Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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9.5. L’armée industrielle de réserve.

p. 155L’accroissement de la production en régime capitaliste, comme on l’a déjà dit, s’accompagne d’une augmentation de la composition organique du capital. La demande de main-d’œuvre est déterminée par la grandeur, non du capital tout entier, mais seulement de sa partie variable. Or, la partie variable du capital, avec le progrès technique, diminue relativement par rapport au capital constant. Aussi, avec l’accumulation du capital et le progrès de sa composition organique, la demande de main-d’œuvre se réduit-elle relativement, encore que les effectifs d’ensemble du prolétariat augmentent en même temps que le capitalisme se développe.

Il en résulte qu’une masse importante d’ouvriers ne peut trouver à s’employer. Une partie de la population ouvrière se trouve être « en surnombre » ; il se produit ce qu’on appelle une surpopulation relative. Cette surpopulation est relative, parce qu’une partie de la force de travail ne s’avère en surnombre que par rapport aux besoins d’accumulation du capital. Ainsi, dans la société bourgeoise, au fur et à mesure qu’augmente la richesse sociale, une partie de la classe ouvrière est vouée à un travail toujours plus dur et excessif, tandis que l’autre partie est condamnée à un chômage forcé.

Il faut distinguer les formes essentielles suivantes de surpopulation relative.

La surpopulation flottante est constituée par les ouvriers qui perdent leur travail pour un certain temps par suite de la réduction de la production, de l’emploi de nouvelles machines, de la fermeture d’entreprises. Avec l’élargissement de la production, une partie de ces chômeurs trouve à s’employer, de même qu’une partie des nouveaux ouvriers de la jeune génération. Le nombre total des ouvriers employés augmente, mais dans une proportion sans cesse décroissante par rapport à l’échelle de la production.

La surpopulation latente est constituée par les petits producteurs ruinés, et avant tout par les paysans pauvres et les ouvriers agricoles qui ne sont occupés dans l’agriculture que pendant une faible partie de l’année, ne trouvent pas à s’employer dans l’industrie et traînent une misérable existence, en vivotant tant bien que mal à la campagne. Contrairement à ce qui se passe dans l’industrie, le progrès technique dans l’agriculture entraîne une diminution absolue de la demande de main-d’œuvre.

La surpopulation stagnante est constituée par les groupes nombreux de gens qui ont perdu leur emploi permanent, et dont les occupations irrégulières sont payées bien au-dessous du niveau habituel du salaire. Ce sont de larges couches de travailleurs occupés dans la sphère du travail capitaliste à domicile, et aussi ceux qui vivent d’un travail occasionnel à la journée.

Enfin, la couche inférieure de la surpopulation relative est constituée par les gens qui ont été depuis longtemps éliminés de la production, sans aucun espoir de retour, et qui vivent d’un gagne-pain de hasard. Une partie de ces gens est réduite à la mendicité.

Les ouvriers éliminés de la production forment l’armée industrielle de réserve, l’armée des chômeurs. Cette armée est un attribut nécessaire de l’économie capitaliste, sans lequel elle ne peut ni exister, ni se développer. Dans les périodes d’essor industriel, quand l’élargissement rapide de la production s’impose, une quantité suffisante de chômeurs se trouve à la disposition des entrepreneurs. L’élargissement de la production a pour effet de réduire momentanément le chômage. Mais ensuite une crise de surproduction arrive et, de nouveau, des masses importantes d’ouvriers sont jetées à la rue et vont grossir l’armée de réserve des chômeurs.

L’existence de cette armée permet aux capitalistes de renforcer l’exploitation des ouvriers. Les chômeurs sont contraints d’accepter les plus dures conditions de travail. Le chômage crée une situation instable pour les ouvriers employés dans la production, et réduit considérablement le niveau de vie de la classe ouvrière tout entière. Voilà pourquoi les capitalistes n’ont pas intérêt à voir supprimer l’année industrielle de réserve, qui pèse sur le marché du travail et assure au capitaliste une main-d’œuvre à bon marché.

Avec le développement du mode de production capitaliste l’armée des chômeurs, diminuant dans les périodes d’essor de la production et augmentant pendant les crises, dans l’ensemble s’accroît.

En Angleterre, 1,7 % des membres des trade-unions étaient chômeurs en 1853 ; en 1880, 5,5 % ; en 1908, 7,8 % ; en 1921, 16,6 %. Aux États-Unis, d’après les données officielles, le nombre des chômeurs par rapport à la totalité de la classe ouvrière, était : de 5,1 % en 1890, de 10 % en 1900, de 15,5 % en 1915, de 23,1 % en 1921. En Allemagne, le nombre des chômeurs parmi les syndiqués était : de 0,2 % en 1887, de 2 % en 1900, de 18 % en 1926. La surpopulation relative dans les pays coloniaux et semi-coloniaux d’Orient atteint des proportions énormes.

Avec le développement du capitalisme, le chômage partiel prend des proportions toujours plus étendues : l’ouvrier ne travaille alors qu’une partie de la journée ou de la semaine.

Le chômage est un véritable fléau pour la classe ouvrière. Les ouvriers n’ont pas de quoi vivre, si ce n’est de la vente de leur force de travail. Renvoyés de l’entreprise, ils sont menacés de mourir de faim. Souvent, les chômeurs restent sans toit, car ils n’ont pas de quoi payer un gîte. Ainsi, la bourgeoisie s’avère incapable d’assurer aux esclaves salariés du capital, ne fût-ce qu’une existence d’esclave.

Les économistes bourgeois tentent de justifier le chômage en régime capitaliste en invoquant des lois éternelles de la nature. C’est à ce but que servent les inventions pseudo-scientifiques de Malthus, économiste réactionnaire anglais de la fin du 18e – début du 19e siècles. D’après la « loi de population », inventée par Malthus, depuis l’origine de la société humaine la population se multiplierait suivant les termes d’une progression géométrique (comme 1, 2, 4, 8, etc.), et les moyens d’existence, étant donné le caractère limité des richesses naturelles, augmenteraient suivant les termes d’une progression arithmétique (comme 1, 2, 3, 4, etc.) C’est là, d’après Malthus, la cause première du surplus de population, de la famine et de la misère des masses populaires. Le prolétariat, d’après Malthus, peut se libérer de la misère et de la famine, non pas par l’abolition du régime capitaliste, mais en s’abstenant du mariage et en réduisant artificiellement les naissances. Malthus considérait comme autant de bienfaits les guerres et les épidémies qui diminuent la population laborieuse. La théorie de Malthus est foncièrement réactionnaire. Elle permet à la bourgeoisie de justifier les tares incurables du capitalisme. Les inventions de Malthus n’ont rien de commun avec la réalité. Les moyens techniques puissants dont l’humanité dispose sont à même d’augmenter la quantité des moyens d’existence à des rythmes que l’accroissement même le plus rapide de la population est incapable d’égaler. Le seul obstacle est le régime capitaliste, qui est la cause véritable de la misère des masses.

Marx a découvert la loi capitaliste de la population, selon laquelle dans la société bourgeoise, l’accumulation du capital fait qu’une partie de la population ouvrière devient inévitablement superflue, est éliminée de la production et vouée aux affres de la misère et de la faim. La loi capitaliste de la population a été engendrée par les rapports de production de la société bourgeoise.