Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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21.2. La première guerre mondiale et le début de la crise générale du capitalisme.

La première guerre mondiale eut pour cause l’aggravation des contradictions entre les puissances impérialistes dans la lutte pour un nouveau partage du monde et des sphères d’influence. À côté des anciennes puissances impérialistes, de nouveaux rapaces étaient apparus, arrivant en retard pour le partage du monde. L’impérialisme allemand entrait en scène. L’Allemagne s’était engagée après les autres pays dans la voie du développement capitaliste et arrivait au partage des marchés et des sphères d’influence quand le monde était déjà partagé entre les vieilles puissances impérialistes. Mais, dès le début du 20e siècle, l’Allemagne, ayant gagné de vitesse l’Angleterre, occupait au point de vue du développement industriel le deuxième rang dans le monde et le premier en Europe. Elle se mit à refouler sur les marchés mondiaux l’Angleterre et la France. Le changement survenu dans le rapport des forces économiques et militaires des principaux États capitalistes soulevait la question d’un nouveau partage du monde. Dans la lutte pour ce partage, l’Allemagne, alliée à l’Autriche-Hongrie, se heurta à l’Angleterre, à la France et à la Russie tsariste qui dépendait de ces deux derniers pays.

L’Allemagne voulait s’emparer d’une partie des colonies britanniques et françaises, évincer l’Angleterre du Proche-Orient et mettre fin à sa domination sur les mers, enlever à la Russie l’Ukraine, la Pologne, les Pays baltes, avoir la haute main sur toute l’Europe centrale et du Sud-Est. De son côté, l’Angleterre voulait en finir avec la concurrence allemande sur le marché mondial et asseoir définitivement sa domination dans le Proche-Orient p. 293et sur le continent africain. La France se proposait de reprendre l’Alsace et la Lorraine conquises par l’Allemagne en 1870-1871 et de mettre la main sur le bassin de la Sarre. La Russie tsariste, ainsi que les autres États bourgeois participant à la guerre, poursuivait également des visées annexionnistes.

La lutte des deux blocs impérialistes — anglo-français et allemand — pour un nouveau partage du monde affectait les intérêts de tous les pays impérialistes et amena, de ce fait, une guerre mondiale à laquelle allaient prendre part le Japon, les États-Unis et une série d’autres pays. La première guerre mondiale avait, de part et d’autre, un caractère impérialiste.

La guerre ébranla le monde capitaliste jusqu’en ses fondements. Par ses proportions, elle laissait loin derrière elle toutes les guerres précédentes de l’histoire de l’humanité.

Ce fut une source d’enrichissements, énormes pour les monopoles, pour les capitalistes des États-Unis en particulier. Les profits de tous les monopoles américains en 1917 dépassaient le niveau des profits de 1914 de trois à quatre fois. En cinq ans de guerre (de 1914 à 1918), les monopoles américains touchèrent plus de 35 milliards de dollars de bénéfices (impôts non déduits). Les bénéfices des plus gros monopoles furent décuplés.

La population des pays qui participaient activement à la guerre s’élevait à environ 800 millions d’individus. Près de 70 millions d’hommes furent appelés sous les drapeaux. La guerre devait engloutir autant de vies humaines qu’il en avait péri dans toutes les guerres d’Europe depuis mille ans. Le nombre des tués s’est élevé à 10 millions, celui des blessés et des mutilés a été supérieur à 20 millions. Des millions d’êtres humains sont morts de faim et d’épidémie. La guerre a causé un immense préjudice à l’économie nationale des pays belligérants. Les dépenses militaires proprement dites des belligérants se montèrent, pour toute la durée des hostilités (1914-1018) à 208 milliards de dollars (aux prix des années correspondantes).

Au cours du conflit, le rôle des monopoles s’était encore accru, de même que leur mainmise sur l’appareil d’État, qui fut utilisé par les plus grands monopoles pour s’assurer le profit maximum. L’économie de guerre était « réglementée » de façon à enrichir les gros monopoles. À cet effet, dans certains pays, la journée de travail fut allongée, les grèves interdites ; on fît régner dans les entreprises un régime de caserne et le travail forcé. Les commandes militaires aux frais du budget d’État constituaient la source principale de l’accroissement inouï des profits. Les dépenses de guerre, qui absorbaient une part énorme du revenu national, étaient couvertes tout d’abord par un accroissement des impôts des travailleurs. L’essentiel des sommes consacrées à la guerre revenait aux monopolistes sous forme de paiement des commandes militaires, de prêts et de subventions à fonds perdus. Les prix de ces commandes assuraient aux monopoles des profits exorbitants. Lénine qualifiait les fournitures de guerre de vol légalisé des deniers publics. Les monopoles augmentaient leurs profits grâce à l’inflation qui diminuait le salaire réel des ouvriers et aussi en pillant directement les territoires occupés. Pendant la guerre, on introduisit dans les pays d’Europe un système de rationnement des produits alimentaires, qui réduisait les travailleurs à la portion congrue.

La guerre aggrava à l’extrême la misère et les souffrances des masses ; elle rendit plus aigus les antagonismes de classes et intensifia la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière et des paysans travailleurs dans les pays capitalistes. En même temps la guerre, qui d’européenne était devenue mondiale, entraîna dans son orbite les arrières de l’impérialisme, les colonies et les p. 294pays dépendants, ce qui eut pour effet de faciliter l’union du mouvement révolutionnaire en Europe et du mouvement de libération nationale des peuples d’Orient.

La guerre avait affaibli le capitalisme mondial.

La guerre européenne, écrivait Lénine, constitue une crise historique très profonde, elle marque le début d’une époque nouvelle. Comme toute crise, elle a accentué les contradictions profondes et les a révélées au grand jour […]

V. Lénine, « Chauvinisme mort et socialisme vivant. » Œuvres, t. 21, p. 95.

Elle a donné naissance à un vigoureux essor du mouvement révolutionnaire et anti-impérialiste.