Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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6.5. La fabrique capitaliste. La machine comme moyen d’exploitation du travail salarié par le capital.

La fabrique capitaliste est une grande entreprise industrielle, fondée sur l’exploitation des ouvriers salariés et faisant usage d’un système de machines pour la production de marchandises.

Un système de machines est un ensemble de machines-outils accomplissant simultanément les mêmes opérations (par exemple, les métiers à tisser de même espèce), ou un ensemble de machines-outils d’espèces différentes, mais complémentaires les unes des autres. Le système de machines d’espèces différentes est une combinaison de machines-outils parcellaires, p. 110fondée sur la division des opérations entre elles. Chaque machine parcellaire fournit du travail à une autre machine. Comme toutes ces machines fonctionnent simultanément, le produit se trouve sans cesse à des degrés divers du processus de production, passant d’une phase à l’autre.

L’emploi des machines assure un accroissement considérable de la productivité du travail et un abaissement de la valeur de la marchandise. La machine permet de produire la même quantité de marchandises avec une dépense de travail beaucoup moindre, ou de produire avec la même dépense de travail une quantité sensiblement plus grande de marchandises.

Au 19e siècle, pour transformer une même quantité de coton en filés au moyen d’une machine, il fallait 180 fois moins de temps de travail qu’avec un rouet. Au moyen de la machine, un ouvrier adulte ou un adolescent imprimait par heure autant de cotonnade à quatre couleurs que 200 ouvriers adultes, autrefois, travaillant à la main. Au 18e siècle, avec la division manufacturière du travail, un ouvrier produisait par jour 4 800 aiguilles ; au 19e siècle un ouvrier, travaillant simultanément sur quatre machines, fabriquait jusqu’à 600 000 aiguilles par jour.

Avec le mode de production capitaliste, tous les avantages que procure l’emploi des machines deviennent la propriété des possesseurs de ces machines, les capitalistes, dont les profits augmentent.

La fabrique est la forme supérieure de la coopération capitaliste. La coopération capitaliste étant un travail accompli en commun à une échelle relativement importante, rend nécessaires les fonctions particulières d’administration, de surveillance, de coordination des différents travaux. Dans l’entreprise capitaliste, la fonction d’administration est réalisée par le capitaliste ; elle possède des traits spécifiques, s’affirmant en même temps comme fonction d’exploitation des ouvriers salariés par le capital. Le capitaliste n’est pas capitaliste parce qu’il administre une entreprise industrielle ; au contraire, il devient dirigeant d’une entreprise parce qu’il est capitaliste.

Déjà avec la coopération simple, le capitaliste se libère du travail physique. La coopération du travail étant réalisée à une plus grande échelle, il se libère aussi de la fonction de surveillance directe et constante des ouvriers. Ces fonctions sont confiées à une catégorie particulière de travailleurs salariés, administrateurs et contremaîtres, qui commandent dans l’entreprise au nom du capitaliste. Par son caractère, l’administration capitaliste est despotique.

Avec le passage à la fabrique s’achève la création par le capital d’une discipline particulière, la discipline capitaliste du travail. C’est la discipline de la faim. Avec elle l’ouvrier, constamment menacé de renvoi, vit dans la crainte de se retrouver dans les rangs des chômeurs. Une discipline de caserne est le propre de la fabrique capitaliste. Les ouvriers sont frappés d’amendes et de retenues sur le salaire.

La machine est par elle-même un puissant moyen pour alléger le travail et en augmenter le rendement. Mais en régime p. 111capitaliste, la machine sert à renforcer l’exploitation u travail salarié.

Dès son introduction, la machine devient le concurrent de l’ouvrier. L’emploi capitaliste des machines prive tout d’abord de moyens de subsistance, des dizaines et des centaines de milliers d’ouvriers manuels, devenus inutiles. Ainsi, avec l’introduction en grand des métiers à tisser à vapeur, 800 000 tisserands anglais ont été jetés à la rue. Des millions de tisserands de l’Inde ont été voués à la famine et à la mort, car les tissus indiens faits à la main ne pouvaient résister à la concurrence des tissus anglais de fabrication mécanique. L’emploi accru des machines et leur perfectionnement évincent une quantité toujours plus grande d’ouvriers salariés, les mettent à la porte de la fabrique capitaliste et ils viennent grossir l’armée toujours plus nombreuse des chômeurs.

La machine simplifie le processus de production, rend inutile l’emploi d’une grande force musculaire. Aussi, avec Je passage au machinisme le capital fait-il participer largement à la production femmes et enfants. Le capitaliste les fait travailler dans de dures conditions pour un salaire de misère. Cela entraîne une mortalité infantile élevée dans les familles ouvrières, la mutilation physique et morale des femmes et des enfants.

La machine crée de grandes possibilités pour réduire le temps de travail nécessaire à la production d’une marchandise, créant ainsi les conditions favorables à la réduction de la journée de travail. Cependant en régime capitaliste elle est un moyen de prolonger la durée de la journée de travail. Dans sa course aux profits, le capitaliste cherche à utiliser au maximum la machine. En premier lieu, plus l’action utile de la machine est longue dans le courant de la journée de travail, et plus vite elle s’amortit. En second lieu, plus longue est la journée de travail et plus complète est l’utilisation de la machine, moins on risque de la voir vieillir au point de vue technique et de voir d’autres capitalistes réussir à introduire chez eux des machines plus perfectionnées ou moins coûteuses, ce qui les ferait bénéficier de conditions plus avantageuses de fabrication. Aussi bien le capitaliste cherche-t-il à prolonger au maximum la journée de travail.

La machine aux mains du capitaliste est utilisée pour tirer de l’ouvrier plus de travail dans un temps donné. L’intensité excessive du travail, l’exiguïté des locaux industriels, le manque d’air et de lumière, l’absence des mesures nécessaires à la protection du travail entraînent l’apparition massive de maladies professionnelles, ruinent la santé et raccourcissent la vie des ouvriers.

l’opposition entre le travail manuel et le travail intellectuel Le machinisme ouvre un large champ à l’utilisation de la science, dans le cours de la production ; il permet d’utiliser davantage dans le travail les facultés intellectuelles et créatrices. Mais l’emploi capitaliste des machines fait de l’ouvrier un appendice de la machine. Il ne lui reste qu’un travail physique uniforme et exténuant. Le travail intellectuel devient le privip. 112lège de travailleurs spécialisés : ingénieurs, techniciens, savants. La science passe au service du capital. En régime capitaliste devient de plus en plus profonde.

La machine marque le pouvoir accru de l’homme sur les forces de la nature. En augmentant la productivité du travail, la machine augmente la richesse de la société. Mais cette richesse va aux capitalistes, tandis que la condition de la classe ouvrière — principale force productive de la société — s’aggrave sans cesse.

Marx a prouvé dans son Capital que ce ne sont pas les machines par elles-mêmes qui sont l’ennemi de la classe ouvrière, mais le régime capitaliste sous lequel elles sont employées. Il disait que

la machinerie en soi raccourcit le temps de travail alors qu’elle prolonge la journée de travail dans son utilisation capitaliste, […] elle est en soi une victoire de l’homme sur les forces naturelles, alors que dans son utilisation capitaliste elle asservit l’homme par l’intermédiaire des forces naturelles, […] en soi elle augmente la richesse du producteur alors qu’elle l’appauvrit dans son utilisation capitaliste […].

K. Marx, Le Capital, Livre I, p. 495.

Dès l’apparition des rapports capitalistes, commence la lutte de classes entre ouvriers salariés et capitalistes. Elle se poursuit durant toute la période manufacturière, et lorsque apparaît la production mécanique elle prend une grande ampleur et une acuité sans précédent.

La première expression de la protestation du mouvement ouvrier à ses débuts contre les conséquences néfastes de l’emploi capitaliste de la technique mécanique, a été la tentative de détruire les machines. Inventée en 1758, la première tondeuse a été brûlée par les ouvriers qui, avec l’introduction de cette machine, étaient restés sans travail. Au début du 19e siècle, dans les comtés industriels d’Angleterre, s’est développé un vaste mouvement de «briseurs de machines», dirigé tout d’abord contre le métier à tisser à vapeur. Il fallut à la classe ouvrière un certain temps et une certaine expérience pour se rendre compte que l’oppression et la misère ne provenaient pas des machines, mais de leur usage capitaliste.

Les capitalistes ont largement utilisé la machine comme instrument de répression des soulèvements périodiques des ouvriers, des grèves, etc., dirigés contre l’arbitraire du capital. Après 1830, un nombre important d’inventions en Angleterre n’ont dû leur apparition qu’aux intérêts de la lutte de classe des capitalistes contre les ouvriers, aux efforts des capitalistes pour briser la résistance opposée par les ouvriers à l’oppression du capital, en réduisant le nombre des ouvriers qu’ils employaient et en utilisant une main-d’œuvre moins qualifiée.

Ainsi l’usage capitaliste des machines aggrave la situation des ouvriers, ainsi que les contradictions de classes entre le travail et le capital.