Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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À chaque mode de production correspondent des formes de répartition historiquement définies. La répartition du revenu national en régime capitaliste est déterminée par le fait que la propriété des moyens de production est concentrée entre les mains des capitalistes et des propriétaires fonciers qui exploitent le prolétariat et la paysannerie. Dès lors, la répartition du revenu national s’opère non pas dans l’intérêt des travailleurs, mais dans celui des classes exploiteuses.
En régime capitaliste, le revenu national créé par le travail des ouvriers va d’abord aux capitalistes exploitants (y compris les entrepreneurs capitalistes dans l’agriculture). Les capitalistes industriels, en réalisant les marchandises produites, perçoivent toute la somme de leur valeur, y compris la somme du capital variable et de la plus-value. Le capital variable se transforme en salaire, que les capitalistes industriels paient aux ouvriers occupés dans la production. La plus-value reste aux mains des capitalistes industriels ; c’est elle qui est la source des revenus de tous les groupes des classes exploiteuses. Une partie de la plus-value se transforme en profit des capitalistes industriels. Ils cèdent une partie de la plus-value aux capitalistes commerçants sous la forme du profit commercial et aux banquiers sous la forme de l’intérêt. Ils remettent une partie de la plus-value aux propriétaires terriens, sous la forme de la rente foncière. Cette répartition du revenu national, entre les diverses classes de la société capitaliste, peut être représentée schématiquement de la façon suivante (en milliards de dollars ou de francs) :
La répartition comprend également la part du revenu national, qui a été créée dans la période considérée par le travail des paysans et des artisans : une partie reste aux paysans et aux artisans ; une autre va aux capitalistes (paysans riches, revendeurs, marchands, banquiers, etc.) ; la troisième, aux propriétaires terriens.
Les revenus des travailleurs reposent sur leur travail personnel et représentent les revenus du travail. La source des revenus des classes exploiteuses est le travail des ouvriers, et aussi des paysans et des artisans. Les revenus des capitalistes et des propriétaires fonciers reposent sur l’exploitation du travail d’autrui et constituent des revenus parasites.
Dans le cours de la répartition ultérieure du revenu national, les revenus parasites des classes exploiteuses augmentent. Une partie des revenus de la population — en premier lieu des classes laborieuses — est redistribuée par l’intermédiaire du budget d’État et utilisée dans l’intérêt des classes exploiteuses. Ainsi, une part des revenus des ouvriers et des paysans, qui sous forme d’impôts entre dans le budget d’État, se transforme ensuite en revenus additionnels des capitalistes et en revenu des fonctionnaires. Les charges fiscales, imposées par les classes exploiteuses aux travailleurs, augmentent rapidement.
En Angleterre, à la fin du 19e siècle, les impôts représentaient de 6 à 7 % du revenu national ; en 1913, 11 % ; en 1924, 23 % ; en 1950,38 % ; en France, à la fin du 19e siècle, 10 % ; en 1913, 13 % ; en 1924, 21 % ; en 1950, 29 % du revenu national.
De plus, une part du revenu national est transmise, par voie de paiement de ce qu’on appelle les services, dans les branches non productives (par exemple, pour les services médicaux, les spectacles, les établissements d’entretien domestique, etc.) Comme on l’a déjà indiqué, il n’est pas créé de produit social dans ces branches, et, par suite, pas de revenu national ; mais les capitalistes, en exploitant les ouvriers salariés occupés dans ces secteurs, reçoivent une partie du revenu national créé dans les branches de la production matérielle. Avec ce revenu, les capitalistes, propriétaires d’entreprises des branches non productives, paient les salaires des travailleurs salariés, couvrent les dépenses matérielles (locaux, outillage, chauffage, etc.) et obtiennent un profit.
Ainsi, la rémunération des services doit compenser les frais de ces entreprises et assurer le taux moyen du profit, sinon les capitalistes cesseraient de placer leurs capitaux dans ces branches. Dans leur course au profit élevé, les capitalistes s’efforcent de faire monter le prix des services, ce qui aboutit à la baisse du salaire réel des ouvriers et des revenus réels des paysans.
La redistribution du revenu national par l’intermédiaire du budget et par les prix élevés des services a pour effet d’aggraver la paupérisation des travailleurs.
À l’issue de la répartition du revenu national, ce dernier se décompose en deux parties : 1o le revenu des classes exploiteuses et 2o le revenu des travailleurs occupés tant dans les branches de la production matérielle que dans les branches non productives.
La part des ouvriers et des autres travailleurs de la ville et des campagnes, qui n’exploitent pas le travail d’autrui, dans le revenu national était égale aux États-Unis (en 1923) à 54 %, et la part des capitalistes, à 46 % ; en Angleterre (en 1924) la part des travailleurs était de 45 % ; celle des capitalistes, de 55 % ; en Allemagne (en 1929) la part des travailleurs était de 55 %, la part des capitalistes, de 45 %. À l’heure actuelle, dans les pays capitalistes, les travailleurs, qui forment les 9/10 de la population, reçoivent sensiblement moins de la moitié du revenu national ; tandis que les classes exploiteuses en reçoivent sensiblement plus.
La part des classes travailleuses dans le revenu national décroît sans cesse ; celle des classes exploiteuses augmente. Aux États-Unis, par exemple, la part des travailleurs dans le revenu national était en 1870, de 58 % ; en 1890, de 56 % ; en 1923, de 54 % ; en 1951, à peu près de 40 %.
Le revenu national est utilisé en définitive à la consommation et à l’accumulation. L’utilisation du revenu national dans les pays bourgeois est déterminée par le caractère de classe du capitalisme et reflète le parasitisme sans cesse accentué des classes exploiteuses.
La part du revenu national destinée à la consommation personnelle des travailleurs, qui sont la principale force productive de la société, est si faible qu’elle n’assure en règle générale même pas le minimum vital. Une masse énorme d’ouvriers et de paysans travailleurs est obligée de se priver personnellement et de priver leurs familles du strict nécessaire, de s’entasser dans des masures, de priver leurs enfants d’instruction.
Une partie très importante du revenu national est destinée à la consommation parasite des capitalistes et des propriétaires terriens. Ils dépensent des sommes colossales pour l’achat d’objets de luxe et pour l’entretien d’une nombreuse domesticité.
En régime capitaliste, la part du revenu national destinée à élargir la production est très faible par rapport aux possibilités et aux besoins de la société. Ainsi, aux États-Unis, la part du revenu national destinée à l’accumulation, était entre 1919 et 1928, d’environ 10 % ; pour la période comprise entre 1929 et 1938, l’accumulation n’a été en moyenne que de 2 % du revenu national des États-Unis, et dans les années de crise le capital fixe était entamé.
Le volume relativement faible de l’accumulation en régime capitaliste est déterminé par le fait qu’une partie considérable du revenu national va à la consommation parasite des capitalistes, à des dépenses improductives. Ainsi les frais de circulation atteignent des dimensions considérables : entretien de l’appareil commercial et de l’appareil de crédit, stockage des marchandises excédentaires, frais de publicité, de spéculation boursière, etc. Aux États-Unis, dans l’entre-deux-guerres, les frais de circulation proprement dits absorbaient de 17 à 19 % du revenu national. Une part toujours croissante du revenu national en régime capitaliste va aux dépenses militaires, à la course aux armements, à l’entretien de l’appareil d’État.
À la surface des phénomènes de la société capitaliste les revenus et leurs sources se présentent sous une forme défigurée, fétichiste. On a l’impression que le capital engendre par lui-même le profit ; la terre — la rente, et que les ouvriers ne créent qu’une valeur égale à leur salaire.
Ces représentations fétichistes sont à la base des théories bourgeoises du revenu national. À l’aide des théories de ce genre, les économistes bourgeois cherchent à embrouiller la question du revenu national au profit de la bourgeoisie. Ils s’efforcent de prouver qu’à l’égal des ouvriers et des paysans, le revenu national est créé par les capitalistes et les propriétaires terriens, ainsi que par les fonctionnaires, les policiers, les spéculateurs en bourse, le clergé, etc.
Ensuite, les économistes bourgeois présentent sous un faux jour la répartition du revenu national. Ils minimisent la part du revenu perçu par les capitalistes et les propriétaires terriens. Ainsi, par exemple, les revenus des classes exploiteuses sont déterminés sur la base des renseignements très inférieurs à la réalité que fournissent les contribuables eux-mêmes ; on ne tient pas compte des appointements énormes que beaucoup de capitalistes touchent comme dirigeants de sociétés par actions: on ne tient pas compte des revenus de la bourgeoisie rurale, etc. En même temps, les revenus des travailleurs sont gonflés de façon artificielle en rangeant parmi eux les hauts fonctionnaires, les directeurs d’entreprises, de banques, de maisons commerciales, etc., grassement payés.
Enfin, les économistes bourgeois dénaturent la répartition réelle du revenu national, en ne tenant pas un compte à part des dépenses de consommation des classes exploiteuses, des frais proprement dits de circulation, en minimisant la part des dépenses militaires, en camouflant de mille manières le gaspillage improductif d’une énorme partie du revenu national.