Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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8.5. La baisse du salaire réel en régime capitaliste.

Sur la base de l’analyse du mode de production capitaliste, Marx a établi la loi fondamentale suivante en ce qui concerne le salaire.

La tendance générale de la production capitaliste n’est pas d’élever le salaire normal moyen, mais de l’abaisser.

K. Marx, Travail salarié et capital, suivi de Salaire, prix et profit, p. 114.

Le salaire en tant que prix de la force de travail, de même que le prix de toute marchandise, est déterminé par la loi de la valeur. Les prix des marchandises dans l’économie capitaliste oscillent autour de leur valeur sous l’influence de l’offre et de la demande. Mais à la différence des prix des autres marchandises, le prix de la force de travail, en règle générale, oscille au-dessous de sa valeur.

Le décalage du salaire par rapport à la valeur de la force de travail est dû avant tout au chômage. Le capitaliste entend acheter la force de travail à meilleur compte. Avec le chômage, l’offre de la force de travail excède la demande. Ce qui distingue la marchandise force de travail des autres marchandises, c’est que le prolétaire ne peut en différer la vente. Pour ne pas mourir de faim, il est obligé de la vendre aux conditions que lui offre le capitaliste. Dans les périodes de chômage total ou partiel l’ouvrier ou bien ne reçoit aucun salaire ou un salaire considérablement réduit. Le chômage accentue la concurrence entre ouvriers. Le capitaliste en profite et paye à l’ouvrier un salaire inférieur à la valeur de sa force de travail. Ainsi donc, la situation misérable des chômeurs, qui font partie de la classe ouvrière, influe sur la situation matérielle des ouvriers occupés à la production, abaisse le niveau de leur salaire.

p. 143Ensuite, le machinisme ouvre aux capitalistes de larges possibilités de remplacer dans la production la main-d’œuvre masculine par le travail des femmes et des enfants. La valeur de la force de travail est déterminée par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à l’ouvrier et à sa famille. Aussi, lorsque la femme et les enfants de l’ouvrier sont entraînés dans la production, le salaire diminue, toute la famille reçoit dès lors à peu près autant que recevait auparavant le seul chef de famille. L’exploitation de la classe ouvrière dans son ensemble s’en trouve encore aggravée. Dans les pays capitalistes, les ouvrières qui fournissent un travail égal à celui de l’homme touchent un salaire sensiblement inférieur.

Le capital extorque la plus-value par une exploitation effrénée de la main-d’œuvre enfantine. Le salaire des enfants et des adolescents dans tous les pays capitalistes et coloniaux est de plusieurs fois inférieur à celui des ouvriers adultes.

Le salaire moyen d’une ouvrière était inférieur au salaire moyen d’un ouvrier, aux États-Unis (en 1949) de 41 %, en Angleterre (en 1951) de 46 %, en Allemagne occidentale (en 1951) de 42 %. Cette différence est encore plus importante dans les pays coloniaux et dépendants.

Aux États-Unis, en 1949, selon des données inférieures à la réalité, on compte parmi les salariés plus de 3,3 millions d’enfants et d’adolescents. La durée de la journée de travail des enfants et des adolescents est très longue. Ainsi dans les amidonneries, les usines de conserves et de viande, dans les blanchisseries et les entreprises pour le dégraissage des vêtements, les enfants travaillent de 12 à 13 heures par jour.

Au Japon, on pratique couramment la vente des enfants pour le travail dans les fabriques. La main-d’œuvre enfantine était largement employée dans la Russie des tsars. Une partie assez importante des ouvriers des fabriques textiles et de certaines autres entreprises se composait d’enfants de 8 à 10 ans. Dans l’industrie cotonnière de l’Inde les enfants forment de 20 à 25 % de la totalité des ouvriers. L’exploitation de la main-d’œuvre enfantine par le capital prend des formes particulièrement féroces dans les pays coloniaux et dépendants. En Turquie, dans les fabriques de textile et les manufactures de tabac, les enfants de 7 à 14 ans travaillent, tout comme les adultes, une journée complète.

Les bas salaires des ouvrières et l’exploitation des enfants provoquent de nombreuses maladies, un accroissement de la mortalité infantile, exercent une action néfaste sur l’éducation et l’instruction des jeunes générations.

La baisse du salaire réel des ouvriers est aussi conditionnée par le fait qu’avec le développement du capitalisme, la situation d’une grande partie des ouvriers qualifiés s’aggrave. Comme on l’a déjà dit, la valeur de la force de travail comprend aussi les frais nécessités par l’apprentissage du travailleur. Le travailleur qualifié crée dans une unité de temps plus de valeur, donc plus de plus-value, que l’ouvrier non spécialisé. Le capitaliste est obligé de payer le travail qualifié plus que le travail des manœuvres. Mais avec le développement du capitalisme et le progrès technique, d’une part, on demande des ouvriers hautement qualifiés, capables de manier des mécanismes complexes ; d’autre part, beaucoup d’opérations sont simplifiées, le travail d’une partie importante des ouvriers qualifiés devient inutile. De larges couches d’ouvriers spécialisés perdent leur p. 144qualification, ils sont éliminés de la production et se voient obligés de faire un travail non qualifié, payé beaucoup moins.

L’augmentation du coût de la vie et la baisse du niveau du salaire réel qu’elle entraîne sont déterminées avant tout par la hausse des prix systématique des objets de consommation courante. Ainsi, en France, par suite de l’inflation, les prix de détail des denrées alimentaires en 1938 avaient dépassé de plus de sept fois leur niveau de 1914.

Le loyer absorbe une grande partie du salaire de l’ouvrier. En Allemagne, de 1900 à 1930, le loyer a augmenté en moyenne de 69 %. D’après les chiffres du Bureau International du Travail, après 1930, les ouvriers dépensaient pour le loyer, le chauffage et l’éclairage aux États-Unis 25 %, en Angleterre 20 %, au Canada 27 % du budget de la famille. Dans la Russie tsariste, les frais de logement chez les ouvriers atteignaient jusqu’à un tiers du salaire.

Une somme importante à décompter du salaire est constituée par les impôts perçus sur les travailleurs. Dans les principaux pays capitalistes, après la guerre, les contributions directes et indirectes absorbent au moins un tiers du salaire de la famille ouvrière.

Un moyen très répandu de réduire le salaire est le système des amendes. En Russie tsariste, avant la promulgation de la loi sur les amendes (1886), qui limita un peu l’arbitraire des fabricants, les retenues sur les salaires sous forme d’amendes atteignaient, dans certains cas, la moitié du salaire mensuel. On infligeait des amendes à tout propos : pour un « travail mal fait », pour « infraction au règlement », pour bavardage, participation à une manifestation, etc. Les amendes sont non seulement un moyen de renforcer la discipline capitaliste du travail, mais aussi une source de revenu supplémentaire pour le capitaliste.

La baisse du salaire réel est également conditionnée par les salaires extrêmement bas du prolétariat agricole. La grande armée de travailleurs en surnombre de la campagne exerce une pression constante sur le niveau des salaires des ouvriers occupés, dans le sens de la baisse.

Ainsi, par exemple, de 1910 à 1939, le salaire moyen mensuel de l’ouvrier agricole aux États-Unis a oscillé entre 28 et 47 % du salaire de l’ouvrier d’usine. La situation des ouvriers agricoles de la Russie tsariste était extrêmement dure. Avec une journée de 16 à 17 heures de travail, le salaire journalier moyen d’un ouvrier agricole saisonnier, en Russie, de 1901 à 1910, était de 69 kopeks, et avec ce salaire dérisoire qu’il touchait durant la période des travaux des champs, il lui fallait se tirer d’embarras pendant les autres mois de chômage complet ou partiel.

Ainsi, avec le développement du mode de production capitaliste, le salaire réel de la classe ouvrière est en baisse.

En 1924, le salaire réel des ouvriers allemands, par rapport au niveau de 1900, était de 75 % ; en 1935, de 66 %. Aux États-Unis, de 1900 à 1938, le salaire nominal moyen (compte tenu des chômeurs) a augmenté de 68 % ; mais, pour la même période, le coût de la vie a été multiplié par 2,3, p. 145ce qui ramenait le salaire réel des ouvriers en 1938 à 74 % du niveau de 1900 ; en France, en Italie, au Japon, sans parler des pays coloniaux et dépendants, la baisse du salaire réel, au cours des 19e et 20e siècles, a été beaucoup plus sensible qu’aux États-Unis. En Russie tsariste, en 1913, le salaire réel des ouvriers d’usine était tombé à 90 % du niveau de 1900.

Dans les différents pays, la valeur de la force de travail est inégale. Les conditions qui déterminent la valeur de la force de travail changent dans chaque pays. De là des différences nationales dans le salaire. Marx écrivait qu’en comparant les salaires dans les différents pays, il fallait mettre en ligne de compte tous les facteurs qui déterminent des modifications dans la grandeur de la valeur de la force de travail : les conditions historiques qui ont présidé à la constitution de la classe ouvrière, ainsi que le niveau de ses besoins, les dépenses nécessitées par la formation de l’ouvrier, le rôle de la main-d’œuvre féminine et enfantine, la productivité du travail et son intensité, les prix des objets de consommation, etc.

On observe un niveau particulièrement bas des salaires dans les pays coloniaux et dépendants. Dans sa politique d’asservissement et de pillage systématique des pays coloniaux et dépendants, le capital bénéficie d’un important excédent de main-d’œuvre dans ces pays et rétribue la force de travail à un prix de beaucoup inférieur à sa valeur. Ce faisant, on tient compte de la nationalité de l’ouvrier. Ainsi, par exemple, les Blancs et les Noirs, qui fournissent un travail égal sont payés différemment. En Afrique du Sud, le salaire moyen du Noir est le dixième du salaire moyen de l’ouvrier anglais. Aux États-Unis, le salaire des Noirs dans les villes est inférieur de 60 % et, dans l’agriculture, de 66 % à celui des Blancs pour un même travail.

En diminuant les salaires de la masse essentielle des ouvriers et en pillant les colonies, la bourgeoisie crée des conditions privilégiées pour une couche relativement réduite d’ouvriers hautement qualifiés. La bourgeoisie utilise cette aristocratie ouvrière, formée de ces couches hautement payées et comprenant des représentants de la bureaucratie des syndicats et des coopératives, une partie des contremaîtres, etc., pour diviser le mouvement ouvrier et intoxiquer la conscience de la grande masse des prolétaires en prêchant la paix sociale, la communauté des intérêts des exploiteurs et des exploités.