Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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7.9. La journée de travail et ses limites. La lutte pour sa réduction.

Dans leur course au relèvement du taux de la plus-value, les capitalistes s’efforcent d’allonger la journée de travail au maximum. La journée de travail, c’est le temps pendant lequel l’ouvrier se trouve à l’entreprise, à la disposition du capitaliste. Si la chose était possible, l’entrepreneur contraindrait ses ouvriers à travailler 24 heures par jour. Mais, pendant une certaine partie de la journée, l’homme doit rétablir ses forces, se reposer, dormir, manger. Par là, des limites purement physiques sont assignées à la journée de travail. Celle-ci a de plus des limites morales, puisqu’il faut à l’ouvrier du temps pour satisfaire ses besoins culturels et sociaux.

Le capital, dans sa soif ardente de surtravail, refuse de tenir compte non seulement des limites morales, mais encore des limites purement physiques de la journée de travail. Selon Marx, le capital ne ménage ni la vie ni la santé du travailleur. L’exploitation effrénée de la force de travail réduit la durée de la vie du prolétaire, provoque une extraordinaire élévation de la mortalité parmi la population ouvrière.

À l’époque où le capitalisme naissait, le pouvoir d’État a promulgué, en faveur de la bourgeoisie, des lois spéciales pour contraindre les ouvriers salariés à travailler le plus d’heures possible. Alors la technique demeurait à un niveau inférieur, des masses de paysans et d’artisans pouvaient travailler pour leur propre compte, et de ce fait le capital ne disposait pas d’un excédent de main-d’œuvre. La situation s’est modifiée avec l’introduction des machines et les progrès de la prolétarisation de la population. Le capital disposait alors d’une quantité suffisante d’ouvriers qui, sous peine de mourir de faim, durent se laisser asservir aux capitalistes. La nécessité d’avoir des lois officielles, tendant à allonger la journée de travail, avait disparu. Le capital eut la possibilité, par des contraintes économiques, de prolonger la durée du travail à l’extrême. Dès lors la classe ouvrière engagea une lutte opiniâtre pour la réduction de la journée de travail. Cette lutte s’est déroulée tout d’abord en Angleterre.

p. 130À la suite d’une lutte prolongée, les ouvriers anglais obtinrent la promulgation en 1833 d’une loi sur les fabriques qui limitait le travail des enfants au-dessous de 13 ans à 8 heures et celui des adolescents de 13 à 18 ans, à 12 heures. En 1844 fut promulguée la première loi limitant le travail des femmes à 12 heures et celui des enfants à 6 heures et demie. La plupart du temps la main-d’œuvre enfantine et féminine était utilisée parallèlement au travail des hommes. Aussi, dans les entreprises que visait la loi, la journée de 12 heures fut-elle étendue à tous les ouvriers. La loi de 1847 limitait le travail des adolescents et des femmes à 10 heures. La loi de 1901 limitait la journée de travail des ouvriers adultes à 12 heures pendant les cinq premiers jours de la semaine et à 5 heures et demie le samedi.

Au fur et à mesure que la résistance des ouvriers augmentait, les lois limitant la journée de travail apparurent aussi dans les autres pays capitalistes. Après la promulgation de chacune de ces lois, les ouvriers durent lutter inlassablement pour en assurer l’application.

La lutte pour la limitation législative du temps de travail fut particulièrement intense, après que la classe ouvrière eut adopté comme mot d’ordre de combat la revendication de la journée de huit heures. Cette revendication fut proclamée en 1866 par le Congrès ouvrier en Amérique et le Congrès de la 1re Internationale sur la proposition de Marx. La lutte pour la journée de 8 heures devint partie intégrante non seulement de la lutte économique, mais aussi de la lutte politique du prolétariat.

Dans la Russie tsariste, les premières lois ouvrières parurent à la fin du 19e siècle. Après les fameuses grèves du prolétariat de Saint-Pétersbourg, la loi de 1897 limita la journée de travail à 11 heures et demie. Cette loi fut, d’après Lénine, une concession imposée, conquise par les ouvriers russes sur le gouvernement du tsar.

À la veille de la première guerre mondiale, dans la plupart des pays développés au point de vue capitaliste, prédominait la journée de travail de 10 heures. En 1919, sous l’influence de la peur devant le mouvement révolutionnaire ascendant, les représentants d’une série de pays capitalistes passèrent à Washington un accord sur l’introduction de la journée de 8 heures à l’échelle internationale, mais ensuite tous les grands États capitalistes se refusèrent à ratifier cet accord. Pourtant sous la pression de la classe ouvrière, dans de nombreux pays capitalistes fut introduite la journée de travail de 8 heures. Mais les entrepreneurs compensaient la diminution de la journée de travail par un accroissement brutal de l’intensité du travail. Dans une série de pays capitalistes, à une intensité du travail exténuante s’ajoute une longue journée de travail, notamment dans l’industrie de l’armement. Une journée de travail excessivement longue est le lot du prolétariat des pays coloniaux et dépendants.