moins bonnes conditions. Sous sa forme naturelle, ce revenu se compose de produits agricoles : céréales, coton, viande, lait, laine, etc. Une partie de ce revenu supplémentaire est dépensée en nature, une autre partie est réalisée en argent.

Tout ce que produisent les kolkhoz est leur propriété ; aussi les revenus supplémentaires résultant d’une productivité du travail supérieure (par exemple, sur des terrains meilleurs, plus fertiles) deviennent-ils également la propriété des kolkhoz.

Les revenus supplémentaires réalisés en argent par les kolkhoz sont liés aux particularités de la formation des prix dans l’agriculture. Tout le revenu supplémentaire créé dans le kolkhoz et exprimé en argent, est constitué par la différence entre les frais sociaux de production (ou valeur sociale) du produit agricole et les frais individuels de production (ou valeur individuelle) de ce produit. Dans quelle mesure cette différence est-elle réalisée par les kolkhoz ? Cela dépend du niveau des prix.

Le fait que les meilleures terres sont en quantité limitée ne peut manquer d’influer sur le niveau des prix des produits agricoles. Il convient, quand on établit les prix, d’assurer une culture rémunératrice de telle ou telle plante, non seulement dans les meilleures conditions de production, mais aussi dans les plus mauvaises.

La production obtenue par les kolkhoz dans des conditions différentes de productivité du travail est réalisée par eux à des prix de stockage et d’achat identiques pour une zone déterminée, ou encore au même prix sur les marchés kolkhoziens. Par suite, les kolkhoz où la productivité du travail est plus élevée qu’ailleurs bénéficient de revenus en argent supplémentaires.

La rente différentielle des kolkhoz est le revenu net supplémentaire, en nature ou en argent, obtenu par les kolkhoz disposant de terrains plus fertiles ou mieux situés, ou encore utilisant la terre de façon plus productive.

En régime socialiste, la rente différentielle se distingue foncièrement de ce qu’elle est en régime capitaliste. Elle résulte non de l’exploitation, mais de l’effort commun des kolkhoziens travaillant pour eux-mêmes, pour leur exploitation collective, ainsi que du travail du personnel des S.M.T. desservant les kolkhoz. En régime socialiste, elle ne prend pas la forme de fermage et revient non à la classe des grands propriétaires fonciers, mais aux kolkhoz, aux kolkhoziens, et aussi à l’État socialiste.

Il convient de distinguer deux formes de rente différentielle.

La rente différentielle I est le revenu net supplémentaire créé par les kolkhoz auxquels ont été attribuées les meilleures terres, ou qui sont situés plus près des centres d’écoulement. À conditions égales, le niveau de mécanisation et le système d’agriculture étant les mêmes, les kolkhoz situés sur de meilleures terres obtiennent par hectare plus de produits que les kolkhoz disposant de terres moins fertiles. Une productivité du travail supérieure procure aux kolkhoz situés sur les meilleures terres des revenus plus élevés.

Le transport des produits demande moins de travail et de moyens aux kolkhoz se trouvant plus près des gares, des quais d’embarquement, des centres de stockage, des villes et autres points d’écoulement. Dans ces kolkhoz, les dépenses par unité de produit sont de ce fait inférieures à celles des kolkhoz éloignés des points d’écoulement. Les kolkhoz avantagés sous ce rapport reçoivent eux aussi un revenu supplémentaire.

La rente différentielle II est le revenu net supplémentaire créé dans les kolkhoz où le système d’agriculture appliqué dans l’économie collective est plus intensif.

Les kolkhoz où le niveau de mécanisation est plus élevé, qui fertilisent le sol par des travaux d’amélioration, des engrais, etc., qui disposent d’une plus grande quantité de bétail hautement productif, bref où l’exploitation est plus intensive, obtiennent par hectare de terre plus de produits que les autres. Grâce à une productivité du travail supérieure, une exploitation intensive dépense moins de travail par unité de produit et obtient, en nature et en argent, des revenus plus élevés. Cela incite les kolkhoz à intensifier l’agriculture.

La répartition de la rente différentielle en régime socialiste présente les particularités suivantes. Étant donné que la rente différentielle I, obtenue dans les kolkhoz, n’exige pas de leur part de dépenses supplémentaires de moyens de production et de travail, elle doit être affectée aux besoins du peuple entier. Dans la « Loi fondamentale sur la socialisation de la terre », signée par Lénine, il est dit :

Le revenu supplémentaire résultant de la fertilité naturelle des meilleures terres, ainsi que leur situation plus avantageuse par rapport aux marchés d’écoulement, est affecté aux besoins de la société et mis à la disposition des organes du pouvoir soviétique. (« La Politique agraire du pouvoir des Soviets (1917-1918) », Documents et matériaux, p. 137, Académie des Sciences de l’U.R.S.S., 1954 (éd. russe).)

Du fait que la rente différentielle II résulte de l’intensification de l’agriculture grâce à des investissements supplémentaires de moyens de production et de travail pour une même superficie de terrain par les kolkhoz et les S.M.T., elle doit être répartie entre eux proportionnellement aux frais engagés.

La partie de la rente différentielle reçue par les kolkhoz concourt au développement de leur exploitation collective, à l’élévation du niveau d’existence matérielle et culturelle des kolkhoziens. Une partie est versée à l’État, pour les besoins du peuple entier, par différents canaux : d’abord par les paiements en nature à la S.M.T., où est incorporé le revenu net supplémentaire créé par le travail du personnel de la S.M.T., le taux des paiements en nature différant sensiblement selon les zones et une partie de la récolte en sus du plan étant versée à la S.M.T. pour le dépassement des plans de rendement des cultures ; ensuite, par le système des stockages d’État, puisque les prix de stockage supposent la redistribution d’une partie du revenu net des kolkhoz pour couvrir les dépenses générales de l’État, et que les normes de livraisons obligatoires par les kolkhoz à l’État varient selon les conditions de la production dans les diverses régions ; enfin, dans une certaine mesure, par l’impôt sur le revenu des kolkhoz, dont le chiffre dépend du montant des revenus kolkhoziens.