Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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18.8. La loi économique fondamentale du capitalisme monopoliste.

p. 262Comme on l’a déjà dit, l’essence économique de l’impérialisme consiste à substituer la domination des monopoles à la libre concurrence. Les monopoles qui fixent des prix de monopole se proposent, selon la définition de Lénine, d’obtenir des profits élevés de monopole qui dépassent sensiblement le profit moyen. L’obtention de ces profits par les monopoles découle de la nature même de l’impérialisme ; elle résulte d’une exploitation inouïe de la classe ouvrière par les monopoles, du dépouillement de la paysannerie et des autres petits producteurs, de l’exportation des capitaux vers les pays retardataires qui sont saignés à blanc, des conquêtes coloniales et des guerres impérialistes, véritable mine d’or pour les monopoles.

Dans ceux de ses ouvrages où Lénine s’attache à analyser l’essence économique et politique de l’impérialisme, sont exposées les thèses initiales de la loi économique fondamentale du capitalisme monopoliste. Partant de ces thèses fondamentales de Lénine, Staline a formulé la loi économique fondamentale du capitalisme actuel. Les principaux traits et exigences de la loi économique fondamentale du capitalisme monopoliste consistent en ceci :

assurer le profit capitaliste maximum par l’exploitation, la ruine et l’appauvrissement de la majorité de la population d’un pays donné, par l’asservissement et le pillage systématique des peuples des autres pays, surtout des pays arriérés, et enfin par les guerres et la militarisation de l’économie nationale utilisées pour assurer les profits les plus élevés.

J. Staline, « Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », Derniers écrits, p. 128, Éditions sociales, Paris, 1953.

Ainsi, la loi économique fondamentale du capitalisme — la loi de la plus-value — poursuit sous l’impérialisme son développement et sa concrétisation. Sous le régime du capitalisme prémonopoliste, la libre concurrence aboutissait à une égalisation du taux de profit des capitalistes ; c’était le règne de la loi du taux moyen du profit. Dans le cadre de l’impérialisme, les monopoles s’assurent un profit élevé de monopole, le profit maximum. C’est lui le moteur du capitalisme monopoliste. Au stade du capitalisme monopoliste aussi il y a transfert de capitaux de certaines branches dans d’autres et tendance à l’égalisation des profits. Mais cette tendance se heurte à l’action de la loi économique fondamentale du capitalisme monopoliste, la loi du profit capitaliste maximum. À l’époque de l’impérialisme, dans les branches monopolisées, les marchandises sont vendues essentiellement à des prix de monopole, qui sont supérieurs aux prix de production et qui assurent le profit élevé de monopole, tandis que dans les branches non monopolisées, les marchandises sont souvent vendues à des prix inférieurs aux prix de production, ce qui ne procure même pas aux entrepreneurs le profit moyen.

p. 263Les conditions objectives pour réaliser le profit maximum sont créées par l’établissement de la domination des monopoles dans telles ou telles branches de la production. Au stade de l’impérialisme, la concentration et la centralisation des capitaux atteignent le plus haut degré. De ce fait, l’élargissement de la production nécessite d’immenses investissements de capitaux. D’autre part, en période de capitalisme monopoliste, la concurrence se poursuit avec acharnement entre des entreprises géantes. De cette lutte sortent victorieux les monopoles les plus forts qui disposent d’immenses capitaux et touchent le profit maximum.

Grâce à ces immenses profits, la possibilité s’offre aux monopoles d’assurer leur domination dans le monde capitaliste. La course des monopoles au profit maximum accentue à l’extrême toutes les contradictions du capitalisme.

La base générale du profit maximum des monopoles capitalistes, comme de tout profit capitaliste, est la plus-value extorquée aux ouvriers exploités dans le cours de la production. Les monopoles poussent à l’extrême l’exploitation de la classe ouvrière. En appliquant des systèmes de surmenage de toute sorte dans l’organisation et la rémunération du travail, ils arrivent à une intensification du travail exténuante, qui a pour effet tout d’abord d’augmenter énormément le taux et la masse de la plus-value extorquée aux ouvriers. Ensuite, l’intensification du travail a pour résultat qu’un nombre considérable d’ouvriers excédentaires va grossir l’armée des chômeurs et n’a plus aucun espoir de retrouver un emploi dans la production. Les entreprises jettent dehors aussi tous les ouvriers qui ne peuvent résister à l’accélération excessive des procédés de fabrication.

Aux États-Unis, le taux de la plus-value dans l’industrie minière et dans l’industrie de transformation, calculé sur la base des chiffres officiels, était en 1889, de 145 % ; en 1919, de 165 % ; en 1929, de 210 % ; en 1939, de 220 % ; en 1947, d’environ 260 %.

Ainsi, en moins de soixante ans, le taux de la plus-value a été multiplié par 1,8.

D’autre part, le salaire réel est en baisse par suite du renchérissement de la vie et du poids croissant des charges fiscales. À l’époque de l’impérialisme, l’écart entre le salaire de l’ouvrier et le prix de sa force de travail s’élargit encore davantage. Cela signifie que la loi générale de l’accumulation capitaliste, qui détermine la paupérisation relative et absolue du prolétariat, renforce son action. L’exploitation accrue de la classe ouvrière au cours de la production se double de la spoliation des travailleurs en tant que consommateurs ; les ouvriers sont forcés de payer en supplément des sommes importantes aux monopoles qui fixent des prix de monopole élevés sur les marchandises qu’ils produisent et vendent.

Dans le cadre du capitalisme monopoliste, les marchandises fabriquées par les monopoles ne sont plus vendues au prix de production, mais à des prix sensiblement plus élevés, à des prix de monopole.

p. 264Le prix de monopole est égal aux frais de production plus le profit maximum qui dépasse sensiblement le profit moyen ; le prix de monopole est supérieur au prix de production et, en règle générale, dépasse la valeur des marchandises. Cependant le prix de monopole, comme Marx l’indiquait déjà, ne peut supprimer les limites déterminées par la valeur des marchandises. Le niveau élevé des prix de monopole ne modifie pas la somme totale de la valeur et de la plus-value produites dans l’économie capitaliste mondiale. Une des sources du profit maximum, que touchent les monopoles, est la redistribution de la plus-value, qui a pour résultat une baisse sensible du niveau du profit des entreprises non monopolisées. En maintenant les prix à un niveau plus élevé que celui de la valeur des marchandises, les monopoles s’approprient le fruit de la productivité croissante du travail et de la baisse des frais de production. Ce qui est un gain pour les monopoles est une perte pour les ouvriers, les petits producteurs, la population des pays dépendants.

Un instrument important du gonflement des prix de monopole est la politique douanière des États bourgeois. À l’époque de la libre concurrence, c’étaient surtout les pays faibles, dont l’industrie avait besoin de se préserver de la concurrence étrangère, qui recouraient aux droits de douane élevés. À l’époque de l’impérialisme, au contraire, les droits élevés sont pour les monopoles un moyen d’attaque, de lutte pour s’emparer de nouveaux débouchés. Les droits de douane élevés permettent de maintenir les prix de monopole à l’intérieur du pays.

Afin de conquérir de nouveaux marchés extérieurs, les monopoles pratiquent largement le dumping, c’est-à-dire la vente des marchandises à l’étranger à vil prix, sensiblement au-dessous des prix du marché intérieur, souvent même au-dessous des frais de production. L’extension de la vente à l’étranger, grâce au dumping, permet de maintenir les prix élevés à l’intérieur du pays sans réduire la production, et les pertes causées par l’exportation de dumping sont couvertes en augmentant les prix sur le marché intérieur. Après avoir conquis un marché extérieur donné les monopoles y procèdent à la vente des marchandises à des prix de monopole.

L’exploitation des masses essentielles de la paysannerie par les monopoles se traduit tout d’abord par le fait que la domination de ces derniers engendre un écart croissant entre les prix des denrées agricoles et ceux des marchandises industrielles ; c’est ce qu’on appelle les « ciseaux » des prix : tout en écoulant leurs marchandises à des prix gonflés, les monopoles accaparent les produits des paysans à des prix réduits (bas prix d’achat de monopole). Instrument servant à extorquer les ressources financières de l’économie rurale, les prix de monopole en entravent le développement. Un des leviers les plus puissants, destiné à ruiner les exploitations paysannes, est le crédit hypothécaire. Les monopoles accablent les paysans de dettes pour, ensuite, s’approprier à vil prix leur terre et leurs biens.

Par les hypothèques, les escroqueries des forbans de la finance, par les hauts impôts et les taxes, par le prix élevé des baux, et surtout par la concurrence des grandes exploitations foncières capitalistes, la bourgeoisie ruine p. 265les moyens et les petits paysans.

Maurice Thorez, « La politique du Parti communiste à la campagne », Œuvres, t. 3, p. 201, Éditions sociales, Paris, 1951.

L’achat par les monopoles des produits des exploitations paysannes à des prix très bas, ne signifie nullement que le consommateur des villes bénéficie de vivres à bon marché. Entre le paysan et le consommateur urbain se trouvent des intermédiaires, marchands groupés dans des organisations monopolistes, qui ruinent les paysans et écorchent les consommateurs de la ville.

Ensuite, une source du profit maximum pour les monopoles est l’asservissement et le pillage des pays économiquement retardataires et dépendants par la bourgeoisie des États impérialistes. Le pillage systématique des colonies et des autres pays retardataires, la transformation d’une série de pays indépendants en pays dépendants constitue un trait inaliénable du capitalisme monopoliste. L’impérialisme ne peut vivre ni se développer sans l’afflux ininterrompu du tribut prélevé sur les pays étrangers.

Les monopoles tirent des revenus considérables tout d’abord de leurs investissements de capitaux dans les pays coloniaux et dépendants. Ces revenus sont le résultat de l’exploitation la plus féroce et la plus inhumaine des masses laborieuses du monde colonial. Les monopoles s’enrichissent grâce à des échanges non équivalents, c’est-à-dire par la vente dans les pays coloniaux et dépendants de leurs marchandises à des prix qui dépassent notablement leur valeur, et par achat des marchandises produites dans ces pays à des prix excessivement bas, qui ne couvrent pas leur valeur. Parallèlement, les monopoles touchent dans les colonies des profits élevés sur les opérations de transport, d’assurance et de banque.

Enfin, les guerres et la militarisation de l’économie sont un des moyens de garantir les profits maximums des monopoles. Les guerres enrichissent démesurément les magnats du capital financier, qui, dans les intervalles entre les guerres, s’attachent à maintenir le niveau élevé de leurs profits grâce à une course effrénée aux armements. Les guerres et la militarisation de l’économie apportent aux monopolistes de riches commandes militaires, payées par le Trésor à des prix exorbitants, une abondance de prêts et de subventions prélevés sur le budget de l’État. En temps de guerre toutes les lois sur le travail sont abolies, les ouvriers sont déclarés mobilisés, les grèves sont interdites. Tout cela permet aux capitalistes d’élever le degré d’exploitation en intensifiant systématiquement le travail. En même temps, le niveau de vie des masses laborieuses décroît par suite de l’accroissement des impôts et de la vie chère.

Ainsi, la militarisation de l’économie capitaliste, en temps de guerre comme en temps de paix, se traduit par l’exploitation accrue des masses laborieuses dans l’intérêt de l’accroissement du profit maximum des monopoles.

p. 266La loi économique fondamentale du capitalisme actuel, qui détermine tout le cours du développement du capitalisme à son stade impérialiste, permet de comprendre et d’expliquer l’inéluctabilité de la montée et de l’aggravation des contradictions insolubles qui lui sont inhérentes.