Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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11.3. La baisse tendancielle du taux de profit.

Au fur et à mesure que le capitalisme se développe, la composition organique du capital s’élève sans discontinuer. Tout entrepreneur, qui remplace de plus en plus les ouvriers par des machines, cherche à rendre la production moins coûteuse, à élargir l’écoulement de ses marchandises et à tirer un surprofit. Mais lorsque les progrès techniques de certaines entreprises se répandent largement, il en résulte une élévation de la composition organique du capital dans la plupart des entreprises, ce qui amène la baisse du taux de profit général.

Dans le même sens agit l’accroissement plus rapide du capital fixe par rapport au capital circulant, ce qui ralentit la rotation de l’ensemble du capital.

Chaque capitaliste, en perfectionnant son équipement technique, cherche à tirer le plus de profit possible, mais les efforts de tous les capitalistes pour atteindre ce but aboutissent à ce que nul d’entre eux ne voulait — à la baisse du taux de profit général.

Reprenons l’exemple précédent. La somme de tous les capitaux, égale à 300 unités, est formée de 240 unités de capital constant et de 60 unités de capital variable. Le taux de la plus-value étant de 100 %, il est produit 60 unités de plus-v machines-alue, le taux du profit est égal à 20 %. Supposons que, 20 ans plus tard, le montant total du capital soit passé de 300 à 500 unités. Dans le même temps, grâce au progrès technique, la composition organique du capital s’est élevée, et les 500 unités se divisent en 425 unités de capital constant et 75 unités de capital variable. Dès lors, avec le même taux de plus-value, il sera créé 75 unités de plus-value. Le taux de profit sera alors de 75 500 × 100 = 15 % . La masse du profit est passée de 60 à 75 unités, tandis que le taux de profit est tombé de 20 à 15 %.

Ainsi, l’élévation de la composition organique du capital amène la baisse du taux moyen du profit. En même temps, une série de facteurs s’opposent à l’abaissement du taux de profit.

Premièrement, l’exploitation de la classe ouvrière se renforce. Le développement des forces productives du capitalisme, qui trouve son expression dans l’élévation de la composition organique du capital, aboutit du même coup à élever le taux de la plus-value. Dès lors, la baisse du taux de profit s’effectue avec plus de lenteur que dans le cas où le taux de la plus-value resterait invariable.

Deuxièmement, le progrès technique, tout en élevant la composition organique du capital, engendre le chômage qui pèse sur le marché du travail. Cela permet aux entrepreneurs de diminuer les salaires, et de les fixer sensiblement au-dessous de la valeur de la force de travail.

Troisièmement, au fur et à mesure que la productivité du travail se développe, la valeur des moyens de production : machines, outillage, matières premières, etc., diminue. Ceci a pour effet de ralentir l’élévation de la composition organique du capital et, par suite, s’oppose à l’abaissement du taux de profit.

Supposons que l’entrepreneur ait obligé l’ouvrier, qui conduisait auparavant cinq métiers à tisser, à travailler sur 20 métiers. Du fait de l’augmentation de la productivité du travail dans la construction des machines-outils, la valeur de ces dernières a diminué de moitié. Désormais les 20 métiers coûtent non plus quatre fois plus cher que 5, comme auparavant, mais seulement deux fois. Aussi la part du capital constant correspondant à un ouvrier, n’aura pas quadruplé, mais doublé.

Quatrièmement, à la baisse du taux de profit moyen s’oppose l’économie réalisée par les capitalistes sur le capital constant, aux dépens de la santé et de la vie des ouvriers. Afin d’augmenter leur profit, les entrepreneurs font travailler les ouvriers dans des locaux étroits, insuffisamment aérés ; ils lésinent sur les dispositifs de sécurité. Cette avarice sordide des capitalistes a pour résultat de ruiner la santé des ouvriers, de provoquer une quantité énorme d’accidents de travail et d’accroître la mortalité parmi la population ouvrière.

Cinquièmement, la chute du taux de profit est freinée par le déséquilibre des échanges dans le commerce extérieur, grâce auquel les entrepreneurs des pays capitalistes développés, en exportant leurs marchandises dans les pays coloniaux, obtiennent du surprofit.

Tous ces facteurs d’opposition ne suppriment pas, mais affaiblissent seulement la baisse du taux de profit» lui confèrent un caractère tendanciel. Ainsi, l’élévation de la composition organique du capital a pour conséquence inévitable la loi de l’abaissement tendanciel du taux général (ou moyen) du profit.

La chute du taux de profit ne signifie pas la diminution de la masse du profit, c’est-à-dire du volume total de la plus-value produite par la classe ouvrière. Au contraire, la masse du profit s’accroît tant par l’élévation du taux de la plus-value que par l’augmentation du nombre total des ouvriers exploités par le capital. Par exemple, aux États-Unis, la somme des profits industriels, établie suivant les données officielles du recensement des industries, se montait, en 1859, à 316 millions de dollars ; en 1869, à 516 millions, en 1879, à 660 millions ; en 1889, à 1 513 millions ; en 1899, à 2 245 millions.

Les capitalistes s’efforcent, en exploitant au maximum les ouvriers, de freiner la baisse tendancielle du taux de profit. Cela aboutit à aggraver les contradictions entre prolétariat et bourgeoisie.

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit accentue la lutte au sein de la bourgeoisie elle-même pour la répartition de la masse globale des profits.

Dans leur course aux profits élevés les capitalistes dirigent leurs capitaux vers les pays retardataires, où la main-d’œuvre est meilleur marché et la composition organique du capital plus basse que dans les pays à industrie hautement développée, et ils se mettent à exploiter à fond les peuples de ces pays. Cela aboutit à aggraver les contradictions entre pays capitalistes développés et pays retardataires, entre métropoles et colonies.

Ensuite, pour maintenir les prix à un niveau élevé, les entrepreneurs s’unissent en groupements de divers types. Ils cherchent ainsi à obtenir des profits élevés.

Enfin, soucieux de compenser la baisse du taux de profit en augmentant sa masse, les capitalistes élargissent le volume de la production au-delà des limites de la demande solvable. De ce fait, les contradictions résultant de la baisse tendancielle du taux de profit, se manifestent de façon particulièrement aiguë pendant les crises.

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit est un des indices les plus frappants des limites historiques du mode de production capitaliste. En aggravant les contradictions capitalistes, cette loi montre clairement que, à un certain niveau, le régime bourgeois devient un obstacle au développement des forces productives.