Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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25.1. La nécessité historique de la collectivisation de l’agriculture. Le plan coopératif de Lénine.

Pour construire le socialisme, il faut non seulement industrialiser un pays, mais aussi réaliser la transformation de son agriculture. Le socialisme est un système économique où l’industrie et l’agriculture étroitement associées ont pour base la propriété sociale des moyens de production et le travail collectif.

La transformation socialiste de l’agriculture est, après la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, la tâche la plus difficile de la révolution. L’agriculture des pays capitalistes n’a pas atteint le même degré de socialisation capitaliste de la production que l’industrie, où la révolution socialiste trouve une grande production fortement concentrée. Les petites exploitations paysannes morcelées y sont numériquement prépondérantes. Tant que la petite économie individuelle reste la forme prédominante de la production agricole, subsiste une base pour le régime économique bourgeois à la campagne, ainsi que pour l’exploitation de la paysannerie pauvre et d’une importante fraction de la paysannerie moyenne par la bourgeoisie rurale. Le système de la petite production marchande est incapable d’arracher les masses paysannes à la misère et à l’oppression.

Le seul moyen, pour les masses laborieuses de la paysannerie, de se libérer de toute exploitation, de la misère et de la ruine, c’est de s’engager sur la voie du socialisme. Le marxisme-léninisme répudie comme insensées et criminelles l’expropriation des petits et des moyens producteurs et la transformation de leurs moyens de production en propriété d’État, car ceci rendrait impossible la victoire de la révolution prolétarienne et rejetterait pour longtemps la paysannerie dans le camp des ennemis du prolétariat. Engels écrivait :

Lorsque nous serons au pouvoir, nous ne pourrons songer à exproprier par la force les petits paysans (que ce soit avec ou sans indemnité), comme nous serons obligés de le faire pour les grands propriétaires fonciers. Notre devoir envers le petit paysan est, en premier lieu, de faire passer sa propriété et son exploitation individuelles à l’exploitation coopérative, non en l’y contraignant, mais en l’y amenant par des exemples et en mettant à sa disposition le concours de la société.

F. Engels, La Question paysanne en France et en Allemagne, p. 22. Éditions sociales, 1956.

Le plan de Lénine pour construire une société socialiste s’inspirait du fait que la classe ouvrière doit bâtir le socialisme en alliance avec la paysannerie. Le plan, dressé par Lénine, pour faire passer les paysans de la petite exploitation privée à la grande économie socialiste grâce à la coopération, est partie intégrante du plan d’ensemble de l’édification du socialisme.

Le plan coopératif de Lénine repose sur le fait que, sous la dictature du prolétariat, la coopération constitue le moyen le plus compréhensible, le plus avantageux et le plus accessible aux millions de paysans pour passer de l’économie individuelle morcelée aux grandes associations de production, aux exploitations collectives. La première condition économique du groupement des grandes masses paysannes en coopératives de production, c’est de développer par tous les moyens une grande industrie socialiste, capable de réorganiser l’agriculture sur une base technique moderne. Pour entraîner la paysannerie à participer à l’édification socialiste, il faut commencer par les formes les plus simples de la coopération pour la vente et l’achat en commun, le crédit mutuel, pour passer ensuite graduellement à la coopération de production, à la coopération kolkhozienne. L’adhésion du paysan à la coopérative doit être entièrement volontaire. Avec la coopération des économies paysannes, on a trouvé la seule forme correcte permettant de concilier les intérêts personnels des paysans avec les intérêts de l’État, de faire participer la masse de la paysannerie à l’édification du socialisme sous la direction de la classe ouvrière.

Dans la société bourgeoise où les moyens de production appartiennent aux exploiteurs, la coopération est une forme capitaliste d’économie, les coopératives agricoles sont économiquement sous la coupe de la bourgeoisie qui exploite les masses paysannes. Dans un régime social où le pouvoir politique est aux mains des travailleurs et où les principaux moyens de production sont la propriété de l’État prolétarien, la coopération est une forme socialiste d’économie.

Or, le régime des coopérateurs civilisés, quand les moyens de production appartiennent à la société et que le prolétariat comme classe a triomphé de la bourgeoisie, c’est le régime socialiste.

V. Lénine : « De la coopération », Œuvres, t. 33, p. 484.

Partant des travaux de Lénine, Staline a formulé et développé un certain nombre de thèses nouvelles au sujet de la transformation socialiste de l’agriculture.

L’économie de la période de transition, avec ses nombreuses formes d’économie, comprend, d’une part, la grande industrie socialiste, fondée sur la propriété sociale des moyens de production, et d’autre part la petite économie paysanne reposant sur la propriété privée des moyens de production. La grande industrie est abondamment dotée d’un outillage perfectionné, alors que la petite agriculture paysanne privée repose sur une technique primitive et le travail manuel. La grande industrie se développe à un rythme rapide, selon le principe de la reproduction élargie, alors que, dans sa masse, la petite économie paysanne ne réalise pas tous les ans la reproduction élargie, et même n’est pas toujours en mesure d’effectuer la reproduction simple. La grande industrie est centralisée à l’échelle nationale et régie par un plan d’État, alors que la petite économie paysanne est morcelée et soumise à l’influence anarchique du marché. La grande industrie socialiste anéantit les éléments capitalistes, alors que la petite économie marchande en engendre sans cesse de nouveaux et dans de vastes proportions. L’État socialiste et l’édification du socialisme ne peuvent s’appuyer pendant une période plus ou moins longue sur deux bases différentes : l’industrie socialiste la plus grande et la plus concentrée, et la petite économie paysanne marchande, la plus morcelée et la plus arriérée. Cela entraînerait en définitive la désorganisation de toute l’économie nationale.

Ainsi, dans l’économie de la période de transition du capitalisme au socialisme, il y a inévitablement contradiction entre la grande industrie socialiste et la petite économie paysanne. Cette contradiction ne peut être levée qu’en engageant la petite exploitation paysanne dans la voie de la grande agriculture socialiste.

Les progrès de l’industrie socialiste et l’accroissement de la population urbaine au cours de la période de transition s’accompagnèrent en U.R.S.S. d’une augmentation rapide de la demande de produits agricoles. Mais les rythmes du développement de l’agriculture retardaient beaucoup sur ceux du développement de l’industrie. La progression était particulièrement lente dans la production céréalière, principale branche de l’agriculture. La petite économie paysanne, principal fournisseur de blé marchand, était elle-même semi-consommatrice et ne fournissait au marché que le dixième de la récolte globale des céréales. Bien qu’en 1926 les surfaces emblavées et la récolte des céréales eussent presque atteint le niveau d’avant-guerre, la production de blé marchand n’atteignait que la moitié du chiffre de 1913. La petite exploitation paysanne se montrait incapable de satisfaire la demande croissante de denrées alimentaires pour la population et de matières premières pour l’industrie.

Il existe deux voies pour passer à la grande exploitation dans l’agriculture : la voie capitaliste et la voie socialiste. La voie capitaliste, c’est l’apparition et le développement dans l’agriculture de grandes exploitations capitalistes fondées sur l’exploitation du travail salarié : ils s’accompagnent fatalement de l’appauvrissement et de la ruine des masses laborieuses de la paysannerie. La voie socialiste, c’est le groupement des petites exploitations paysannes en grandes exploitations collectives dotées d’un outillage perfectionné, qui affranchissent les paysans de leurs exploiteurs, de la misère et de la pauvreté, et garantissent une élévation constante de leur niveau matériel et culturel. Il n’existe point d’autre voie.

Le passage de la petite exploitation paysanne individuelle à la grande exploitation socialiste ne peut se faire spontanément. En régime capitaliste, la campagne suit d’elle-même la ville parce que l’économie capitaliste à la ville et la petite exploitation paysanne à la campagne sont, quant au fond, des formes d’économie de même type, qui reposent l’une et l’autre sur la propriété privée des moyens de production. Sous la dictature de la classe ouvrière, la petite paysannerie des campagnes ne peut suivre spontanément la ville socialiste. Lénine parlait de la tendance capitaliste et marchande de la paysannerie, par opposition à la tendance socialiste du prolétariat.

La ville socialiste entraîne à sa suite les petits paysans. De grandes exploitations socialistes sont organisées dans l’agriculture. L’industrie socialiste fournit à la campagne un outillage mécanique perfectionné. En même temps, des cadres sont formés, qui apprennent à se servir de la technique nouvelle. Dans l’agriculture font leur apparition de nouvelles forces productives auxquelles les anciens rapports de production de la petite économie paysanne ont cessé de correspondre. La loi de la correspondance nécessaire des rapports de production au caractère des forces productives engendre la nécessité de créer à la campagne des rapports de production nouveaux, socialistes, qui donnent libre cours aux forces productives. Ces rapports de production ne peuvent être créés que par le groupement des petites exploitations individuelles en grandes exploitations collectives.

Pour que la production socialiste puisse atteindre son but, c’est-à-dire pour qu’elle puisse satisfaire les besoins sans cesse croissants de la société, il faut une grande agriculture socialiste à grand rendement capable de fournir à l’industrie les matières premières et, à la population, les produits alimentaires. La satisfaction des exigences de la loi économique fondamentale du socialisme, l’accomplissement des tâches les plus importantes de l’édification du socialisme ainsi que la satisfaction des intérêts vitaux et essentiels de la paysannerie, ont donc pour condition indispensable la collectivisation de l’agriculture.

L’édification du socialisme impliquait la suppression des disproportions apparues entre le développement de l’industrie et celui de l’agriculture, la création de la grande production collective dans l’agriculture à côté de la grande industrie, ce qui traduisait les exigences de la loi du développement harmonieux, proportionné de l’économie nationale.

Ainsi, l’association graduelle des petites exploitations paysannes en coopératives de production, pourvues d’un outillage perfectionné, est une nécessité objective pendant la période de transition du capitalisme au socialisme. Le Parti communiste et l’État soviétique avaient conscience de la nécessité historique de la collectivisation. Ils rejetèrent la voie capitaliste de développement de l’agriculture comme funeste à la cause du socialisme, et choisirent la voie socialiste. Ils appliquèrent une politique conséquente de collectivisation de l’agriculture. Le 15e Congrès du P.C. (b) de l’U.R.S.S. (1927) reconnut

nécessaire d’assigner pour tâche primordiale le passage graduel des exploitations paysannes morcelées à la grande production (travail collectif de la terre sur la base de l’intensification et de la mécanisation de l’agriculture) grâce à une coopération toujours plus poussée de la paysannerie, en aidant et en encourageant par tous les moyens le développement des germes du travail agricole socialisé. (« Résolution du 15e Congrès du P.C. (b) de l’U.R.S.S. », Le P.C.U.S. dans les résolutions et décisions de ses congrès, de ses conférences et des assemblées plénières du Comité central, 2e partie, p. 317 (7e éd. russe).)

L’histoire de l’édification socialiste en U.R.S.S. a montré tout le bien-fondé du groupement des exploitations paysannes en coopératives de production. Après l’établissement du pouvoir de la classe ouvrière, cette voie de développement est la seule qui puisse conduire à la victoire du socialisme dans tous les pays où il existe une classe plus ou moins nombreuse de petits et de moyens paysans.