Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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À l’époque de l’impérialisme, les colonies constituent avant tout le champ d’application le plus sûr et le plus avantageux pour le capital. L’oligarchie financière des pays impérialistes, disposant dans les colonies du monopole sans partage de l’investissement des capitaux, touche des profits particulièrement élevés.
En pénétrant dans les pays retardataires, le capital financier désagrège les formes d’économie précapitalistes — petit artisanat, économie semi-naturelle des petits paysans — et provoque le développement des rapports capitalistes. Afin d’exploiter ces pays, les impérialistes y construisent des voies ferrées, des entreprises industrielles pour la production des matières premières. Mais en même temps l’exploitation impérialiste dans les p. 269colonies retarde le progrès des forces productives et prive ces pays des conditions nécessaires à leur développement économique indépendant. Les impérialistes sont intéressés au retard économique des colonies, qui leur permet de maintenir leur pouvoir sur les pays dépendants et d’intensifier leur exploitation.
Même là où l’industrie est relativement plus développée, par exemple dans certains pays de l’Amérique latine, seules se développent l’industrie minière ainsi que certaines branches de l’industrie légère : coton, cuirs et peaux, alimentation. L’industrie lourde, base de l’indépendance économique d’un pays, est extrêmement faible ; les constructions mécaniques font à peu près défaut. Les monopoles dominants prennent des mesures spéciales pour empêcher de créer la production d’instruments de production : ils refusent aux colonies et aux pays dépendants les crédits à cette fin, ne vendent ni l’outillage ni les brevets nécessaires. La dépendance coloniale des pays retardataires fait obstacle à leur industrialisation.
En 1920, la part de la Chine dans l’extraction mondiale du charbon était de 1,7 %, dans la production de fonte de 0,8 % ; dans celle du cuivre de 0,03 %. Dans l’Inde, la production d’acier par habitant, à la veille de la deuxième guerre mondiale (1938), était de 2,7 kilogrammes par an contre 222 kilogrammes en Grande-Bretagne. L’Afrique tout entière ne disposait en 1946 que de 1,5 % du combustible et de l’énergie électrique produits dans le monde capitaliste. Même l’industrie textile des pays coloniaux et dépendants est une industrie sous-développée et retardataire. Dans l’Inde, on comptait en 1947 près de 10 millions de broches contre 34,5 millions en Angleterre, dont la population est huit fois moindre que celle de l’Inde : en 1945, il y avait en Amérique latine 4,4 millions de broches contre 23,1 millions aux États-Unis.
En l’absence de conditions favorables à un développement industriel indépendant, les colonies et les semi-colonies demeurent des pays agricoles. L’immense majorité de la population de ces pays tire ses moyens de subsistance de l’agriculture, qui se trouve entravée par des rapports semi-féodaux. Le marasme et la décadence de l’agriculture retardent le développement du marché intérieur.
Les monopoles ne tolèrent dans les colonies que les branches de production qui assurent aux métropoles des fournitures en matières premières et en denrées alimentaires : l’extraction des minéraux utiles, la culture des plantes agricoles marchandes et leur premier traitement. De ce fait, l’économie des colonies et semi-colonies prend un caractère unilatéral très prononcé. L’impérialisme transforme les pays asservis en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.
L’économie de nombreux pays coloniaux et dépendants est spécialisée dans la production d’un ou deux produits consacrés entièrement à l’exportation. Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, le pétrole représentait 97 % des exportations du Venezuela ; le minerai d’étain, 70 % des exportations de la Bolivie ; le café, près de 58 % des exportations du Brésil ; le sucre, plus de 80 % des exportations de Cuba ; le caoutchouc et l’étain, plus de 70 % des exportations de la Malaisie ; le coton près de 80 % des exportations de l’Égypte ; le café et le coton, 60 % des exportations du Kenya et de l’Ouganda ; le cuivre, environ 85 % des exportations de la Rhodésie du Nord ; le cacao, près de 50 % des exportations de la Côte de p. 270l’Or (Afrique). Le développement unilatéral de l’agriculture (ce qu’on appelle la monoculture) réduit des pays entiers à la merci des monopoles, accapareurs de matières premières.
Avec la transformation des colonies en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles, le rôle des colonies s’accroît considérablement en tant que sources de matières premières à bon marché pour les États impérialistes. Plus le capitalisme est développé, et plus la concurrence et la chasse aux sources de matières premières est âpre dans le monde entier, plus la lutte est acharnée pour la conquête des colonies. Dans le cadre du capitalisme monopoliste, alors que l’industrie consomme des masses énormes de charbon, de pétrole, de coton, de minerai de fer, de métaux non ferreux, de caoutchouc, etc., aucun monopole ne peut s’estimer pourvu s’il ne possède pas des sources sûres de matières premières. Des colonies et des pays dépendants, les monopoles tirent à vil prix les quantités énormes de matières premières dont ils ont besoin. La possession monopoliste des sources de matières premières donne des avantages décisifs dans la concurrence. La mainmise sur les sources de matières premières à bon marché permet aux monopoles industriels d’imposer des prix de monopole sur le marché mondial, de vendre leurs articles à des prix exorbitants.
Les puissances impérialistes reçoivent exclusivement ou en majeure partie des colonies et des semi-colonies un grand nombre de variétés importantes de matières premières. Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, les pays coloniaux et dépendants fournissent une grande partie du caoutchouc naturel, de l’étain et du jute consommés dans le monde capitaliste, environ la moitié du pétrole, un certain nombre de produits alimentaires importants ; canne à sucre, cacao, café, thé.
Les sources de diverses matières premières stratégiques de différentes sortes — charbon, pétrole, minerais de fer, métaux non ferreux et rares, caoutchouc, coton, etc. — font l’objet d’une lutte à outrance. Depuis des dizaines d’années, les puissances impérialistes — et surtout les États-Unis et l’Angleterre — luttent pour la possession exclusive des riches sources de pétrole. La répartition des réserves mondiales de pétrole touche non seulement les intérêts et les rapports économiques, mais aussi politiques, des puissances impérialistes.
À l’époque de l’impérialisme, le rôle des colonies, en tant que débouchés pour les métropoles, grandit. À l’aide d’une politique douanière appropriée, les impérialistes préservent les débouchés coloniaux de la concurrence étrangère. C’est ainsi que les monopoles ont la possibilité d’écouler dans les colonies, à des prix exorbitants, leur production, y compris les marchandises de qualité inférieure qui ne trouvent pas de débouché sur les autres marchés. La disparité des échanges, entre les puissances impérialistes et les pays dépendants, augmente sans cesse. Les monopoles qui font du commerce avec les colonies (accaparement des matières premières et vente des marchandises industrielles), font des bénéfices énormes. Ils sont les vrais maîtres de pays entiers, disposant de la vie et des biens de dizaines de millions d’hommes.
Les colonies sont une source de main-d’œuvre à très bon p. 271marché. L’exploitation monstrueuse des masses ouvrières rapporte des revenus particulièrement élevés pour les capitaux placés dans les colonies et les pays dépendants. En outre, les métropoles importent de ces pays des centaines de milliers d’ouvriers qui exécutent des travaux particulièrement pénibles pour un salaire de famine. Ainsi, les monopoles aux États-Unis, notamment dans le sud du pays, soumettent à une exploitation inhumaine les ouvriers du Mexique et de Porto Rico, les monopoles de France en font autant pour les ouvriers nord-africains, etc.
Les calculs suivants, effectués sur la base de chiffres officiels, donnent une idée du tribut prélevé par les monopoles dans les colonies et les semi-colonies. Le tribut annuel que l’impérialisme anglais percevait dans l’Inde, à la veille de la deuxième guerre mondiale, atteignait 150 à 180 millions de livres sterling, répartis comme suit : pour l’intérêt des investissements britanniques, 40 à 45 millions ; pour les dépenses publiques de l’Angleterre, mises au compte de l’Inde, 25 à 30 millions ; pour les revenus et traitements des fonctionnaires et spécialistes militaires anglais dans l’Inde, 25 à 30 millions ; pour les revenus à titre de commission des banques anglaises, 15 à 20 millions ; pour les revenus du commerce, 25 à 30 millions ; pour les revenus de la navigation, 20 à 25 millions. Les monopoles américains ont tiré en 1948 des pays dépendants les revenus suivants : des investissements de capitaux, 1,9 milliard de dollars ; des transports, assurances et autres opérations, 1,9 milliard ; de la vente des marchandises à des prix exorbitants, 2,5 milliards ; de l’achat de marchandises à des prix réduits, 1,2 milliard ; soit un total de 7,5 milliards de dollars, à titre de tribut monopoliste. Sur ce tribut, 2,5 milliards de dollars au moins ont été fournis par les pays de l’Amérique latine.
Alors que le monde est déjà partagé et que se poursuivent les préparatifs d’une lutte armée pour un nouveau partage, les puissances impérialistes mettent la main sur tous les territoires ayant ou pouvant avoir une valeur quelconque comme point d’appui, base militaire navale ou aérienne.
Les colonies sont des pourvoyeurs de « chair à canon » pour les métropoles. Dans la première guerre mondiale, du côté français ont combattu un million et demi de soldats noirs des colonies africaines. Pendant la guerre, les métropoles font supporter aux colonies une part importante de leurs charges financières. Une grande partie des emprunts de guerre est placée dans les colonies ; l’Angleterre a utilisé largement les réserves de devises de ses colonies pendant la première et la deuxième guerres mondiales.
L’exploitation effrénée des pays coloniaux et dépendants par l’impérialisme aggrave la contradiction irréductible entre les besoins immédiats de l’économie de ces pays et les intérêts cupides des métropoles.