Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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32.1. La nécessité de la production marchande en régime socialiste ; ses particularités.

La nécessité de la production marchande en régime socialiste résulte de l’existence de deux formes essentielles de production socialiste : la forme étatique et la forme kolkhozienne. Dans les entreprises d’État, les moyens de production et les objets produits sont propriété du peuple tout entier. Dans les kolkhoz, les moyens de production (bêtes de trait et bétail de rapport, matériel agricole, bâtiments d’exploitation, semences, etc.) et les produits obtenus sont propriété d’un groupe, propriété coopérative-kolkhozienne. Les moyens principaux, déterminants de la production agricole (la terre et les machines des S.M.T.), sont propriété d’État. La production des entreprises d’État appartenant à l’État socialiste, alors que celle des kolkhoz appartient à ces derniers, les relations économiques entre l’industrie et l’agriculture prennent nécessairement la forme d’échanges de marchandises par achat et vente. Et comme toujours quand il s’agit d’achat et de vente, le producteur de marchandises perd son droit de propriété sur la marchandise au profit de celui qui l’a acquise.

Lénine a indiqué que « échange des produits de la grande industrie (“socialisée”) contre les produits paysans, telle est la substance économique du socialisme » (V. Lénine, « Plan de la brochure L’Impôt en nature », Œuvres, t. 32, p. 342) ; que l’échange des marchandises permet de vérifier la justesse des rapports qui existent entre l’industrie et l’agriculture, entre la classe ouvrière et la paysannerie. Cette thèse de Lénine reste vraie pour toute la première phase du communisme. C’est avant tout dans les kolkhoz et chez les kolkhoziens, par la circulation marchande, par voie de stockage et d’achats, que l’État soviétique se procure des denrées alimentaires pour la population des villes et des matières premières pour l’industrie. À leur tour, les kolkhoz et les kolkhoziens ne peuvent se procurer l’argent dont ils ont besoin pour acquérir des produits industriels qu’en vendant leur production marchande à l’État, aux coopératives et sur les marchés kolkhoziens.

Ainsi, les produits agricoles et les matières premières que l’État et les coopératives reçoivent du secteur kolkhozien par voie de stockage et d’achats, aussi bien que les denrées agricoles vendues sur les marchés kolkhoziens par les kolkhoz et les kolkhoziens, sont des marchandises. Il en est de même pour les articles industriels, et surtout les objets de consommation individuelle, produits par les entreprises d’État et achetés par les kolkhoz et les kolkhoziens. Étant des marchandises, les produits industriels et agricoles de consommation courante parviennent à la population urbaine également par l’achat et la vente. Dans ce cas, les marchandises cessent d’être la propriété de l’État ou des coopératives ou la propriété personnelle des kolkhoziens pour devenir la propriété personnelle des ouvriers et des employés.

La production marchande est, en régime socialiste, une production marchande d’un type à part, une production marchande sans propriété privée des moyens de production, sans capitalistes. Elle est, dans l’essentiel, le fait de producteurs socialistes collectifs (État, kolkhoz, coopératives). Grâce à ces conditions économiques déterminantes que sont la propriété sociale des moyens de production, l’abolition du salariat et de l’exploitation de l’homme par l’homme, elle se trouve placée, en régime socialiste, dans des limites déterminées. Elle ne peut se transformer en production capitaliste ; elle est au service de la société socialiste.

La production marchande n’a pas ici une extension aussi illimitée et universelle qu’en régime capitaliste. En régime socialiste, la sphère de la production et de la circulation marchandes est limitée principalement aux objets de consommation individuelle ; la force de travail n’est pas une marchandise ; la terre et le sous-sol sont la propriété de l’État et ne peuvent être ni vendus, ni achetés. Les entreprises d’État — usines, fabriques, mines, centrales électriques avec leurs fonds fixes essentiels (instruments de production, bâtiments, installations, etc.) — ne sauraient être vendues ou achetées ; elles ne peuvent être remises par une organisation d’État à une autre qu’en vertu d’une autorisation spéciale, et ne sont donc pas des marchandises susceptibles d’être vendues et achetées.

Les moyens de production fabriqués dans le secteur d’État : machines, métaux, charbon, pétrole, etc., sont répartis pour la plupart entre les entreprises d’État. Les plans de l’économie nationale prévoient l’attribution à chaque entreprise de fonds matériels dont le montant est déterminé par son programme de production. Ces fonds sont fournis par les entreprises productrices aux entreprises consommatrices en vertu de contrats passés entre elles. Quand des moyens de production sont livrés à telle ou telle entreprise, l’État socialiste en conserve l’entière propriété. Lorsque des directeurs d’entreprise ont reçu de l’État socialiste des moyens de production, ils n’en deviennent pas pour autant les propriétaires ; ils sont les représentants de l’État, chargés par lui de les utiliser conformément aux plans qu’il a établis. Les machines agricoles essentielles : tracteurs, moissonneuses-batteuses, etc., ne sont pas vendues aux kolkhoz mais concentrées dans des entreprises d’État : les stations de machines et de tracteurs, qui les utilisent pour desservir les kolkhoz.

Les moyens de production achetés par les coopératives de production, les kolkhoz et les kolkhoziens : véhicules automobiles, équipements destinés à l’exploitation collective du kolkhoz, ciment, fer, briques, charbon, bois de charpente, machines agricoles simples et matériel divers, sont des marchandises. Les moyens de production vendus aux États étrangers le sont également. Dans ces cas, il y a vente et achat ; les marchandises changent de propriétaires.

Ainsi, les moyens de production fabriqués par des entreprises d’État et répartis à l’intérieur du secteur d’État ne sont pas, en fait, des marchandises. Mais étant donné que les objets de consommation, les matières premières agricoles et une partie des moyens de production sont des marchandises et que l’économie socialiste forme un tout dont les parties constituantes sont étroitement liées, les moyens de production circulant à l’intérieur du secteur d’État conservent, eux aussi, la forme marchandise. Ils sont donc exprimés en valeur et évalués en termes monétaires, ce qui est indispensable pour la réalisation de la gestion équilibrée, pour le recensement et la comptabilité.