Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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25.3. La collectivisation intégrale et la liquidation des koulaks en tant que classe.

Le tournant décisif de la paysannerie vers les kolkhoz se dessina en U.R.S.S. dans la seconde moitié de 1929. À cette époque, les conditions économiques et politiques de la collectivisation de l’agriculture existaient déjà. Les paysans moyens, autrement dit la masse fondamentale de la paysannerie, avaient pris le chemin du kolkhoz. Les paysans entraient aux kolkhoz non plus par groupes isolés, mais par villages et par districts entiers. Ce fut le début de la collectivisation intégrale dans les campagnes soviétiques.

Jusque-là, le Parti communiste et l’État soviétique avaient appliqué une politique de limitation et d’éviction des éléments capitalistes de la campagne. Mais cette politique ne supprimait pas la base économique des koulaks, n’entraînait pas leur liquidation en tant que classe. Cette politique était indispensable tant que les conditions d’une collectivisation intégrale n’avaient pas été réalisées, tant qu’il n’existait pas dans les campagnes un vaste réseau de kolkhoz et de sovkhoz capables de remplacer la production capitaliste des céréales par une production socialiste.

En 1926-1927, les koulaks produisirent 617 millions de pouds de blé dont ils vendirent 126 millions de pouds à titre d’échange en dehors des campagnes, alors que les sovkhoz et les kolkhoz ne produisaient que 80 millions de pouds, dont 37,8 millions de pouds de blé marchand. La situation changea radicalement en 1929, où les sovkhoz et les kolkhoz ne produisirent pas moins de 400 millions de pouds, dont 130 millions de pouds de blé marchand, c’est-à-dire plus que n’en produisaient les koulaks.

Le grand tournant des masses paysannes vers le socialisme marqua un regroupement des forces de classe dans le pays en faveur du socialisme, contre le capitalisme. Cela permit au Parti communiste et à l’État socialiste de passer de l’ancienne politique de limitation et d’éviction de éléments capitalistes à la campagne, à une politique nouvelle, celle de la liquidation des koulaks en tant que classe sur la base de la collectivisation intégrale.

Le passage à la collectivisation intégrale allait de pair avec une lutte acharnée des masses paysannes contre les koulaks. Ceux-ci opposaient à la collectivisation une résistance furieuse. La classe ouvrière conduisit les masses paysannes à l’assaut du dernier rempart du capitalisme dans le pays afin de triompher des koulaks dans une lutte ouverte sous les yeux de toute la paysannerie, et de convaincre les masses paysannes de la faiblesse des éléments capitalistes. Avec la collectivisation intégrale, les kolkhoz avaient désormais la jouissance de toutes les terres, autour des bourgs et des villages. Mais comme une partie notable du sol était détenue par les koulaks, les paysans qui s’organisaient en kolkhoz enlevaient aux koulaks la terre ainsi que le cheptel vif et mort, bref ils les « dékoulakisaient ». Le pouvoir des Soviets abolit les lois sur l’affermage du sol et l’emploi de la main-d’œuvre salariée. C’est ainsi que la liquidation des koulaks en tant que classe fit partie intégrante et nécessaire de la collectivisation intégrale.

La collectivisation respectait strictement les principes léninistes d’organisation des kolkhoz : adhésion librement consentie des paysans ; nécessité de tenir compte des particularités économiques et du niveau de culture des différentes régions du ays ; refus du passage direct à la commune en sautant par dessus l’artel agricole, principale forme d’organisation des kolkhoz.

La collectivisation intégrale et, sur cette base, la liquidation des koulaks en tant que classe, constituaient

une transformation révolutionnaire des plus profondes, un bond effectué de l’ancien état qualitatif de la société à un nouvel état qualitatif, équivalant par ses conséquences à la Révolution d’Octobre 1917. (Histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S., p. 430, éditions en langues étrangères, Moscou, 1953.)

C’était une révolution qui mettait fin dans les campagnes à l’ancien régime économique bourgeois, celui de l’exploitation paysanne individuelle, et instituait un régime nouveau, kolkhozien, socialiste. Cette révolution avait ceci d’original qu’elle avait été accomplie d’en haut, sur l’initiative du pouvoir d’État soutenu directement d’en bas par des millions de paysans en lutte contre l’emprise des koulaks, pour la libre vie kolkhozienne.

Cette révolution résolvait un certain nombre de problèmes fondamentaux de la construction du socialisme.

Premièrement, elle faisait disparaître la classe d’exploiteurs la plus nombreuse dans le pays, celle des koulaks. La liquidation des koulaks en tant que classe, sur la base de la collectivisation intégrale, joua un rôle décisif dans la destruction des classes exploiteuses. La question de savoir « qui l’emporterait » était tranchée en faveur du socialisme non seulement à la ville, mais aussi à la campagne. Les dernières racines d’une restauration du capitalisme à l’intérieur du pays étaient supprimées.

Deuxièmement, elle faisait passer la classe laborieuse la plus nombreuse du pays, celle des paysans, de l’économie individuelle, qui engendre le capitalisme, à l’économie collective, kolkhozienne, socialiste, s’acquittant ainsi de la tâche historique la plus difficile de la révolution prolétarienne.

Troisièmement, elle donnait au pouvoir des Soviets une base socialiste dans le domaine le plus vaste, le plus indispensable à l’existence, mais aussi le plus arriéré de l’économie nationale : l’agriculture, qui se développa dès lors comme l’industrie sur la base de la propriété sociale des moyens de production. Ainsi fut levée une des contradictions les plus profondes de la période de transition, la contradiction entre la grande industrie socialiste et la petite économie paysanne individuelle ; ainsi fut supprimée la base de l’opposition entre la ville et la campagne.

Les rapports de production anciens, capitalistes et petits-bourgeois qui freinaient les forces productives, furent remplacés à la campagne par des rapports de production nouveaux, socialistes. Les forces productives dans l’agriculture reçurent de la sorte toute latitude pour se développer.