Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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14.5. La grande et la petite production agricole.

Les lois économiques du développement du capitalisme sont les mêmes pour l’industrie et l’agriculture. La concentration de la production, dans l’agriculture comme dans l’industrie, aboutit à l’élimination des petites exploitations par les grandes exploitations capitalistes, ce gui a pour effet d’aggraver inévitablement les antagonismes de classe. Les défenseurs du capitalisme ont intérêt à atténuer et à masquer ce processus. Pour falsifier la réalité, ils ont créé la fausse théorie de « la stabilité de la petite exploitation paysanne ». Suivant cette théorie, la petite exploitation paysanne conserverait sa stabilité dans la lutte contre les grandes exploitations.

Mais en réalité, la grande production agricole possède une série d’avantages décisifs sur la petite. C’est avant tout qu’elle a la possibilité d’employer des machines coûteuses (tracteurs, moissonneuses-batteuses, etc.) qui augmentent considérablement la productivité du travail. Avec le mode de production capitaliste, les moyens mécaniques sont concentrés entre les mains des grands fermiers capitalistes et restent inaccessibles aux couches laborieuses de la campagne.

La grande production jouit de tous les avantages de la coopération capitaliste et de la division du travail. Un de ses avantages importants est son rendement marchand élevé. Les grandes et les très grandes entreprises agricoles aux États-Unis fournissent la majeure partie de l’ensemble de la production agricole marchande, tandis que la masse des fermiers n’exploite guère que pour sa propre consommation ; ils n’ont même pas assez de leur production pour satisfaire les besoins immédiats de leur famille.

De par sa nature, la propriété parcellaire exclut le développement de la productivité sociale du travail, les formes sociales du travail, la concentration sociale des capitaux, l’élevage en grand, l’utilisation progressive de la science.

K. Marx, Le Capital, livre 3, chap. 47.

Cependant, le développement de la grande production et l’élimination de la petite production dans l’agriculture ont leurs particularités. Les grandes entreprises agricoles capitalistes se développent principalement dans le sens d’une intensification de l’agriculture. Souvent une exploitation d’une petite superficie constitue une grande entreprise capitaliste par le volume de sa production globale et de sa production marchande. La concentration de la production agricole dans de grandes exploitations capitalistes s’accompagne souvent d’un accroissement numérique des toutes petites exploitations paysannes. L’existence d’un nombre important de ces toutes petites exploitations, dans les pays capitalistes hautement évolués, s’explique par le fait que les capitalistes ont intérêt au maintien d’ouvriers agricoles ayant un petit lopin de terre, afin de les exploiter.

Le développement de la grande production agricole capitaliste accentue la différenciation de la paysannerie, en augmentant la servitude, la paupérisation et la ruine de millions de petites et de moyennes exploitations paysannes.

Dans la Russie tsariste, avant la Révolution d’Octobre, on comptait parmi les exploitations paysannes 65 % d’exploitations de paysans pauvres, 20 % de paysans moyens et 15 % de koulaks. En France, le nombre de propriétaires terriens est tombé de 7 000 000-7 500 000 en 1850 à 2 700 000 en 1929 par suite de l’expropriation des petites exploitations paysannes parcellaires ; le nombre des prolétaires et semi-prolétaires atteignait en 1929 près de 4 millions dans l’agriculture française.

La petite exploitation agricole se maintient au prix d’incroyables privations, du gaspillage du travail de l’agriculteur et de toute sa famille. Le paysan a beau s’exténuer pour garder une indépendance illusoire, il perd sa terre et se ruine.

Un grand rôle dans la dépossession de la paysannerie appartient au crédit hypothécaire. Le crédit hypothécaire est un prêt gagé sur la terre et les biens immobiliers. Lorsque le cultivateur, qui exploite son propre terrain, a des besoins pressants d’argent (par exemple, pour payer ses impôts), il demande un prêt à une banque. Souvent, il demande un prêt pour l’achat d’un terrain. La banque délivre une certaine somme gagée sur le terrain. Si l’argent n’est pas remboursé à temps, la terre devient propriété de la banque. En réalité, la banque devient son véritable propriétaire bien avant, car le débiteur est obligé de lui rembourser sous forme d’intérêt une partie importante du revenu de cette terre. Sous forme d’intérêt, le paysan verse en fait à la banque une rente foncière pour son propre terrain.

La dette hypothécaire des fermiers américains en 1910 était de 3,2 milliards de dollars et en 1940, de 6,6 milliards de dollars. D’après les chiffres de 1936, l’intérêt du crédit et les impôts constituaient environ 45 % du revenu net des fermiers.

L’endettement vis-à-vis des banques est un véritable fléau pour la petite exploitation agricole. Le pourcentage des fermes hypothéquées aux États-Unis était en 1890 de 28,2 %, et en 1940 de 43,8 %.

Chaque année un grand nombre d’exploitations paysannes hypothéquées sont vendues aux enchères. Les paysans ruinés sont chassés de leur terre. L’accroissement des dettes contractées par les paysans illustre le processus de séparation de la propriété terrienne d’avec la production agricole, sa concentration dans les mains des grands propriétaires terriens et la transformation du producteur indépendant en fermier ou en ouvrier salarié.

Un nombre considérable de petits paysans prend à bail, chez les gros propriétaires terriens, des parcelles de terres de peu d’étendue à des conditions très dures. La bourgeoisie rurale en prend à bail afin de produire pour le marché et d’en tirer bénéfice. C’est l’affermage d’entreprise. Le petit fermier paysan est obligé de louer un lopin de terre pour pouvoir manger. C’est ce qu’on peut appeler l’affermage d’alimentation ou de famine. Le montant du loyer à l’hectare est généralement plus élevé pour les petits terrains que pour les grands. Le fermage du petit paysan engloutit souvent non seulement la totalité de son surtravail, mais aussi une fraction de son travail nécessaire. Les rapports d’affermage s’entremêlent ici avec les survivances du servage. La survivance la plus répandue de la féodalité dans les conditions du capitalisme est le métayage, dans lequel le paysan paye en nature, pour sa redevance, jusqu’à la moitié et plus de la récolte rentrée.

Aux États-Unis, en 1950, 57,5 % des cultivateurs étaient propriétaires de leurs terres et 26,5 % étaient fermiers. En outre, 15,6 % de l’ensemble des cultivateurs étaient des « propriétaires partiels », c’est-à-dire qu’ils étaient également obligés de louer une certaine partie de la terre cultivée par eux. Environ la moitié des paysans qui louent de la terre sont des métayers. Bien que l’esclavage aux États-Unis ait été officiellement aboli au siècle précédent, des survivances de l’esclavage, notamment en ce qui concerne les métayers noirs, subsistent encore aujourd’hui.

En France, il existe un grand nombre de métayers. Outre la redevance en nature, qui comprend la moitié de la récolte et même davantage dans certains cas, ils sont souvent obligés de ravitailler le propriétaire en produits de leur propre exploitation : fromage, beurre, œufs, volailles, etc.