Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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11.2. La formation du taux moyen du profit et la transformation de la valeur des marchandises en prix de production.

En régime capitaliste, la répartition des capitaux entre les différentes branches de production et le progrès technique se réalisent dans une atmosphère de concurrence acharnée.

Il faut distinguer la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie et la concurrence entre les branches d’industrie.

La concurrence à l’intérieur des branches d’industrie est celle qui est pratiquée entre les entreprises d’une seule et même branche produisant des marchandises d’une même espèce, pour un écoulement plus avantageux de ces marchandises et pour un profit supplémentaire. Les diverses entreprises travaillent dans des conditions inégales et se distinguent les unes des autres par les dimensions, le niveau de l’équipement technique et de l’organisation de la production. De ce fait, la valeur individuelle des marchandises produites par les diverses entreprises, n’est pas la même. Mais la concurrence entre les entreprises d’une seule et même branche d’industrie aboutit au fait que les prix des marchandises sont déterminés non par leur valeur individuelle, mais par leur valeur sociale. Or la grandeur de la valeur sociale des marchandises, comme on l’a dit, dépend des conditions moyennes de la production dans une branche donnée.

Du fait que le prix des marchandises est déterminé par leur valeur sociale, l’avantage revient aux entreprises où la technique industrielle et la productivité du travail sont supérieures au niveau moyen de la branche d’industrie considérée et où, par suite, la valeur individuelle des marchandises est inférieure à leur valeur sociale. Ces entreprises reçoivent un profit supplémentaire ou surprofit qui est une forme de la plus-value extra que nous avons étudiée plus haut (chapitre 7). Ainsi, par suite de la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie, se forment, dans les différentes entreprises d’une branche donnée, des taux de profit différents. La concurrence entre les entreprises d’une même branche d’industrie aboutit à l’élimination des petites et moyennes entreprises par les grandes. Pour ne pas succomber à la concurrence, les capitalistes possesseurs d’entreprises arriérées, s’efforcent d’introduire chez eux les perfectionnements techniques appliqués par leurs concurrents, possesseurs d’entreprises plus développées au point de vue industriel. Il s’ensuit une élévation de la composition organique du capital dans l’ensemble de la branche d’industrie ; le surprofit, que recevaient les capitalistes possesseurs d’entreprises industriellement plus développées, disparaît, et le taux du profit accuse une baisse générale. C’est ce qui oblige les capitalistes à introduire de nouveaux perfectionnements techniques. C’est ainsi que par suite de la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie, la technique se développe et les forces productives s’accroissent.

La concurrence entre les branches d’industrie s’établit entre les capitalistes de diverses branches de la production pour le placement le plus rentable du capital. Les capitaux investis dans les différentes branches de la production ont une composition organique inégale. Comme la plus-value n’est créée que par le travail des ouvriers salariés, dans les entreprises des branches d’industrie où domine une basse composition organique du capital, on produit, à capital égal, une masse relativement plus importante de plus-value. Dans les entreprises où la composition organique du capital est plus élevée, la masse de plus-value produite est relativement plus faible. Cependant la concurrence entre capitalistes des diverses branches d’industrie aboutit à une égalisation des profits pour des capitaux de même grandeur.

Supposons qu’il existe dans la société trois branches d’industrie : cuirs et peaux, textile et constructions mécaniques, avec un capital de même grandeur, mais de composition organique différente. La grandeur du capital avancé dans chacune de ces branches est égale à 100 unités (par exemple, à 100 millions de livres sterling). Le capital dans la branche des cuirs et peaux comprend 70 unités de capital constant et 30 unités de capital variable ; le capital de la branche textile comprend 80 unités de capital constant et 20 unités de capital variable, et le capital de la branche des constructions mécaniques est formé de 90 unités de capital constant et de 10 unités de capital variable. Admettons que le taux de la plus-value dans les trois branches soit identique et égal à 100 %. Par conséquent, dans les cuirs et peaux, la plus-value produite sera de 30 unités, de 20 dans le textile et de 10 dans les constructions mécaniques. La valeur des marchandises de la première branche d’industrie sera égale à 130 ; dans la seconde à 120 ; dans la troisième à 110 et, dans l’ensemble des trois, à 360 unités.

Si les marchandises sont vendues à leur valeur, le taux du profit dans les cuirs et peaux sera de 30 %, dans le textile, de 20 % et dans les constructions mécaniques, de 10 %. Une telle répartition du profit sera très avantageuse pour les capitalistes des cuirs et peaux, mais désavantageuse pour les capitalistes des constructions mécaniques. Dès lors les entrepreneurs des constructions mécaniques chercheront un emploi plus avantageux de leurs capitaux. Et ils le trouveront dans les cuirs et peaux. Il se produira un transfert de capitaux de la branche des constructions mécaniques à celle des cuirs. Il s’ensuivra une augmentation de la quantité des marchandises produites dans les cuirs et peaux, la concurrence s’aggravera nécessairement et obligera les entrepreneurs de cette branche d’industrie à abaisser les prix de leurs marchandises, ce qui entraînerait aussi une baisse du taux de profit. Au contraire, dans les constructions mécaniques la quantité des marchandises produites diminuera, et cette modification du rapport entre l’offre et la demande permettra aux entrepreneurs de relever les prix de leurs marchandises et d’élever ainsi le taux du profit. La chute des prix dans les cuirs et peaux et leur hausse dans les constructions mécaniques continueront jusqu’au moment où le taux du profit dans les trois branches sera à peu près égal. Cela se produira lorsque les marchandises des trois branches d’industrie se vendront au prix de 120 unités : 130 + 120 + 110 3 . Le profit moyen de chaque branche d’industrie, dans ces conditions, sera égal à 20 unités. Le profit moyen est un profit égal pour des capitaux de même grandeur, investis dans des branches différentes de la production.

Ainsi, la concurrence entre les branches d’industrie conduit à l’égalisation des taux de profit différents existant dans les diverses branches de la production capitaliste pour tendre vers un seul taux général (ou moyen). Cette égalisation est réalisée par le transfert de capital (et, par suite aussi, de travail) d’une branche dans l’autre.

Avec la formation du taux de profit moyen, les capitalistes de certaines branches (dans notre exemple, ceux des cuirs) perdent une partie de la plus-value créée par leurs ouvriers. En revanche, les capitalistes d’autres branches (dans notre exemple, ceux des constructions mécaniques) réalisent un excédent de plus-value. Cela veut dire que les premiers vendent leurs marchandises à des prix inférieurs à leur valeur, les seconds, à des prix supérieurs à leur valeur. Le prix de la marchandise de chaque branche est formé désormais par les frais de production (100 unités) et le profit moyen (20 unités).

Le prix égal aux frais de production de la marchandise plus le profit moyen est le prix de production. Dans les diverses entreprises d’une branche donnée, par suite des différences dans les conditions de production, existent des prix individuels de production différents, qui sont déterminés par les frais de production individuels plus le profit moyen. Mais les marchandises sont vendues en moyenne à un prix de production commun, identique.

Le processus de formation du taux moyen du profit et du prix de production peut être illustré par le tableau suivant :

Branches
de production
Capi-
tal


con-
stant
Capi-
tal


vari-
able
Plus-
value
Valeur


des


mar-
chan-
dises
Taux

de

profit

moyen

en %
Prix
de
pro-
duction

des
mar-
chan-
dises
Écart
du
prix
de pro-
duction
par
rapport
à la
valeur
Cuirs et peaux… 70 30 30 130 20 120 − 10
Textile… 80 20 20 120 20 120 néant
Constructions
mécaniques…
90 10 10 110 20 120 + 10
 
Total… 240 60 60 360 20 360  

Les marchandises produites dans chacune des trois branches, sont vendues 120 unités (par exemple, 120 millions de dollars). Cependant la valeur de la marchandise dans les cuirs et peaux est égale à 130 unités ; dans le textile, à 120 et dans les constructions mécaniques à 110 unités. Contrairement à ce qui se passe dans la production marchande simple, en régime capitaliste les marchandises ne sont plus vendues à des prix qui correspondent à leur valeur, mais à des prix qui correspondent à leur prix de production.

La transformation de la valeur en prix de production résulte du développement historique de la production capitaliste. Dans le cadre de la production marchande simple, les prix des marchandises sur le marché correspondaient en gros à leur valeur. Aux premières phases du développement du capitalisme, subsistaient des différences notables entre les taux de profit des diverses branches de production ; en effet elles n’étaient pas encore suffisamment liées entre elles et il y avait des restrictions corporatives et autres qui gênaient le libre transfert des capitaux d’une branche dans l’autre. Le processus de formation du taux moyen de profit et de transformation de la valeur en prix de production ne s’achève qu’avec la victoire de l’industrie mécanique capitaliste.

Avec la transformation de la valeur en prix de production, la loi économique fondamentale du capitalisme, la loi de la plus-value, se concrétise et se manifeste sous la forme du taux moyen du profit.

Les économistes bourgeois cherchent à réfuter la théorie de la valeur-travail de Marx en alléguant le fait que les prix de production, dans certaines branches d’industrie, ne correspondent pas à la valeur des marchandises. Mais en réalité, la loi de la valeur reste entièrement valable dans les conditions du capitalisme, car le prix de production ne représente que la forme modifiée de la valeur.

Les faits suivants le confirment :

Premièrement, certains entrepreneurs vendent leurs marchandises à des prix supérieurs à leur valeur, d’autres à des prix inférieurs, mais tous les capitalistes pris ensemble réalisent toute la masse de la valeur de leurs marchandises. À l’échelle de toute la société, la somme des prix de production est égale à la somme des valeurs de toutes les marchandises.

Deuxièmement, la somme des profits de toute la classe des capitalistes est égale à la somme de la plus-value produite par la totalité du travail non payé du prolétariat. La grandeur du taux moyen du profit dépend de la grandeur de la plus-value produite dans toute la société.

Troisièmement, l’abaissement de la valeur des marchandises entraîne l’abaissement de leurs prix de production ; l’accroissement de la valeur des marchandises entraîne la hausse de leurs prix de production.

Ainsi, dans la société capitaliste, il existe une loi du taux moyen du profit, selon laquelle les différents taux de profit, qui dépendent de la composition organique différente du capital dans les diverses branches de production, tendent à s’égaliser du fait de la concurrence en un taux général (moyen) du profit. La loi du taux moyen du profit, comme d’ailleurs toutes les lois régissant le mode de production capitaliste, agit spontanément à travers de multiples écarts et oscillations. Dans la lutte pour le placement le plus rentable du capital, une concurrence acharnée se livre entre capitalistes. Ces derniers cherchent à placer leurs capitaux dans les branches de production qui leur font entrevoir les profits les plus élevés. Dans la chasse aux gros profits, les capitaux sont transférés d’une branche d’industrie à l’autre, à la suite de quoi précisément s’établit le taux moyen du profit.

Ainsi, c’est sur la base de la loi du taux moyen du profit que se réalise la répartition du travail et des moyens de production entre les diverses branches de la production capitaliste. Par conséquent, dans un régime capitaliste développé, la loi de la valeur agit comme un régulateur spontané de la production par l’intermédiaire du prix de production.

Le prix de production est la moyenne autour de laquelle en définitive oscillent les prix de marché des marchandises, c’est-à-dire les prix auxquels les marchandises sont pratiquement vendues et achetées sur le marché.

L’égalisation du taux de profit et la transformation de la valeur en prix de production masquent encore davantage le rapport d’exploitation, cachent encore plus la source véritable de l’enrichissement des capitalistes.

La véritable différence de grandeur entre le profit et la plus-value… dans les sphères particulières de la production, cache maintenant complètement la vraie nature et l’origine du profit, non seulement pour le capitaliste qui a un intérêt particulier à s’illusionner lui-même, mais encore pour l’ouvrier. Du moment que les valeurs sont transformées en prix de production, la base même de la détermination de la valeur échappe à leur regard.

K. Marx, « Transformation du profit en profit moyen », Le Capital, livre 3, chap. 9.

En réalité, la formation du taux moyen du profit signifie la redistribution de la plus-value entre les capitalistes des différentes branches de la production. Les capitalistes des branches à composition organique du capital élevée s’approprient une partie de la plus-value créée dans les branches d’industrie à basse composition organique du capital. Par conséquent, les ouvriers sont exploités non seulement par les capitalistes qui les font travailler, mais aussi par toute la classe des capitalistes. Toute la classe des capitalistes a intérêt à voir s’élever le degré d’exploitation des ouvriers, puisque cela conduit à l’accroissement du taux moyen du profit. Comme l’indiquait Marx, le taux moyen du profit dépend du degré d’exploitation de l’ensemble du travail par l’ensemble du capital.

La loi du taux moyen du profit exprime, d’une part, les contradictions et la concurrence entre les capitalistes industriels pour le partage de la plus-value ; d’autre part, l’antagonisme profond de deux classes hostiles, la bourgeoisie et le prolétariat. Cette loi confirme que dans la société capitaliste la bourgeoisie en tant que classe s’oppose à l’ensemble du prolétariat, que la lutte pour les intérêts partiels des ouvriers ou de groupes d’ouvriers, la lutte contre tels ou tels capitalistes ne peut amener un changement radical dans la situation de la classe ouvrière. Celle-ci ne peut secouer le joug du capital qu’à la condition de renverser la bourgeoisie en tant que classe, de supprimer le système même de l’exploitation capitaliste.