Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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18.5. L’exportation des capitaux.

L’exportation des marchandises était caractéristique du capitalisme prémonopoliste, sous le règne de la libre concurrence. Le capitalisme impérialiste, sous le règne des monopoles, est caractérisé par l’exportation des capitaux.

L’exportation des capitaux à l’étranger se fait en vue d’obtenir le profit maximum. Elle présente deux formes essentielles : ou bien consentement d’emprunts aux gouvernements, villes ou banques d’autres pays, ou bien création à l’étranger d’entreprises industrielles, commerciales ou bancaires, concessions, construction de voies ferrées, et aussi le rachat à vil prix d’entreprises existantes dans des pays affaiblis (par exemple à la suite d’une guerre).

L’exportation des capitaux est déterminée, premièrement, par la domination des monopoles dans tous les pays capitalistes développés et, deuxièmement, par la situation de monopole qu’occupe le petit nombre des pays les plus riches, où l’accumulation des capitaux est immense. Dans ces pays, au seuil du 20e siècle, il s’est formé un vaste « excédent de capitaux ».

L’ « excédent de capitaux » dans les pays capitalistes développés a un caractère relatif, car dans ces pays le bas niveau de vie des masses dresse des obstacles au développement de la production, accentue le retard de l’agriculture sur l’industrie et, d’une façon générale, l’inégalité du développement des différentes branches de l’économie. Si le capitalisme pouvait relever l’agriculture, améliorer le niveau de vie des masses travailleuses, il ne saurait être question d’ « excédent de capitaux». Mais alors le capitalisme ne serait point le capitalisme, car l’inégalité de développement et la sous-alimentation des masses de la population sont les conditions essentielles et préalables de ce mode de production.

La nécessité de l’exportation des capitaux est due à la « maturité excessive » du capitalisme dans certains pays où (l’agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements « avantageux » font défaut au capital.

V. Lénine, « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme », Œuvres, t. 22, p. 261.

Dans sa course au profit maximum, le capital « excédentaire » se déverse à l’étranger. Il est exporté principalement vers les pays retardataires, dans lesquels les capitaux sont peu nombreux, les salaires bas, les matières premières bon marché, le prix de la terre relativement peu élevé. Dans ces pays, la possibilité s’offre au capital monopoliste de toucher, p. 258et il les touche effectivement, des profits énormes. L’exportation des capitaux est étroitement rattachée au développement de l’exportation des marchandises : les monopoles qui exportent des capitaux ont l’habitude d’imposer au pays débiteur leurs marchandises à des conditions avantageuses pour eux. Les monopoles étrangers s’emparent des débouchés et des sources de matières premières dans les pays débiteurs.

Outre les pays retardataires, le capital est exporté aussi dans les pays industriels développés. Cela a lieu pendant les périodes de développement rapide de ces pays, qui exigent un afflux de capitaux venant du dehors (par exemple, aux États-Unis avant la première guerre mondiale), ou bien dans une période d’affaiblissement dû à la guerre (l’Allemagne après la première guerre mondiale, les pays capitalistes d’Europe occidentale après la deuxième guerre mondiale).

Les économistes et les hommes politiques bourgeois présentent l’exportation des capitaux comme une « aide » et un « bienfait » qu’apporteraient les pays capitalistes développés aux peuples retardataires. En réalité, l’exportation des capitaux, tout en accélérant le développement des rapports capitalistes dans les pays retardataires, conduit en même temps à l’asservissement et au pillage systématique de ces pays par les monopoles étrangers. L’exportation des capitaux constitue une des bases du système de l’oppression impérialiste, dans lequel de riches pays-usuriers exploitent une grande partie du globe. Par suite de l’exportation des capitaux, le monde est partagé en une poignée d’États-usuriers et une immense majorité d’États-débiteurs.

L’exportation des capitaux a de graves conséquences pour les pays. D’une part, les pays en question multiplient leurs-richesses et renforcent leur position sur le marché mondial. Il leur arrive du dehors un afflux constant de plus-value sous forme d’intérêts sur les emprunts ou de profit provenant de leurs entreprises à l’étranger. D’autre part, il se produit souvent une stagnation de l’industrie du pays exportateur de capitaux. Un des résultats les plus importants de l’exportation des capitaux est l’accentuation de la rivalité entre les puissances, la lutte pour les sphères d’investissement des capitaux les plus avantageuses.

Avant la première guerre mondiale, les principaux pays exportateurs de capitaux étaient l’Angleterre, la France et l’Allemagne. Leurs investissements à l’étranger s’élevaient de 175 à 200 milliards de francs : 75 à 100 milliards pour l’Angleterre, 60 milliards pour la France, 44 milliards pour l’Allemagne. L’exportation des capitaux des États-Unis ne jouait pas encore un grand rôle, et elle s’élevait à moins de 10 milliards de francs.

Après la guerre de 1914-1918, des changements radicaux se sont produits dans l’exportation mondiale des capitaux. L’Allemagne avait perdu ses capitaux à l’étranger. Les investissements à l’étranger avaient notablement diminué pour l’Angleterre et la France, et l’exportation de capitaux des États-Unis avait fortement augmenté. En 1929, les États-Unis atteignent à peu près au même niveau que l’Angleterre pour l’étendue de leurs investissements à l’étranger.

Après la deuxième guerre mondiale, l’exportation des capitaux des p. 259États-Unis s’est encore accrue. À la fin de 1949, les investissements de capitaux américains à l’étranger dépassaient la somme des investissements à l’étranger de tous les autres États capitalistes réunis. La somme totale des capitaux américains investis à l’étranger est passée de 11,4 milliards de dollars en 1939 à 39,5 milliards à la fin de 1953. La somme totale des investissements de capitaux anglais à l’étranger est passée de 3,5 milliards de livres sterling en 1938 à 2 milliards en 1951.