Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Les crises économiques, explosions brutales de toutes les contradictions du mode de production capitaliste, aboutissent infailliblement à une nouvelle aggravation de ces contradictions.
Les crises capitalistes de surproduction revêtent, la plupart du temps, un caractère général. Débutant dans une branche quelconque de la production, elles s’étendent rapidement à l’ensemble de l’économie nationale. Elles naissent dans un ou plusieurs pays, et gagnent de proche en proche l’ensemble du monde capitaliste.
Toute crise amène une réduction brutale de la production, la chute des prix de gros des marchandises, ainsi que des cours des actions en Bourse, la diminution du volume du commerce intérieur et extérieur. Le volume de la production redescend au niveau où il se trouvait plusieurs années auparavant. Au 19e siècle, pendant les crises, le niveau de la vie économique des pays capitalistes était ramené en arrière de trois à cinq ans, et au 20e siècle, de dizaines d’années.
L’extraction du charbon aux États-Unis est tombée pendant la crise de 1873, de 9,1 % ; en 1882, de 7,5 % ; en 1893, de 6,4 % ; en 1907, de 13,4 % ; en 1920-1921, de 27,5 % ; en 1929-1933, de 40,9 %. La production de fonte est tombée, pendant la crise de 1873, de 27 % ; en 1882, de 12,5 % ; en 1893, de 27,3 % ; en 1907, de 38,2 % ; en 1920-1921, de 54,8 % et en 1929-1933, de 79,4 %.
En Allemagne, le volume général de la production industrielle est tombé pendant la crise de 1873, de 6,1 % ; en 1890, de 3,4 % ; en 1907, de 6,5 % et en 1929-1933, de 40,6 %.
En Russie, pendant la crise de 1902-1903 la production de fonte a diminué de 17 %, celle du pétrole de 10 %, celle des rails de 30 %, celle du sucre de 19 %.
Les États-Unis, à la suite de la crise de 1857, se sont trouvés ramenés en arrière, pour l’extraction du charbon, de 2 ans ; pour la production de la fonte, de 4 ans ; pour les exportations, de 2 ans et pour les importations, de 3 ans. À la suite de la crise de 1929, les États-Unis se sont trouvés ramenés en arrière, pour l’extraction du charbon, de 28 ans ; pour la production de la fonte, de 36 ans ; pour la production d’acier, de 31 ans ; pour les exportations, de 35 ans ; pour les importations, de 31 ans.
L’Angleterre, à la suite de la crise de 1929, s’est trouvée ramenée en arrière, pour la production du charbon, de 35 ans ; pour la production de la fonte, de 76 ans ; pour la production d’acier, de 23 ans ; pour le commerce extérieur, de 36 ans.
Les crises économiques font la démonstration éclatante de la rapacité du capitalisme. À chaque crise, qui voue des millions d’hommes à la misère et à la famine, des quantités énormes de marchandises qui ne trouvent pas de débouchés sont détruites : blé, pommes de terre, lait, bétail, coton. Des usines entières, des chantiers navals, des hauts fourneaux sont mis en sommeil ou jetés à la ferraille ; on détruit des emblavures de céréales et de cultures industrielles, on abat des plantations d’arbres fruitiers.
Au cours des trois années de crise 1929-1933, on a démoli aux États-Unis 92 hauts fourneaux ; en Angleterre, 72 ; en Allemagne, 28 ; en France, 10. Le tonnage des navires détruits au cours de ces années s’élève à 6 500 000 tonnes.
L’action destructrice des crises agraires ressort des données suivantes. Aux États-Unis, de 1926 à 1937, plus de 2 millions de fermes ont été vendues pour dettes. Le revenu de l’agriculture est tombé de 6,8 milliards de dollars en 1929, à 2,4 milliards en 1932. Dans le même temps, la vente des machines agricoles et de l’outillage est passée de 458 millions de dollars à 65 millions par an, soit sept fois moins. L’emploi des engrais chimiques a diminué de près de moitié. Le gouvernement des États-Unis a pris toutes mesures pour réduire la production agricole. En 1933, on a détruit, par un nouveau labour, 10,4 millions d’acres de plantations de coton, on a acheté et détruit 6,4 millions de porcs, on brûlait le blé dans les foyers des locomotives. Au Brésil, on a détruit près de 22 millions de sacs de café ; au Danemark, 117 000 têtes de bétail.
Les crises entraînent des maux sans nombre pour la classe ouvrière, les masses essentielles de la paysannerie, pour tous les travailleurs. Elles provoquent un chômage massif qui voue à une inaction forcée, à la misère et à la famine, des centaines de milliers et des millions d’hommes. Les capitalistes utilisent le chômage pour intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, pour abaisser sensiblement le niveau de vie des travailleurs.
Le nombre d’ouvriers occupés dans l’industrie de transformation aux États-Unis, pendant la crise de 1907, a diminué de 11,8 %. Pendant la crise de 1929-1933, le nombre d’ouvriers de l’industrie de transformation américaine a diminué de 38,8 % ; le montant des salaires payés a baissé de 57,7 %. D’après les chiffres des statisticiens américains, de 1929 à 1938, par suite du chômage, on a perdu 43 millions d’années-travail.
Les crises augmentent dans une notable mesure les privations des travailleurs, leur peur du lendemain. Ne trouvant pas à s’employer durant des années, les prolétaires finissent par perdre leur qualification ; à l’issue de la crise, beaucoup d’entre eux ne peuvent plus retourner à leur travail. Les conditions de logement des travailleurs s’aggravent à l’extrême, le nombre des sans-foyer en quête d’un gagne-pain se multiplie. Dans les années de crise, les suicides dus au désespoir sont en progression rapide ; la mendicité et la criminalité augmentent.
Les crises amènent l’aggravation des contradictions de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre les masses essentielles de la paysannerie et les propriétaires fonciers, les Usuriers et les paysans riches qui les exploitent. Durant la crise, la classe ouvrière perd beaucoup des avantages qu’elle a conquis dans une longue et âpre lutte contre les exploiteurs et l’État bourgeois. Cela montre aux ouvriers que le seul moyen de remédier à la misère et à la faim est de supprimer l’esclavage salarié capitaliste. Les plus larges masses du prolétariat, que les crises vouent aux pires privations, acquièrent une conscience de classe et un esprit révolutionnaire. L’incapacité de la bourgeoisie à diriger les forces productives de la société sape parmi les couches petites-bourgeoises de la population la foi en l’immuabilité du régime capitaliste. Tout cela amène une aggravation de la lutte de classes dans la société capitaliste. L’État bourgeois, pendant les crises, vient en aide aux capitalistes par des subventions en argent, dont le poids en dernière analyse retombe sur le dos des masses laborieuses. Utilisant son appareil de violence et de coercition, l’État aide les capitalistes à conduire l’offensive contre le niveau de vie de la classe ouvrière et de la paysannerie. Tout cela augmente la paupérisation des masses laborieuses. D’autre part, les crises montrent l’incapacité totale de l’État bourgeois à maîtriser si peu que ce soit les lois spontanées du capitalisme dans les pays capitalistes, ce n’est pas l’État qui dirige l’économie, au contraire, c’est l’État lui-même qui est dominé par l’économie capitaliste, soumis au grand capital.
Les crises sont l’indice le plus frappant du fait que les forces productives créées par le capitalisme dépassent le cadre des rapports de production bourgeois ; aussi ces derniers sont-ils devenus une entrave au progrès des forces productives.
La crise prouve que la société actuelle pourrait sortir infiniment plus de produits destinés à améliorer les conditions de vie des travailleurs, si la terre, les fabriques, les machines et le reste n’avaient pas été accaparés par une bande de propriétaires privés qui tirent des millions de la misère du peuple.
Chaque crise rapproche l’effondrement du mode de production capitaliste.
Gomme c’est dans les crises que se manifestent de façon particulièrement nette et aiguë les contradictions insolubles du capitalisme, qui témoignent de l’inéluctabilité de sa fin, les économistes bourgeois cherchent par tous les moyens à cacher la vraie nature et les causes des crises. Voulant escamoter l’inéluctabilité des crises en régime capitaliste, ils déclarent d’ordinaire que les crises sont dues à des causes fortuites, que l’on peut soi-disant écarter, tout en maintenant le système capitaliste d’économie.
Dans ce but, les économistes de la bourgeoisie proclament qu’en fin de compte la cause des crises réside soit dans la rupture de l’équilibre entre les branches de la production, soit dans le retard de la consommation sur la production, et ils proposent pour guérir le capitalisme des crises de recourir à certains procédés de « consommation » comme la course aux armements et les guerres. En réalité l’absence d’équilibre dans la production, de même que la contradiction entre la production et la consommation ne sont pas des défauts fortuits du mode capitaliste de production, mais les formes inévitables de: la manifestation de la contradiction fondamentale du capitalisme, qui ne saurait être supprimée tant qu’existe le capitalisme. Certains économistes bourgeois vont même jusqu’à prétendre que les crises sont le résultat du déplacement des taches solaires, qui exerceraient une influence sur les récoltes, et, par conséquent, sur l’ensemble de la vie économique.
Dans les intervalles entre les crises, les défenseurs de la bourgeoisie proclament d’ordinaire à grand renfort de diffusion la fin des crises et l’entrée du capitalisme dans la voie d’un développement sans crises ; la crise suivante révèle l’erreur de telles affirmations. Invariablement la vie met en lumière l’inconsistance totale des remèdes de toute sorte proposés pour guérir le capitalisme des crises.