Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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23.4. Les types d’économie et les classes dans la période de transition. L’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie.

La nationalisation de la grande industrie, des transports, des banques, etc., donne naissance au type d’économie (secteur) socialiste. À côté de celle-ci, qui est fondée sur la propriété sociale des moyens de production, il existe encore, pendant la période de transition, des formes d’économie héritées du passé et fondées sur la propriété privée des moyens de production. Autrement dit, l’économie de la période de transition est une économie composite. Elle contient des types différents de rapports de production.

Comme l’indiquait Lénine, il existait en U.R.S.S. pendant la période de transition les cinq types d’économie suivants : 1. l’économie paysanne patriarcale ; 2. la petite production marchande ; 3. le capitalisme privé ; 4. le capitalisme d’État ; 5. l’économie socialiste.

L’économie paysanne patriarcale, fondée sur le travail personnel, était une petite économie presque entièrement naturelle, c’est-à-dire produisant surtout pour sa propre consommation.

La petite production marchande était une économie fondée sur le travail personnel et plus ou moins liée au marché. C’était surtout une économie de paysans moyens, qui produisait la plus grande partie du blé marchand, et aussi une économie d’artisans n’employant pas le travail salarié. Pendant la période de transition, cette forme d’économie engloba longtemps la majorité de la population du pays.

Le capitalisme privé était représenté par la classe d’exploiteurs la plus nombreuse, celle des koulaks (paysans riches), par les propriétaires d’entreprises industrielles capitalistes non nationalisées, pour la plupart petites et moyennes, ainsi que par les commerçants. Dans les entreprises capitalistes, qui employaient le travail salarié, la force de travail était une marchandise, les rapports d’exploitation continuaient d’exister, les capitalistes s’appropriaient la plus-value.

Le capitalisme d’État se présentait principalement sous forme de concessions accordées par le pouvoir des Soviets à des capitalistes étrangers, et d’entreprises appartenant à l’État cédées à bail à des capitalistes. Sous la dictature du prolétariat, le capitalisme d’État diffère profondément de ce qu’il est en régime bourgeois. Sous la dictature du prolétariat, c’est une forme d’économie strictement limitée par le pouvoir prolétarien et que celui-ci utilise pour lutter contre l’anarchisme petit-bourgeois, pour édifier le socialisme. Le capitalisme d’État n’a occupé qu’une place insignifiante dans l’économie de l’U.R.S.S.

La forme socialiste d’économie comprenait, premièrement, les fabriques, les usines, les moyens de transport, les banques, les sovkhoz (fermes soviétiques d’État), les entreprises commerciales et autres appartenant à l’État soviétique, et, deuxièmement, les coopératives de consommation, d’achat, de crédit mutuel, de production, — y compris les kolkhoz (fermes collectives), qui en sont une forme supérieure. Le type d’économie socialiste avait pour base la grande industrie mécanique. Dès le début de la période de transition, ce type d’économie supérieur à tous les autres joua un rôle déterminant dans l’économie du pays.

Dans le secteur socialiste de l’économie, la force de travail avait cessé d’être une marchandise, le travail avait perdu son caractère de travail salarié et était devenu un travail pour soi, pour la société. La plus-value avait disparu. On procéda graduellement à la planification du travail des entreprises nationalisées, à l’échelle de chaque branche d’industrie, puis de tout le secteur d’État. Par suite de l’instauration de la propriété socialiste des moyens de production, les produits fabriqués dans les entreprises d’État revenaient non aux capitalistes, mais à l’État, c’est-à-dire à l’ensemble du peuple laborieux.

L’existence de ces cinq types d’économie n’est nullement inévitable dans chaque pays qui bâtit le socialisme. Mais comme Lénine l’a enseigné — et comme l’expérience de l’histoire l’a maintenant confirmé — on a dans chaque pays, pendant la période de transition du capitalisme au socialisme, les principales formes suivantes d’économie sociale : le socialisme, la petite production marchande, le capitalisme. Les classes qui correspondent à ces formes d’économie sociale sont : la classe ouvrière, la petite bourgeoisie (surtout la paysannerie), la bourgeoisie. L’économie, les rapports entre les classes, et par suite, les principes généraux de la politique économique pendant la période de transition ont dans tous les pays, des traits essentiels communs, ce qui n’exclut pas l’existence dans chaque pays de particularités spécifiques.

La situation des classes pendant la période de transition est radicalement différente de ce qu’elle est en régime capitaliste.

La classe ouvrière, classe opprimée sous le capitalisme, est devenue la classe dominante, qui détient le pouvoir et possède, concurremment avec tous les travailleurs, les moyens de production socialisés par l’État. La situation matérielle de la classe ouvrière ne cesse de s’améliorer, et son niveau culturel de s’élever.

À la paysannerie, à la masse des paysans pauvres et moyens, l’État donne la terre ; il l’affranchit du joug des gros propriétaires fonciers, la protège contre le koulak, lui apporte son aide économique et culturelle dans tous les domaines. Grâce à la Révolution d’Octobre et à l’aide du pouvoir des Soviets, les paysans moyens et pauvres ont produit plus de 4 milliards de pouds de blé dès 1926-1927, contre 2,5 milliards de pouds par an avant la Révolution.

La petite production paysanne marchande engendre inévitablement des éléments capitalistes ; il s’opère dans la paysannerie une différenciation de classe en paysans pauvres et en koulaks. Mais ce processus revêt, pendant la période de transition, un caractère tout autre qu’en régime capitaliste. En régime capitaliste, le nombre des paysans pauvres et des koulaks augmente à la campagne, alors que celui des paysans moyens diminue ; ceux-ci sont ruinés en masse et vont grossir les rangs des paysans pauvres et du prolétariat. Par suite des conditions nouvelles dans lesquelles se développe l’économie paysanne, les paysans moyens voient leur importance s’accroître au cours de la période de transition, tandis que les paysans pauvres et les koulaks voient la leur diminuer par rapport à la période qui précéda la révolution. En U.R.S.S., pendant la période de transition, avant que la masse de la paysannerie se fût engagée dans la voie du socialisme, le nombre et le pourcentage des paysans moyens avaient augmenté par rapport à la période d’avant la Révolution, du fait de la diminution du nombre et du pourcentage des paysans pauvres, dont une partie s’était élevée au niveau des paysans moyens. En même temps, le nombre et le pourcentage des koulaks avaient sensiblement diminué par rapport à la période d’avant la Révolution, et si pendant certaines années de la période de transition, il y eut une augmentation du nombre des koulaks, elle fut néanmoins très inférieure à ce qu’elle est en régime capitaliste. Le paysan moyen devint le personnage central de l’agriculture.

Après la Révolution d’Octobre, dès 1918, les paysans moyens prédominaient à la campagne. C’était là le résultat de la remise gratuite aux paysans de la terre ainsi que d’une partie du cheptel vif et mort appartenant aux gros propriétaires fonciers. On procéda en 1918 à une expropriation partielle des koulaks auxquels on enleva 50 millions d’hectares de terre qui furent remis aux paysans pauvres et moyens. En 1928-1929, les paysans pauvres constituaient 35 %, les paysans moyens 60 %, les koulaks de 4 à 5 % de l’ensemble des foyers paysans.

Dans sa politique à l’égard de la paysannerie pendant la période de transition, le pouvoir des Soviets s’inspira de la formule de Lénine : alliance solide avec le paysan moyen, appui sur le paysan pauvre, lutte intransigeante contre le koulak.

Lénine enseigne que la classe ouvrière, dirigeant la paysannerie, doit toujours distinguer chez le paysan le travailleur et le propriétaire privé.

La nature du paysan moyen est double : comme travailleur, il se sent attiré vers le prolétariat ; comme petit propriétaire, vers la bourgeoisie. La bourgeoisie et le prolétariat s’efforcent tous deux de gagner les masses de la paysannerie moyenne. La classe ouvrière fait appel aux intérêts fondamentaux du paysan en tant que travailleur, alors que la bourgeoisie mise sur ses intérêts de propriétaire privé. Pendant la période de transition, et surtout tant que l’existence de la paysannerie est fondée sur la propriété privée et la petite production marchande, il existe entre la classe ouvrière et la paysannerie certaines contradictions non antagonistes, par exemple dans la question des prix, du montant des impôts. Mais ces contradictions ne sont pas fondamentales. Dans les questions essentielles, les intérêts de la classe ouvrière et des masses laborieuses de la paysannerie coïncident : ces deux classes ont un intérêt vital à la suppression de l’exploitation et à la victoire du socialisme. C’est sur cette base que repose l’alliance solide des deux classes amies : la classe ouvrière et la paysannerie.

Le principe de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, alliance où le rôle dirigeant appartient à la classe ouvrière, est à la base de l’édification socialiste.

La tâche politique la plus importante du Parti, dit la résolution du 12e Congrès du P.C.(b)R., tâche dont dépend l’issue de la révolution, est de veiller avec la plus grande attention et le plus grand soin sur l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, et de la développer.

« Résolution du 12e Congrès du P.C.(b)R. », Le P.C.U.S. dans les résolutions et décisions de ses congrès, de ses conférences et des assemblées plénières du Comité central, 1re partie, p. 682-683 (7e édition russe).

Une alliance solide de la classe ouvrière et de la paysannerie est indispensable à l’établissement de rapports économiques corrects entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture, au progrès de l’agriculture et à sa transformation socialiste. Ce n’est que sur la base de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie que peuvent être assurées la liquidation des formes capitalistes d’économie et la victoire du socialisme.

Les principales classes de la période de transition sont la classe ouvrière et la paysannerie.

La bourgeoisie qui a perdu le pouvoir et les principaux moyens de production a cessé d’être une des principales classes de la société. Les grands capitalistes et une partie considérable de la moyenne bourgeoisie des villes ont été dépossédés des moyens de production au début de la période de transition. Mais une fraction de la bourgeoisie des villes subsiste toujours, ainsi que la bourgeoisie rurale : les koulaks. Pendant un certain nombre d’années, la bourgeoisie dispose encore d’une force importante. Cela s’explique par la naissance spontanée et inéluctable d’éléments capitalistes à partir de la petite économie marchande et par l’impossibilité de remplacer d’emblée dans tous les domaines l’économie capitaliste par une économie socialiste. Même après la perte de sa domination, la bourgeoisie conserve dans une mesure plus ou moins grande des ressources financières et matérielles, des attaches avec une fraction importante des vieux spécialistes. Elle bénéficie en outre de l’appui du capital international.

La contradiction économique fondamentale de la période de transition est celle qui existe entre le socialisme naissant, auquel appartient l’avenir, mais qui dans les premiers temps est encore faible, et le capitalisme renversé, qui représente le passé, mais est encore fort au début et possède des racines dans la petite économie marchande. Dans tous les domaines de la vie économique, la lutte se déroule entre le socialisme et le capitalisme pour savoir «qui l’emportera». Entre la classe ouvrière et les masses paysannes, d’une part, et la bourgeoisie d’autre part, il existe des contradictions antagoniques, irréductibles. Pendant la période de transition, l’État prolétarien applique une politique visant d’abord à limiter et à évincer les éléments capitalistes, puis à les liquider entièrement. Il est logique que dans la période de transition le prolétariat, les masses laborieuses intensifient leur lutte de classe contre la bourgeoisie, qui accentue sa résistance à mesure que s’engage la construction du socialisme.