Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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6.2. La révolution industrielle.

C’est en Angleterre que la grande industrie mécanique a son origine. Il s’est formé dans ce pays des conditions historiques favorables à un prompt développement du mode de production capitaliste : le servage aboli de bonne heure et la liquidation du morcellement féodal, la victoire de la révolution bourgeoise au 17e siècle, le dépouillement du paysan de sa terre, ainsi que l’accumulation de capitaux au moyen d’un commerce très développé et du pillage des colonies.

Au milieu du 18e siècle, l’Angleterre possédait un grand nombre de manufactures. La branche la plus importante de l’industrie était la production textile. C’est à partir de cette branche qu’a commencé la révolution industrielle en Angleterre, au cours du dernier tiers du 18e et du premier quart du 19e siècle.

L’agrandissement du marché et la course aux profits engagée par les capitalistes ont déterminé la nécessité de perfectionner la technique de la production.

Dans l’industrie cotonnière, qui s’est développée plus vite que les autres branches de production, prédominait le travail manuel. Le filage et le tissage sont les principales opérations de l’industrie cotonnière. Le produit du travail des fileurs sert d’objet de travail aux tisseurs. La demande accrue des étoffes de coton s’est fait sentir tout d’abord sur la technique du tissage : en 1733 a été inventée la navette volante, qui a doublé la productivité du travail du tisseur. Cela a déterminé un retard du filage sur le tissage. Dans les manufactures, les métiers à tisser ont eu souvent des arrêts par manque de filés. L’amélioration de la technique du filage devint un besoin urgent.

Le problème fut résolu grâce à l’invention (en 1705-1767) des machines à filer, dont chacune possédait une quinzaine ou une vingtaine de broches. La force motrice des premières machines était l’homme lui-même ou les bêtes de trait ; ensuite, il y eut des machines actionnées parla force hydraulique. p. 105Les perfectionnements techniques ultérieurs permirent non seulement d’augmenter la production des filés, mais encore d’en améliorer la qualité. À la fin du 18e siècle existaient déjà des machines à filer comptant 400 broches. Ces inventions ont permis d’augmenter sensiblement la productivité du travail dans le filage.

Une nouvelle disproportion s’est manifestée alors dans l’industrie cotonnière : le filage avait gagné de vitesse le tissage. Disproportion qui fut éliminée grâce à l’invention en 1735 du métier à tisser mécanique. Après une série de perfectionnements, ce métier a pris de l’extension en Angleterre et, vers 1840, il a supplanté entièrement le tissage à la main. Le mode de traitement des tissus — blanchiment, teinture, impression — a lui aussi foncièrement changé. L’application de la chimie a eu pour effet de diminuer la durée de ces opérations et d’améliorer la qualité du produit.

Les premières fabriques textiles ont été implantées le long des cours d’eau, et les machines étaient mises en action au moyen de roues hydrauliques. Ceci limitait notablement les possibilités d’application du machinisme. Il fallait un nouveau moteur, qui ne dépendît ni de la localité ni de la saison. Ce fut la machine à vapeur.

La machine à vapeur sous sa forme primitive fut inventée dès la phase manufacturière du capitalisme et entre 1711 et 1712 commença à être employée dans l’industrie minière anglaise pour actionner les pompes installées dans les mines. La révolution industrielle en Angleterre provoqua le besoin d’un moteur à vapeur universel. Ce problème fut résolu en Angleterre vers 1780 par le perfectionnement de la machine à vapeur.

L’emploi de la machine à vapeur eut une importance énorme. C’est un moteur exempt des nombreux défauts propres au moteur hydraulique. Consommant le combustible et l’eau, la machine à vapeur produit une force motrice entièrement soumise au contrôle de l’homme. Cette machine est mobile ; elle permet à l’industrie de ne plus être tributaire des sources naturelles d’énergie et donne la possibilité de concentrer la production dans n’importe quel endroit.

L’emploi de la machine à vapeur s’est rapidement généralisé non seulement en Angleterre, mais aussi au-delà de ses frontières, créant ainsi les conditions nécessaires à l’apparition de fabriques importantes dotées d’une multitude de machines et comptant un grand nombre d’ouvriers.

Les machines ont révolutionné la production dans toutes les branches de l’industrie. Elles ont été mises en place non seulement dans l’industrie cotonnière, mais aussi dans l’industrie de la laine, du lin et de la soie. On découvrit peu après les procédés d’utilisation de la machine à vapeur dans les transports : en 1807, aux États-Unis, fut créé le premier bateau à vapeur et, en 1825, on construisit en Angleterre la première voie ferrée.

Au début, les machines furent fabriquées dans les manufactures au moyen du travail manuel. Elles revenaient cher et n’étaient pas suffisamment puissantes ni parfaites. Les p. 106manufactures ne pouvaient fabriquer la quantité de machines nécessaire au développement rapide de l’industrie. Le problème fut résolu par le passage à la production mécanique des machines. Une nouvelle branche de l’industrie apparut, qui se développa rapidement : les constructions mécaniques. Les premières machines étaient fabriquées surtout en bois. Ensuite, les pièces de bois furent remplacées par des pièces métalliques, ce qui permit d’augmenter la durée et la solidité des machines et de travailler avec une vitesse et une intensité inconnues jusque là. Au début du 19e siècle, on inventa des marteaux-pilons, des presses, des machines-outils pour le travail des métaux : le tour, ensuite la fraiseuse et la perceuse.

La fabrication de machines, locomotives, rails, bateaux nécessita des quantités énormes de fer et d’acier. La métallurgie fit des progrès rapides. Le développement de la métallurgie fut considérablement favorisé par la découverte des procédés de fonte des minerais de fer au combustible minéral au lieu du bois. Les hauts fourneaux se perfectionnèrent sans cesse. À partir de 1830, le soufflage à froid a été remplacé par le soufflage à chaud, ce qui accélérait les opérations dans les hauts fourneaux et fournissait une importante économie de combustible. On découvrit de nouveaux procédés, plus perfectionnés de production de l’acier. L’extension de la machine à vapeur, les progrès de la métallurgie réclamèrent d’importantes quantités de houille, ce qui amena un accroissement rapide de l’industrie houillère.

La révolution industrielle fit de l’Angleterre l’atelier industriel du monde. Après l’Angleterre, la production mécanique se répandit dans les autres pays d’Europe et en Amérique.

La révolution industrielle se poursuivit en France pendant des dizaines d’années à la suite de la révolution bourgeoise de 1789-1794. La situation dominante dans l’industrie de ce pays n’appartint à la fabrique capitaliste que dans la seconde moitié du 19e siècle.

En Allemagne, par suite du morcellement féodal et du maintien prolongé des rapports féodaux, la révolution industrielle se fit plus tard qu’en Angleterre et en France. La grande industrie ne commença à se développer qu’à partir de 1840 et particulièrement vite après l’unification de l’Allemagne en un seul État, en 1871.

Aux États-Unis, la grande industrie naquit au début du 19e siècle. L’industrie mécanique américaine se développa rapidement au lendemain de la guerre civile de 1861-1865. Et l’on utilisa sur une grande échelle les réalisations techniques de l’industrie anglaise, ainsi que l’afflux des capitaux disponibles et des cadres d’ouvriers qualifiés venus d’Europe.

En Russie, le passage de la manufacture à la phase de la production mécanique commença ayant l’abolition du servage, et prit toute son ampleur dans les premières décennies qui suivirent la réforme paysanne de 1861. Cependant, même après la disparition du servage, de nombreuses survivances de la féodalité retardèrent le passage de la production manuelle au machinisme. Cela se fit sentir surtout dans l’industrie minière de l’Oural.