Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Les formes principales du salaire sont le salaire au temps et le salaire aux pièces.
Le salaire au temps est une forme de salaire dans laquelle la grandeur du salaire de l’ouvrier dépend du temps qu’il a fourni : heures, jours, semaines, mois. Il y a donc lieu de distinguer : le paiement à l’heure, à la journée, à la semaine, au mois.
Pour un salaire au temps de même grandeur, le salaire effectif de l’ouvrier peut être différent, selon la durée de la journée de travail.
La mesure de la rémunération de l’ouvrier pour le travail fourni par unité de temps est le prix d’une heure de travail. Bien que, comme on l’a déjà dit, le travail par lui-même n’ait pas de valeur, ni par conséquent de prix, pour déterminer la grandeur de la rémunération de l’ouvrier, on adopte l’appellation conventionnelle de « prix du travail ». L’unité de mesure du « prix du travail » est la rémunération ou le prix d’une heure de travail. Ainsi, si la durée moyenne de la journée de travail est de 12 heures, et si la valeur journalière moyenne de la force de travail est égale à 6 dollars, le prix moyen d’une heure de travail (600 cents : 12) sera égal à 50 cents.
Le salaire au temps permet au capitaliste de renforcer l’exploitation de l’ouvrier en allongeant la journée de travail, de diminuer le prix de l’heure de travail, en laissant inchangé le salaire journalier, hebdomadaire ou mensuel. Supposons que le salaire journalier demeure comme précédemment de 6 dollars, mais que la journée de travail passe de 12 à 13 heures ; en ce cas, le prix d’une heure de travail (600 cents : 13) s’abaissera de 50 à 46 cents. Sous la pression des revendications des ouvriers, le capitaliste est parfois contraint d’augmenter le salaire journalier (et, en proportion, les salaires hebdomadaire et mensuel), mais le prix d’une heure de travail peut rester invariable ou même diminuer. Ainsi, si le salaire journalier est augmenté de 6 dollars à 6 dollars 20 cents, la journée de travail passant de 12 à 14 heures, le prix d’une heure de travail tombera alors (620 cents : 14) à 44 cents.
Au fond, l’intensification du travail signifie aussi la baisse du prix de l’heure de travail car, avec une plus grande dépense d’énergie (ce qui équivaut en fait à l’allongement de la journée de travail) la rémunération reste la même. Avec la baisse du prix de l’heure de travail le prolétaire, pour vivre, est obligé p. 137d’accepter un nouvel allongement de la journée de travail. L’allongement de la journée de travail et l’intensification excessive du travail entraînent une dépense plus élevée de force de travail et son épuisement. Moins est payée chaque heure de travail, et plus grande est la quantité de travail ou bien plus longue est la journée de travail nécessaires pour que l’ouvrier soit assuré ne serait-ce que d’un faible salaire. D’autre part, la prolongation du temps de travail provoque à son tour une baisse de la rémunération de l’heure de travail. Le capitaliste utilise dans son intérêt le fait qu’avec l’allongement de la journée de travail ou avec l’intensification du travail, le salaire horaire baisse.
Quand les conditions de la vente des marchandises sont favorables, il allonge la journée de travail, introduit les heures supplémentaires, c’est-à-dire un travail en plus de la durée établie de la journée de travail. Mais si les conditions du marché sont défavorables et si le capitaliste est obligé de diminuer momentanément le volume de sa production, il réduit la journée de travail et introduit la rémunération à l’heure. La rémunération à l’heure, la journée ou la semaine de travail étant incomplètes, diminue notablement le salaire. Si, dans notre exemple, la journée de travail est diminuée de 12 à 6 heures avec maintien de l’ancien salaire horaire de 50 cents, le salaire à la journée de l’ouvrier sera de 3 dollars en tout, c’est-à-dire deux fois moins que la valeur journalière de la force de travail. Par conséquent, l’ouvrier perd non seulement si la journée de travail est excessivement allongée, mais également quand il est obligé de travailler à temps réduit.
Le capitaliste peut maintenant tirer du travailleur un quantum déterminé de surtravail sans lui accorder le temps de travail nécessaire à sa propre conservation. Il peut abolir toute régularité dans l’occupation et faire alterner, uniquement en fonction de ce qui l’arrange, de son bon plaisir et de ses intérêts du moment, l’excès de travail le plus monstrueux et un chômage partiel ou total.
Avec le salaire au temps, la grandeur du salaire de l’ouvrier n’est pas en raison directe du degré d’intensité de son travail : si celui-ci augmente, le salaire au temps n’augmente pas, et le prix de l’heure de travail baisse en fait. Afin de renforcer l’exploitation, le capitaliste entretient des surveillants spéciaux, qui veillent au respect — par les ouvriers — de la discipline capitaliste du travail, ainsi qu’à son intensification ultérieure.
Le salaire au temps était appliqué dès les premières phases du développement du capitalisme, quand l’entrepreneur qui ne rencontrait pas encore de résistance tant soit peu organisée de la part des ouvriers, pouvait rechercher un accroissement de la plus-value en allongeant la journée de travail. Mais le salaire au temps se maintient aussi au stade supérieur du capitalisme. Dans nombre de cas, il offre au capitaliste de notables avantages : en accélérant la vitesse des machines, le capitaliste fait travailler les ouvriers avec plus d’intensité, sans augmenter pour autant leur salaire.
p. 138Le salaire aux pièces est une forme de salaire dans laquelle la grandeur du salaire de l’ouvrier dépend de la quantité d’articles ou de pièces détachées fabriquées en une unité de temps, ou bien du nombre des opérations exécutées. Avec le salaire au temps, le travail dépensé par l’ouvrier se mesure par sa durée ; avec le salaire aux pièces, par la quantité des articles fabriqués (ou des opérations exécutées), dont chacun est payé d’après un tarif déterminé.
En fixant les tarifs, le capitaliste tient compte, premièrement, du salaire au temps journalier et, en second lieu, de la quantité d’articles ou de pièces que l’ouvrier fournit au cours d’une journée, en prenant d’ordinaire pour norme le plus haut rendement de l’ouvrier. Si, dans une branche de production donnée, la moyenne du salaire au temps est de 6 dollars par jour, et si la quantité d’articles d’une espèce déterminée fabriqués par l’ouvrier est de 60 unités, le tarif aux pièces pour un article ou une pièce détachée sera de 10 cents. Le tarif aux pièces est établi par le capitaliste de telle sorte que le salaire par heure (par jour, par semaine) ne soit pas supérieur au salaire au temps. Ainsi, le salaire aux pièces est, à l’origine, une forme modifiée du salaire au temps.
Le salaire aux pièces, plus encore que le salaire au temps, crée l’illusion que l’ouvrier vend au capitaliste non pas sa force de travail, mais son travail et reçoit une rémunération complète, proportionnelle à la quantité de production fournie.
Le salaire aux pièces capitaliste aboutit à l’intensification constante du travail. Il facilite, d’autre part, pour l’entrepreneur la surveillance des ouvriers. Le degré d’intensité du travail est contrôlé ici par la quantité et la qualité des produits que l’ouvrier doit confectionner pour acquérir les moyens de subsistance qui lui sont nécessaires. L’ouvrier est obligé d’augmenter le rendement aux pièces, de travailler avec de plus en plus d’intensité. Mais dès qu’une partie plus ou moins importante des ouvriers atteint un niveau plus élevé d’intensité du travail, le capitaliste diminue les tarifs aux pièces. Si, dans notre cas, le tarif aux pièces est diminué, par exemple, de moitié, l’ouvrier pour conserver le salaire précédent est obligé de travailler le double, c’est-à-dire d’augmenter son temps de travail ou d’intensifier son travail encore davantage pour produire dans le cours d’une journée non plus 60, mais 120 pièces.
L’ouvrier cherche à conserver la masse de son salaire en travaillant davantage, soit en faisant plus d’heures, soit en fournissant davantage dans la même heure… Le résultat est que plus il travaille, moins il reçoit de salaire.
C’est là la particularité essentielle du salaire aux pièces en régime capitaliste.
Les formes de salaire au temps et aux pièces sont appliquées p. 139assez souvent simultanément dans les mêmes entreprises. En régime capitaliste, ces deux formes de salaire ne sont que des méthodes différentes pour renforcer l’exploitation de la classe ouvrière.
Le salaire aux pièces capitaliste se trouve à la base des systèmes de surexploitation pratiqués dans les pays bourgeois.