Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Tout ce qui, dans la société socialiste, est produit et réalisé comme marchandise a une valeur d’usage, créée par le travail concret, et une valeur, créée par le travail abstrait. En d’autres termes, en régime socialiste, la marchandise a un double caractère déterminé par le double caractère du travail incarné dans la marchandise.
Ce double caractère du travail, en régime socialiste, diffère foncièrement du double caractère du travail dans l’économie marchande simple et dans l’économie capitaliste. Le régime socialiste abolit la contradiction entre le travail privé et le travail social, qui caractérise la production marchande fondée sur la propriété privée. Dans l’économie socialiste, nous l’avons déjà dit, le travail est non pas privé, mais directement social. La société planifie le processus de production, la répartition du travail entre les différentes branches de l’économie nationale et les différentes entreprises. C’est pourquoi, dans l’économie socialiste, le fétichisme de la marchandise a disparu et les rapports sociaux entre les hommes ne prennent pas l’apparence fallacieuse de rapports entre les choses.
Cependant, en régime socialiste, il existe dans le caractère directement social du travail des différences suivant qu’il s’agit d’entreprises d’État ou de kolkhoz ; ces différences découlent de celles qui distinguent les deux formes de propriété socialiste des moyens de production. Dans les entreprises d’État, le travail est socialisé à l’échelle nationale, et les produits du travail appartiennent donc à toute la société, incarnée par l’État socialiste. Dans les kolkhoz, le travail est socialisé dans le cadre de chaque artel agricole, et les produits du travail sont donc la propriété de l’artel. De plus, les kolkhoziens appliquent aussi leur travail dans leur exploitation auxiliaire personnelle, qui joue un rôle subalterne. Le travail dans l’exploitation auxiliaire est un travail personnel ; il n’est pas directement social.
L’existence, conditionnée par les deux formes de propriété sociale, de différents degrés de socialisation du travail dans les entreprises d’État et les kolkhoz, ainsi que de relations marchandes entre l’industrie d’État et les kolkhoz, exclut la possibilité d’exprimer et de confronter directement, en temps de travail, le travail social dépensé pour obtenir les produits dans le secteur d’État et dans le secteur kolkhozien. D’où la nécessité de recourir à un biais et de trouver une commune mesure du travail social dépensé pour obtenir les produits industriels et kolkhoziens en recourant à la valeur et à ses formes. On y parvient en ramenant les différentes formes du travail concret des ouvriers et des kolkhoziens au travail abstrait qui crée la valeur de la marchandise.
L’État socialiste, qui dirige l’économie nationale selon un plan, tient compte des deux aspects de la marchandise considérée comme valeur d’usage et comme valeur. Il exige de ses entreprises des produits déterminés, des valeurs d’usage bien définies. Si la valeur d’usage n’intéresse le capitaliste que comme support de la valeur et de la plus-value, la création de valeurs d’usage et l’amélioration de la qualité des produits revêtent dans l’économie socialiste une importance exceptionnelle en tant que telles, car la production s’y propose d’assurer la satisfaction maxima des besoins croissants de toute la société.
Dans l’économie socialiste, la valeur de la marchandise a, elle aussi, une importance considérable. L’État planifie la production à l’aide d’indices exprimés en nature et à l’aide d’indices exprimés en monnaie. La diminution méthodique de la valeur des marchandises produites et, par suite, la baisse des prix, tiennent une place importante dans les efforts déployés pour satisfaire au maximum les besoins de la société.
L’économie socialiste ignore l’antagonisme entre la valeur d’usage et la valeur, antagonisme lié a la possibilité de crises de surproduction. Cependant, une contradiction non-antagoniste entre la valeur d’usage et la valeur peut surgir même en régime socialiste. L’économie socialiste donne toutes les possibilités d’accomplir les plans de production, en monnaie comme en nature. Mais cette possibilité ne devient pas toujours réalité. Au cours de l’édification économique, la contradiction entre la valeur d’usage et la valeur se manifeste, par exemple lorsqu’il y a un excédent de marchandises, celles-ci ne pouvant être vendues du fait de leur mauvaise qualité, parce qu’elles ne correspondent pas à la demande, etc., ou bien quand certaines entreprises, cherchant à produire des articles plus avantageux pour elles, n’exécutent pas le plan sous le rapport de l’assortiment et de la qualité de la production. Les contradictions de ce genre sont mises en lumière et résolues grâce à la gestion planifiée de l’économie.
Dans l’économie socialiste, il existe une différence entre le travail complexe (qualifié) et le travail simple, le travail complexe étant ramené à du travail simple. On prend en considération la corrélation entre le travail complexe et le travail simple lorsqu’on dresse les plans de production, lorsqu’on détermine les normes de rendement, et aussi quand on fixe le taux des salaires, de la rémunération du travail selon la qualification, etc.
Le montant de la valeur des marchandises produites et réalisées dans l’économie socialiste est déterminé par le temps de travail socialement nécessaire pour les produire. On appelle temps de travail socialement nécessaire le temps de travail moyen dépensé par les entreprises qui livrent le gros des produits dans la branche d’activité considérée. Le temps socialement nécessaire est une grandeur qui a une existence objective. Le temps de travail socialement nécessaire pour produire une unité de marchandise détermine la grandeur de la valeur sociale de la marchandise. Le temps réellement exigé dans les différentes entreprises pour produire une unité de marchandise constitue le temps de travail individuel, qui définit la grandeur de la valeur individuelle de la marchandise pour chacune de ces entreprises.
En régime capitaliste, le temps socialement nécessaire s’établit spontanément, à l’insu des producteurs de marchandises. Dans l’économie socialiste, l’État, se fondant sur les conditions économiques objectives et les lois économiques du socialisme, établit un plan prévoyant l’élévation de la productivité du travail et la diminution du prix de revient de la production, fixe les normes de dépense de travail et de matériaux pour chaque entreprise ; par là même, il influe dans le cadre du plan, pour la diminuer, sur la grandeur du temps socialement nécessaire à la production d’une marchandise.
En régime capitaliste, la contradiction entre le temps de travail individuel et le temps de travail socialement nécessaire revêt un caractère antagonique. Les entreprises qui emploient un outillage plus perfectionné et réalisent un surprofit gardent jalousement le secret de leurs perfectionnements techniques et battent leurs concurrents, les acculant à la ruine et à la faillite. Dans l’économie socialiste, la contradiction entre le temps socialement nécessaire et le temps individuel dépensé dans les différentes entreprises ne prend pas un caractère antagonique. L’économie socialiste ignore le « secret commercial » : les réalisations techniques des entreprises d’avant-garde sont rapidement diffusées, ce qui assure un essor général de l’économie socialiste.
Les normes progressives de dépense de travail et de matériaux, établies en tenant compte de l’expérience des entreprises d’avant-garde, sont, pour l’État socialiste, un moyen efficace d’action planifiée sur la grandeur du temps socialement nécessaire. Ces normes sont un puissant stimulant, car elles incitent les dirigeants de l’économie et la masse des travailleurs à rationaliser la production, à utiliser un outillage perfectionné, à augmenter la productivité du travail et à abaisser le prix de revient. Quand elles sont couramment exécutées par la plupart des entreprises qui fournissent le gros de la production, elles coïncident de plus en plus avec la dépense de travail socialement nécessaire et cessent d’être progressives. Pendant ce temps, les entreprises d’avant-garde sont de nouveau parvenues à réduire la dépense de travail. Leur expérience permet d’établir de nouvelles normes progressives dont la réalisation entraîne, encore une fois, une diminution du temps socialement nécessaire.
Ce sont là autant de facteurs qui contribuent à l’accélération du progrès technique, au rapide accroissement des forces productives de la société socialiste.