Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Cette tâche historique grandiose de collectivisation de millions de petites exploitations paysannes demandait à être préparée. Si le développement du capitalisme a préparé les conditions matérielles d’une transformation socialiste de l’industrie, dans l’agriculture, ces conditions doivent être pour une large part créées au cours de la période de transition.
La politique économique du Parti communiste et de l’État soviétique à la campagne avant la collectivisation intégrale visait à venir en aide par toutes les mesures praticables aux couches pauvres et moyennes de la paysannerie, et à limiter les velléités exploiteuses de la bourgeoisie rurale. Les pauvres — 35 % de la population paysanne — furent entièrement exemptés d’impôts. Dans l’État socialiste, la législation du travail protégeait jalousement les intérêts des paysans pauvres et des ouvriers agricoles. Les aménagements fonciers dans les exploitations pauvres et les exploitations moyennes économiquement faibles étaient exécutés gratuitement aux frais de l’État. Celui-ci avait organisé des stations de louage de machines qui prêtaient assistance avant tout aux exploitations pauvres. Des crédits, des prêts de semences et de denrées étaient accordés à des conditions avantageuses aux paysans pauvres et moyens. L’aide dans le domaine agronomique, la fourniture d’engrais minéraux, la lutte contre la sécheresse, les grands travaux d’irrigation, etc. organisés par l’État contribuèrent dans une mesure importante aux progrès de l’économie paysanne. Par ailleurs, le Parti communiste et l’État soviétique limitaient et évinçaient les éléments capitalistes de la campagne en frappant les koulaks d’un impôt majoré, en diminuant le taux des fermages et en limitant l’emploi des salariés, en interdisant la vente et l’achat de la terre.
L’objectif essentiel de l’édification du socialisme à la campagne était d’amener les masses paysannes à abandonner l’ancienne voie de la propriété privée pour s’engager dans la voie nouvelle, socialiste, celle des kolkhoz, sous la direction de la classe ouvrière appuyée sur la grande industrie socialiste.
La nationalisation de la terre en U.R.S.S. avait affranchi le petit paysan de son attachement servile à son lopin de terre et lui avait ainsi rendu plus facile le passage de la petite économie paysanne à la grande exploitation collective. Elle créa des conditions favorables à l’organisation dans l’agriculture de grandes exploitations socialistes désormais exonérées de toutes les dépenses improductives qu’occasionnaient l’achat de terres et le paiement de la rente foncière.
Le développement systématique d’une industrie socialiste, clé de la transformation socialiste de l’agriculture, joua un rôle décisif dans la préparation de la collectivisation. Dès les premières années de l’industrialisation, il fut procédé à la construction sur une grande échelle d’usines produisant des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et autres machines agricoles perfectionnées. Au cours du seul premier plan quinquennal, l’agriculture soviétique reçut 160 000 tracteurs (calculés en tracteurs de 15 CV). Ainsi fut créée une base industrielle fournissant à la campagne des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et d’autres machines agricoles.
L’adhésion massive des paysans aux kolkhoz fut préparée par le développement de la coopération agricole. Le premier stade de la coopération des exploitations paysannes est l’association pour l’écoulement des produits agricoles et l’achat en commun d’articles industriels, ainsi que la coopération dans le domaine du crédit. À côté des formes spéciales de coopération agricole — pour la fabrication de l’huile, la culture du lin ou de la betterave, le crédit mutuel, etc. la coopération artisanale a une importance considérable. Ces différentes formes de coopération jouent un grand rôle dans le passage de l’économie paysanne individuelle à la grande exploitation collective. Elles habituent de larges couches de la paysannerie à la gestion collective des affaires économiques. À ce stade, l’alliance entre l’industrie socialiste et l’économie paysanne est principalement une alliance commerciale, qui est réalisée par l’extension du commerce d’État et du commerce coopératif, et par l’éviction du capital privé de la circulation des marchandises. Les paysans sont de la sorte libérés de l’exploitation exercée par les commerçants et les spéculateurs. Les coopératives de consommation à la campagne, qui font le commerce des objets de consommation personnelle, jouent en l’occurrence un rôle important.
Dans les rapports entre l’État et les associations coopératives, le système des contrats, qui est une forme de commerce organisé et la forme la plus simple d’alliance économique entre la ville et la campagne, a une grande importance. Ce commerce est réglé par des contrats en vertu desquels l’État passe aux producteurs groupés en coopératives et aux paysans individuels la commande d’une quantité déterminée de denrées agricoles, fournit aux coopératives des semences, des instruments de production et stipule l’application des meilleurs procédés de culture (semailles en ligne, emploi de graines sélectionnées, d’engrais, etc.), achète leur production marchande pour assurer des vivres à la population et des matières premières à l’industrie. Ce système est avantageux pour les deux parties et rattache les coopératives et les exploitations paysannes individuelles à l’industrie directement, sans l’intermédiaire de commerçants privés.
Le stade supérieur de la coopération paysanne est l’organisation d’exploitations collectives, ou kolkhoz, qui marquent le passage à la grande production socialisée. Le kolkhoz est une association coopérative de production reposant sur l’adhésion librement consentie des paysans ; il est fondé sur la propriété sociale des moyens de production et le travail collectif, qui excluent l’exploitation de l’homme par l’homme.
Les premiers kolkhoz, créés peu après la Révolution socialiste, jouèrent un rôle important dans la préparation de la collectivisation générale. Les paysans se convainquirent sur leur exemple des avantages que présentent les formes d’économie collectives par rapport à l’exploitation individuelle.
Jusqu’à la collectivisation intégrale, les coopératives pour le travail en commun de la terre (T.O.Z.), où la jouissance du sol et le travail étaient collectifs, mais où le cheptel vif et mort restait la propriété privée du paysan, étaient la forme de kolkhoz la plus répandue. Avec la collectivisation générale, il s’avéra que ces coopératives étaient un stade déjà dépassé. Dans certaines régions furent organisées des communes agricoles où non seulement tous les moyens de production mais aussi l’exploitation personnelle du kolkhozien étaient socialisés. Ces communes n’étaient pas viables, car elles étaient apparues alors que la technique était peu développée et que l’on manquait de produits ; on y pratiquait la répartition égalitaire des objets de consommation. Les paysans décidèrent eux-mêmes de les transformer en artels agricoles.
La forme principale d’organisation kolkhozienne devint l’artel agricole. L’artel repose sur la socialisation des principaux moyens de production des paysans et sur le travail collectif de ces derniers, qui conservent la propriété personnelle d’une exploitation auxiliaire dont l’importance est déterminée par les Statuts de l’artel agricole.
Le rôle capital de la grande industrie socialiste dans la collectivisation de l’agriculture s’exerce par l’intermédiaire des stations de machines et de tracteurs (S.M.T.) Celles-ci sont des entreprises socialistes d’État dans l’agriculture, qui centralisent les tracteurs, les moissonneuses-batteuses et les autres machines agricoles complexes, et desservent les kolkhoz en vertu d’un contrat. La S.M.T. est la base industrielle de la grande agriculture collective. La S.M.T. concilie au mieux l’initiative des masses kolkhoziennes pour l’édification et le développement de leurs exploitations collectives avec la direction et l’aide de l’État socialiste. Les S.M.T. constituent un moyen des plus efficaces de mener à bien la réorganisation socialiste de l’agriculture, ainsi que le moyen fondamental permettant d’établir entre l’industrie et l’agriculture une alliance sur le plan de la production. En vertu de cette alliance, la grande industrie socialiste fournit à l’agriculture des machines et d’autres moyens de production, la dote d’un outillage nouveau et perfectionné.
Les grandes entreprises agricoles d’État, organisées par l’État socialiste sur une partie des terres ayant appartenu aux gros propriétaires fonciers, ainsi que sur les terres libres du fonds d’État, jouent un rôle important dans la transformation socialiste de l’agriculture. En U.R.S.S., des exploitations d’État (sovkhoz) ont été créées dès la première année de la Révolution socialiste. Le sovkhoz est une grande entreprise socialiste où les moyens de production et la production elle-même appartiennent à l’État. C’est des sovkhoz que proviennent une partie importante des denrées alimentaires et des matières premières dont dispose l’État. Exploitations socialistes, où la mécanisation est très poussée et le rendement marchand élevé, les sovkhoz ont permis aux paysans de se convaincre des avantages de la grande économie socialiste, les ont aidés de leurs tracteurs, leur ont fourni des semences sélectionnées et du bétail de race. Ils ont facilité le tournant des masses paysannes vers le socialisme, vers la collectivisation.
Le régime kolkhozien s’est constitué avec le concours de la classe ouvrière tant sur le plan financier que sur celui de l’organisation. L’État soviétique a dépensé des sommes considérables pour financer la création des kolkhoz et des sovkhoz. Dans les premières années du mouvement kolkhozien de masse les meilleurs militants du Parti et des dizaines de milliers d’ouvriers d’avant-garde ont été envoyés à la campagne où ils ont apporté aux paysans une aide précieuse pour l’organisation des exploitations collectives.
L’éducation politique des masses paysannes par le Parti communiste a joué un rôle important dans la préparation de la collectivisation.
Le tournant des masses paysannes vers la collectivisation exigeait une lutte de classe intransigeante contre les koulaks. La résistance du koulak à la politique du pouvoir des Soviets à la campagne s’accentua en 1927-1928, quand le pays des Soviets connut des difficultés d’approvisionnement en céréales. Les koulaks sabotaient le stockage du blé, se livraient à des actes de terrorisme contre les kolkhoziens, les militants du Parti et les représentants de l’administration soviétique, incendiaient les bâtiments des kolkhoz et les dépôts de blé de l’État. La politique de lutte résolue contre le koulak, pour la défense des intérêts de la paysannerie laborieuse, groupa plus étroitement autour du Parti communiste et de l’État soviétique la masse des paysans pauvres et moyens.