Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Le retard des débouchés sur l’accroissement du potentiel de production dans le monde capitaliste, la sous-production chronique des entreprises et le chômage chronique massif, ont pour effet d’approfondir les crises de surproduction, de modifier foncièrement le cycle capitaliste.
Ces changements se ramènent à ceci : la durée du cycle diminue et les crises deviennent plus fréquentes ; leur action destructrice s’accroît ; l’issue de la crise étant rendue plus difficile, sa durée augmente, la phase de dépression devient plus longue, tandis que l’essor devient moins stable et moins durable.
Avant la première guerre mondiale, les crises économiques éclataient généralement tous les dix ou douze ans et seulement parfois au bout de huit ans. Dans l’entre-deux guerres, de 1920 à 1938, c’est-à-dire en dix-huit ans, il y eut trois crises économiques : en 1920-1921, en 1929-1933, en 1937-1938.
La chute de la production dans la période de la crise générale du capitalisme s’est, dans son ensemble, sensiblement accrue. La production de l’industrie de transformation aux États-Unis était tombée pendant la crise de 1920-1921 (du point culminant qu’elle avait atteint avant la crise au point le plus bas de la crise) de 23 % ; pendant la crise de 1929-1933, de 47,10 %, et pendant la crise de 1937-1938, de 22,9 %.
La crise économique de 1929-1933 a été la plus grave et la plus profonde des crises de l’histoire du capitalisme. p. 302L’influence de la crise générale du capitalisme s’y est manifestée avec une grande force.
La crise actuelle, disait E. Thaelmann, revêt le caractère d’une crise cyclique dans le cadre de la crise générale du système capitaliste à l’époque du capitalisme monopoliste. Ici, il nous faut comprendre l’interaction dialectique de la crise générale et de la crise périodique. D’une part, la crise périodique affecte des formes d’une violence sans précédent, car elle se déroule dans le cadre de la crise générale du capitalisme et elle est déterminée par les conditions du capitalisme monopoliste. D’autre part, les destructions occasionnées par la crise périodique approfondissent et accélèrent encore la crise générale du système capitaliste.
La crise économique de 1929-1933 s’était étendue à tous les pays du monde capitaliste sans exception. Dès lors, il devint impossible pour certains pays de manœuvrer aux dépens des autres. C’est le plus grand pays du capitalisme contemporain, les États-Unis d’Amérique, que la crise a frappé avec le plus de vigueur. La crise industrielle dans les principaux pays capitalistes s’entremêla avec la crise agricole dans les pays agraires, ce qui eut pour effet d’approfondir la crise économique dans son ensemble. La production industrielle dans l’ensemble du monde capitaliste est tombée de 36 % et, dans certains pays, encore davantage. Le chiffre d’affaires du commerce mondial s’est réduit des deux tiers. Les finances des pays capitalistes furent complètement désorganisées.
À l’époque de la crise générale du capitalisme, les crises économiques aboutissent à un accroissement considérable de l’effectif des chômeurs.
Le pourcentage des chômeurs complets, d’après les données officielles en 1932, période où la production atteignait son niveau le plus bas, était aux États-Unis, de 32 % ; en Angleterre, de 22 %. En Allemagne, la proportion des chômeurs complets parmi les membres des syndicats en 1932 atteignait 43,8 %, et celle des chômeurs partiels, 22,6 %. En chiffres absolus, le nombre des chômeurs complets en 1932 était : aux États-Unis, d’après les chiffres officiels, de 13,2 millions d’individus ; en Allemagne, de 5,5 millions ; en Angleterre, de 2,8 millions. En 1933, on comptait dans l’ensemble du monde capitaliste, 30 millions de chômeurs complets. Le nombre des chômeurs partiels était colossal. Ainsi, aux États-Unis, les chômeurs partiels étaient en février 1932 au nombre de 11 millions.
La sous-production chronique des fabriques et des usines et l’appauvrissement extrême des masses rendent difficile l’issue de la crise. La sous-production chronique des entreprises rétrécit le cadre de la rénovation et de l’extension du capital fixe et gêne le passage de la dépression à une reprise d’activité et à l’essor. C’est dans le même sens qu’agissent le chômage chronique massif et la politique des prix élevés de monopole qui restreignent la vente des objets de consommation. De ce fait, la phase de crise s’allonge. Si auparavant les crises p. 303prenaient fin au bout d’un ou deux ans, celle de 1929-1933 a duré plus de quatre ans.
La reprise d’activité et l’essor, après la crise de 1920-1921, s’effectuèrent de façon très inégale, et furent interrompus à plusieurs reprises par des crises partielles. Aux États-Unis, des crises partielles de surproduction ont éclaté en 1924 et en 1927. En Angleterre et en Allemagne, une chute très accusée de la production a eu lieu en 1926. Après la crise de 1929-1933, il n’y eut plus une dépression ordinaire, mais une dépression d’un genre particulier, qui n’aboutit pas à un nouvel essor et à un nouvel épanouissement de l’industrie, encore qu’elle ne la fît pas revenir au point le plus bas de sa chute. Après cette dépression, il y eut une certaine reprise d’activité qui cependant n’aboutit pas à un épanouissement sur une base nouvelle, supérieure. La production industrielle du monde capitaliste en 1937 n’a dépassé que de 3,5 % le niveau de 1929, et elle n’a même pas atteint ce niveau dans beaucoup de pays capitalistes (États-Unis, France, Italie, etc.) Vers le milieu de 1937, dans le monde capitaliste commença une nouvelle crise économique qui débuta aux États-Unis, puis gagna ensuite l’Angleterre, la France et plusieurs autres pays.
Le volume global de la production industrielle dans le monde capitaliste, en 1938, était de 10,3 % inférieur à celui de 1937 ; aux États-Unis il l’était de 21,8 % ; en Angleterre de 12 % ; en France de 9 %. Le volume de la production industrielle en 1938 par rapport au niveau de 1929 est tombé aux États-Unis à 72,3 % ; en Angleterre à 98,7 % ; en France à 66 % ; en Italie à 98,5 %.
La crise de 1937-1938 diffère de celle de 1929-1933 tout d’abord en ce qu’elle est apparue non pas après une phase d’épanouissement de l’industrie, comme ce fut le cas en 1929, mais après une dépression d’un genre particulier et une certaine reprise d’activité. Ensuite, elle éclata dans la période où le Japon déclenchait la guerre en Chine, tandis que l’Allemagne et l’Italie avaient mis leur économie sur le pied de guerre, et que les autres pays capitalistes s’engageaient dans la même voie. Cela signifiait que le capitalisme possédait beaucoup moins de ressources pour sortir normalement de cette crise que de celle de 1929-1933.
Dans le cadre de la crise générale du capitalisme se multiplient et s’accentuent les crises agraires. À la suite de la crise agraire des années 1920-1925, s’ouvrit, en 1928, une nouvelle crise agraire profonde qui dura jusqu’à la deuxième guerre mondiale. La surproduction relative des produits agricoles provoqua une baisse rapide des prix, ce qui aggrava la situation des paysans.
En 1921, aux États-Unis, l’indice des prix agricoles à la production tombait à 58,5 % du niveau de 1920 ; en 1932, à 43,6 % du niveau de 1928. La production agricole aux États-Unis tombait en 1934 à 67,9 % du niveau de 1928 et à 70,6 % du niveau de 1920. Les revenus des paysans diminuèrent.
La ruine et la paupérisation des masses fondamentales de la paysannerie ont pour effet de stimuler leur esprit p. 304révolutionnaire et de les pousser dans la voie de la lutte contre le capitalisme, sous la direction de la classe ouvrière.
Dans les conditions de la crise générale du capitalisme, la course aux armements et les guerres mondiales utilisées par les monopoles pour s’assurer le profit maximum, exercent une grande influence sur la reproduction capitaliste et le cycle capitaliste. L’inflation et la militarisation de l’économie peuvent amener une reprise momentanée de la conjoncture et ralentir le développement de la crise ou retarder le déclenchement d’une nouvelle crise économique. Cependant, les guerres et la militarisation de l’économie ne sauraient mettre l’économie capitaliste à l’abri des crises. Bien plus, elles contribuent à l’approfondissement et à l’aggravation des crises économiques. Les guerres mondiales aboutissent à une destruction énorme des forces productives et de la richesse sociale : fabriques et usines, réserves de valeurs matérielles, vies humaines. Les guerres en développant de façon unilatérale l’économie nationale renforcent l’inégalité et le déséquilibre de l’économie capitaliste. La militarisation de l’économie rétrécit la production des objets de consommation au profit de la fabrication des armements et des équipements pour l’armée, elle accroît démesurément les impôts et la vie chère, ce qui amène nécessairement une réduction de la consommation de la population, l’aggravation de la contradiction entre production et consommation,, et prépare la venue d’une nouvelle crise économique encore plus profonde.
Le développement du pourrissement du capitalisme pendant la crise générale se traduit par une diminution générale des rythmes de la production. Les rythmes d’accroissement moyens annuels de la production industrielle du monde capitaliste ont été, pour la période de 1890 à 1913, de 3,7 % ; pour celle de 1913 à 1953, de 2,5 %. De plus, l’inégalité du développement de la production capitaliste s’est encore beaucoup accrue.
Au cours de la crise générale du capitalisme, la bourgeoisie monopoliste, soucieuse de retarder la faillite du système capitaliste et de maintenir sa domination, mène l’offensive contre le niveau de vie et les droits démocratiques des travailleurs, instaure des méthodes policières de gouvernement. Dans les principaux pays capitalistes, le capitalisme monopoliste d’État est en progression rapide.
N’étant plus en mesure de régner par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, la bourgeoisie de certains pays — Italie, Allemagne, Japon et quelques autres — a instauré des régimes fascistes. Le fascisme est la dictature terroriste ouverte des groupes les plus réactionnaires et les plus agressifs du capital financier. Il se propose de détruire à l’intérieur du pays les organisations de la classe ouvrière et d’écraser toutes les forces progressistes ; à l’extérieur, de préparer et de développer la guerre de conquête pour la domination mondiale. C’est par la terreur et la démagogie sociale que le fascisme cherche à réaliser ces objectifs.
Ainsi, la crise économique mondiale de 1929-1933 et celle de 1937-1938 ont amené une sensible aggravation des contradictions à l’intérieur des pays capitalistes, aussi bien qu’entre eux. La solution de ces contradictions, les États impérialistes l’ont cherchée en préparant la guerre pour un nouveau partage du monde.