Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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22.5. La militarisation de l’économie des pays capitalistes. Les modifications dans le cycle capitaliste.

Étant donné la désagrégation du marché mondial unique et le rétrécissement de la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes aux ressources du monde, les monopoles dominants ont de plus en plus recours à la militarisation de l’économie pour obtenir un certain accroissement de la production et s’assurer les bénéfices maximum. Dans les budgets, la part des dépenses, directement et indirectement consacrées à la course aux armements, augmente sans cesse. L’accroissement des budgets d’État, qui englobent une part toujours plus grande du revenu national, s’accompagne d’un p. 317accroissement de leur déficit et de la dette publique, d’un engorgement des canaux de circulation monétaire par le papier-monnaie, dont le pouvoir d’achat diminue. La militarisation de l’économie amène forcément une aggravation encore plus forte des contradictions insolubles de l’économie capitaliste.

D’après les chiffres officiels, manifestement inférieurs à la réalité, les profits des monopoles américains sont passés de 3,3 milliards de dollars en 1938 à 34,8 milliards en 1954, soit une augmentation de plus de 10 fois. Durant les neuf années qui ont suivi la guerre, les profits des monopoles américains se sont élevés à plus de 304 milliards de dollars. En Angleterre, les bénéfices des sociétés par actions en 1953 étaient de 3,5 milliards de livres sterling contre 1 milliard en 1938.

Dans l’après-guerre (1946-1954), le montant général des dépenses militaires aux États-Unis, y compris les sommes consacrées à l’armement des pays membres du bloc de l’Atlantique-Nord et à la production de bombes atomiques, a dépassé 258 milliards de dollars. Les dépenses de guerre proprement dites aux États-Unis, durant les trois dernières années (1952-1954), ont atteint 47 milliards de dollars par an, soit plus des deux tiers de l’ensemble du budget, contre 953 millions de dollars, ou 12 % de l’ensemble du budget durant les trois années qui précédèrent la deuxième guerre mondiale. En Angleterre, les dépenses de guerre ont augmenté pendant la même période de 173 millions à 1 429 millions de livres sterling, soit un tiers de l’ensemble du budget contre 18 % avant la guerre. En France, les dépenses de guerre en moyenne, durant les trois dernières années, dépassent le tiers du budget.

Le pouvoir d’achat du dollar aux États-Unis était en 1954, par rapport à 1939, de 34,6 % seulement ; le pouvoir d’achat de la livre sterling anglaise, 31,2 % ; celui du franc français, 2,8 % ; celui de la lire italienne, 1,8 %.

La militarisation de l’économie est l’une des manifestations les plus nettes du renforcement du parasitisme et du pourrissement du capitalisme. Déjà pendant la première guerre mondiale, Lénine, constatant le développement rapide des États-Unis, écrivait :

Et c’est justement grâce à cela que les traits parasitaires du capitalisme américain moderne sont apparus de façon particulièrement saillante.

V. Lénine, « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme », Œuvres, t. 22, p. 324.

Dans la période qui suivit la deuxième guerre mondiale, ce caractère parasite du capitalisme américain se renforça encore. Cela est particulièrement net dans l’accroissement des dépenses improductives de l’État provoquées par la course aux armements et la militarisation généralisée de l’économie nationale.

Le parasitisme et le pourrissement du capitalisme ne signifient pas la cessation du progrès technique ni la stagnation de la technique. La tendance à la stagnation dans le domaine technique agit en même temps que la tendance contraire, la tendance à un progrès de la technique résultant de la concurrence et de la poursuite des profits maximum. La course aux armements provoque un progrès technique dans les branches de la production de guerre et dans les branches de l’industrie lourde qui lui sont liées. En conséquence, dans les pays capitalistes, la technique ne reste pas immobile, mais progresse. Mais le pourrissement du capitalisme se manifeste en ce que p. 318le progrès technique a lieu de façon extrêmement inégale et subit un retard sensible sur les possibilités considérables qu’ouvre le niveau actuel du développement de la science et de la technique.

La nature économique de la militarisation de l’économie consiste en ce que, premièrement, une partie de plus en plus importante des produits finis et des matières premières est absorbée par la consommation de guerre improductive ou bloquée sous forme d’énormes réserves stratégiques ; deuxièmement, l’augmentation de la production de guerre s’opère par la baisse du salaire des ouvriers, la ruine de la paysannerie, l’accentuation des charges fiscales, le pillage des peuples des pays coloniaux et dépendants. Tout cela a pour effet de réduire sensiblement le pouvoir d’achat de la population, de diminuer la demande de produits industriels et agricoles, de faire tomber rapidement la production civile. Par conséquent, la militarisation de l’économie des pays capitalistes, en aggravant la disproportion entre les possibilités de production et la demande solvable toujours plus réduite de la population, aboutit nécessairement au développement des conditions d’une crise de surproduction.

Avec l’aggravation de la crise générale du système capitaliste mondial, s’opèrent des changements nouveaux dans le cycle capitaliste. Ces changements résultent de la désagrégation du marché mondial unique et de l’accentuation de l’inégalité du développement des pays capitalistes. Ils sont liés aux conséquences inévitables de la deuxième guerre mondiale et de la militarisation de l’économie. Les facteurs inflationnistes de guerre, c’est-à-dire la militarisation de l’économie et l’inflation qui l’accompagne, en retardant temporairement l’éclatement de la crise, ne peuvent ni supprimer ni limiter l’action des lois générales de la reproduction capitaliste qui déterminent l’inéluctabilité des crises.

Comme les États-Unis, d’une part, et les principaux pays de l’Europe occidentale, de l’autre, sont sortis de la guerre avec des situations économiques très différentes, le cours du cycle capitaliste ne pouvait être identique dans tout le monde capitaliste. Après la fin de la deuxième guerre mondiale, aux États-Unis, le volume de la production industrielle, que les demandes militaires avaient accru, subit une réduction sensible en 1946 (29 % par rapport à 1943). Puis en 1948-1949 eut lieu une crise économique. Il est significatif qu’à la veille de la crise, en 1948, l’industrie américaine n’avait pas encore atteint le volume de 1943, volume maximum de la production du temps de guerre. La crise de 1948-1949 toucha dans une certaine mesure aussi une série de pays de l’Europe occidentale. D’octobre 1948 à octobre 1949, le volume de la production de l’industrie américaine subit une réduction de 10 %. Par rapport au niveau maximum de 1943, la production industrielle aux États-Unis subit en 1949 une réduction de 35 %, la construction des machines une réduction de 50 %. La réduction de la production s’accompagna de phénomènes de crise dans les p. 319transports, le crédit, le commerce extérieur. Il faut y rattacher l’accumulation de stocks énormes de marchandises invendues, la chute des opérations commerciales, une forte réduction des transports par voie ferrée, des krachs bancaires, la chute brutale des cours des actions, l’augmentation du nombre des faillites, la réduction du volume des exportations américaines.

Comme la guerre a causé d’importants dommages à l’économie des principaux pays capitalistes de l’Europe occidentale et que la reconstruction a freiné pour un certain temps le développement des conditions d’une crise de surproduction, il s’est produit dans ces pays au cours de l’après-guerre une augmentation du volume de la production industrielle. La crise de 1948-1949 aux États-Unis n’entraîna pas une chute générale de la production en Europe occidentale et, par conséquent, il n’en sortit pas de crise économique mondiale.

L’augmentation rapide des dépenses militaires aux États-Unis et dans les autres pays capitalistes, en particulier depuis le début de la guerre de Corée en 1950, constitua un stimulant temporaire à l’élargissement de la production, et en premier lieu, celle des armements et du matériel de guerre. Mais le caractère unilatéral de cette reprise d’activité détermina sa fragilité et sa courte durée. Dès le milieu de l’année 1953, commença aux États-Unis une nouvelle chute de la production, symptôme de crise. En moins d’un an, d’août 1953 à avril 1954, le volume de la production industrielle des États-Unis a diminué de 10 %. La réduction de la production fit doubler le nombre des chômeurs totaux, provoqua une vague de faillites et d’absorptions par les grands monopoles de firmes moins importantes. D’avril à novembre 1954, la production industrielle resta au même niveau, et ce n’est qu’à partir de novembre 1954, qu’elle se mit lentement à s’accroître.

Ainsi le cours de la reproduction à la deuxième étape de la crise générale du capitalisme est caractérisé par une inégalité accrue du développement des différents pays, ce qui donne une instabilité particulière à tout le système économique du capitalisme. Les conditions d’une crise économique mondiale continuent à se développer dans tous les pays capitalistes.