Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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4.5. Les fonctions de la monnaie.

À mesure que la production marchande croît, se développent les fonctions exercées par la monnaie. Dans une production marchande évoluée la monnaie sert : 1o de mesure de la valeur ; 2o de moyen de circulation ; 3o de moyen d’accumulation ; 4o de moyen de paiement et 5o de monnaie universelle.

La fonction essentielle de la monnaie est de servir de mesure de la valeur des marchandises. C’est au moyen de la monnaie que le travail privé des producteurs de marchandises trouve une expression sociale, que s’opère le contrôle spontané et la mesure de la valeur de toutes les marchandises. La valeur d’une marchandise ne peut être exprimée directement en temps de travail, puisque dans les conditions d’isolement et de dispersion des producteurs privés il est impossible de déterminer la quantité de travail que dépense non pas un producteur isolé, mais la société dans son ensemble pour la production de telle ou telle marchandise. De ce fait la valeur de la marchandise ne peut être exprimée qu’indirectement, en assimilant la marchandise à la monnaie dans le processus d’échange.

Pour remplir la fonction de mesure de la valeur, la monnaie doit être elle-même une marchandise, posséder une valeur. De même que la pesanteur d’un corps ne peut être mesurée qu’à l’aide d’un corps pesant, de même la valeur d’une marchandise ne peut être mesurée qu’à l’aide d’une marchandise ayant une valeur.

La mesure de la valeur des marchandises par le moyen de l’or se fait avant que s’effectue l’échange d’une marchandise donnée contre de la monnaie. Pour exprimer en monnaie la valeur des marchandises, il n’est pas nécessaire d’avoir en main de l’argent liquide. En fixant un prix déterminé pour une marchandise, le possesseur exprime mentalement ou, comme le dit Marx, idéalement, la valeur de la marchandise en or. p. 84Cela est possible parce que, dans la réalité vivante, il existe un rapport déterminé entre la valeur de l’or et celle d’une marchandise donnée ; à la base de ce rapport se trouve le travail socialement nécessaire dépensé pour leur production.

La valeur d’une marchandise, exprimée en monnaie, s’appelle son prix. Le prix est l’expression monétaire de la valeur de la marchandise.

Les marchandises expriment leur valeur en des quantités déterminées d’argent ou d’or. Ces quantités de marchandise-monnaie doivent être mesurées à leur tour. D’où la nécessité d’une unité de mesure de la monnaie. Cette unité est constituée par un certain poids du métal devenu monnaie.

En Angleterre, par exemple, l’unité monétaire s’appelle livre sterling ; autrefois, elle correspondait à une livre d’argent. Plus tard, les unités de monnaie se sont différenciées des unités de poids. Cela est dû à l’emprunt de monnaies étrangères, au passage de l’argent à l’or, et principalement à la dépréciation des pièces de monnaie par les gouvernements, qui peu à peu en diminuèrent le poids. Pour faciliter la mesure les unités monétaires se divisent en parties plus petites : le rouble en 100 kopeks ; le dollar en 100 cents ; le franc en 100 centimes, etc.

L’unité monétaire avec ses subdivisions sert d’étalon des prix. À ce titre, la monnaie joue un tout autre rôle qu’en tant que mesure de la valeur. Comme mesure de la valeur, la monnaie mesure la valeur des autres marchandises ; en tant qu’étalon des prix, elle mesure la quantité du métal monétaire. La valeur de la marchandise-monnaie varie avec les variations de la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. Le changement de valeur de l’or n’affecte pas sa fonction d’étalon des prix. Quelles que soient les variations de la valeur de l’or, le dollar reste toujours cent fois supérieur au cent.

L’État peut modifier la teneur en or de l’unité monétaire, mais il ne peut changer le rapport de valeur entre l’or et les autres marchandises. Si l’État diminue la quantité d’or contenue dans une unité monétaire, c’est-à-dire s’il en diminue la teneur en or, le marché réagira par une hausse des prix, et la valeur de la marchandise s’exprimera comme par le passé en une quantité d’or qui correspond au travail dépensé pour la fabrication de cette marchandise. Seulement, pour exprimer maintenant la même quantité d’or, il faut un plus grand nombre d’unités monétaires qu’auparavant.

Les prix des marchandises peuvent monter ou s’abaisser sous l’influence des variations que subissent la valeur des marchandises, ainsi que la valeur de l’or. La valeur de l’or, comme celle de toutes les autres marchandises, dépend de la productivité du travail. Ainsi, la découverte de l’Amérique avec ses riches ruines d’or a amené une « révolution » dans les prix. L’or en Amérique était extrait avec moins de travail qu’en Europe. L’afflux en Europe de l’or américain à meilleur marché a provoqué une hausse générale des prix.

La monnaie fait fonction de moyen de circulation. L’échange des marchandises effectué avec de la monnaie s’appelle circulation des marchandises. La circulation des marchandises p. 85est étroitement liée à la circulation de la monnaie : lorsque la marchandise passe des mains du vendeur dans celles de l’acheteur, la monnaie passe des mains de l’acheteur dans celles du vendeur. La fonction de la monnaie comme moyen de circulation consiste précisément dans son rôle d’intermédiaire dans le processus de circulation des marchandises. Pour remplir cette fonction la monnaie est indispensable.

À l’origine, dans l’échange des marchandises, la monnaie se présentait directement sous forme de lingots d’argent ou d’or. Cela créait certaines difficultés ; nécessité de peser le métal-monnaie, de le fragmenter en petites parcelles, d’en établir le titre. Peu à peu les lingots de métal-monnaie furent remplacés par des pièces de monnaie. La pièce de monnaie est un lingot de métal de forme, de poids et de valeur déterminés, qui sert de moyen de circulation. La frappe des monnaies fut centralisée entre les mains de l’État.

Dans le processus de circulation, les monnaies s’usent et perdent une partie de leur valeur. La pratique de la circulation monétaire montre que les pièces usées peuvent faire office de moyen de circulation aussi bien que les pièces de monnaie demeurées intactes. Cela s’explique par le fait que la monnaie dans sa fonction de moyen de circulation joue un rôle passager. En règle générale, le vendeur d’une marchandise l’échange contre de la monnaie pour acheter avec cette monnaie une autre marchandise. Par conséquent, la monnaie comme moyen de circulation ne doit pas avoir obligatoirement une valeur propre.

Constatant la circulation des pièces de monnaie usées, les gouvernements se sont mis sciemment à déprécier les pièces de monnaie, à en diminuer le poids, à abaisser le titre du métal-monnaie, sans changer la valeur nominale de la pièce de monnaie, c’est-à-dire la quantité d’unités monétaires marquées sur les pièces. Les pièces de monnaie devenaient de plus en plus des symboles de valeur, des signes monétaires. Leur valeur réelle est de beaucoup inférieure à leur valeur nominale.

Le dédoublement de la marchandise en marchandise et en monnaie marque le développement des contradictions de la production marchande. Lors de l’échange direct d’une marchandise contre une autre, chaque transaction présente un caractère isolé, la vente est inséparable de l’achat. Tout autre est l’échange effectué par l’intermédiaire de la monnaie, c’est-à-dire la circulation des marchandises. Ici, l’échange suppose une multitude de liens entre producteurs et un entrelacement constant de leurs transactions. Il offre la possibilité de séparer la vente et l’achat. Le producteur peut vendre sa marchandise et garder pour un temps la monnaie qu’il a retirée de cette vente. Lorsque beaucoup de producteurs vendent sans acheter, il peut se produire un arrêt dans l’écoulement des marchandises. Ainsi, déjà dans la circulation simple des marchandises se trouve impliquée la possibilité des crises. Mais pour que les crises deviennent inévitables, il faut une série de conditions qui n’apparaissent qu’avec le passage au mode de production capitaliste.

La monnaie fait fonction de moyen d’accumulation ou de moyen de thésaurisation. La monnaie devient trésor dans les cas où elle est retirée de la circulation. Comme on peut toujours convertir la monnaie en n’importe quelle marchandise, elle est p. 86le représentant universel de la richesse. On peut la garder en n’importe quelle quantité. Les producteurs accumulent de la monnaie, par exemple pour l’achat de moyens de production ou à titre d’épargne. Le pouvoir de la monnaie grandit avec le développement de la production marchande. C’est ce qui engendre la passion de l’épargne de la monnaie, la passion de la thésaurisation. Seule la monnaie non dépréciée peut exercer la fonction de thésaurisation : les pièces d’or et d’argent, les lingots d’or et d’argent, ainsi que les objets en or et en argent.

Quand ce sont les pièces d’or ou d’argent qui servent de monnaie, leur quantité s’adapte spontanément aux besoins de la circulation des marchandises. En cas de diminution de la production des marchandises et de réduction du commerce, une partie des pièces d’or est retirée de la circulation et est thésaurisée. Par contre, quand la production s’élargit et que le commerce s’accroît, ces pièces de monnaie rentrent de nouveau dans la circulation.

La monnaie exerce la fonction de moyen de paiement. En tant que moyen de paiement elle intervient dans les cas où l’achat et la vente de la marchandise se font à crédit, c’est-à-dire quand le paiement est différé. Dans l’achat à crédit, la remise de la marchandise des mains du vendeur dans celles de l’acheteur se fait sans paiement immédiat de la marchandise achetée. À l’échéance du paiement de la marchandise, l’acheteur verse la monnaie au vendeur pour la marchandise dont la livraison a déjà été effectuée auparavant. La monnaie sert aussi de moyen de paiement quand elle sert à acquitter les impôts, la rente foncière, etc.

La fonction de la monnaie comme moyen de paiement reflète le développement des contradictions de la production marchande. Les liaisons entre les divers producteurs s’étendent, leur interdépendance s’accroît. L’acheteur devient débiteur, le vendeur se transforme en créancier. Lorsque beaucoup de possesseurs de marchandises achètent à crédit, le défaut de paiement de traites à leur échéance, par l’un ou plusieurs des débiteurs, peut se répercuter sur toute la chaîne des obligations de paiement et provoquer la faillite d’un certain nombre de possesseurs de marchandises, liés les uns aux autres par des rapports de crédit. C’est ainsi que la possibilité des crises, impliquée déjà dans la fonction de la monnaie comme moyen de circulation, s’accentue.

L’analyse des fonctions exercées par la monnaie comme moyen de circulation et comme moyen de paiement permet d’établir la loi déterminant la quantité de monnaie nécessaire à la circulation des marchandises.

Les marchandises se vendent et s’achètent en beaucoup d’endroits simultanément. La quantité de monnaie nécessaire à la circulation à une période donnée dépend tout d’abord de la somme des prix des marchandises en circulation ; cette somme dépend à son tour de la quantité de marchandises et du prix de chaque marchandise prise à part. En outre, il faut tenir compte de la vitesse avec laquelle la monnaie circule. Quand la monnaie circule plus vite, il en faut moins pour la circulation, et inversement. Si, par exemple, pendant une période donnée, mettons un p. 87an, il se vend pour un milliard de dollars de marchandises, et si chaque dollar effectue en moyenne cinq rotations, il faudra 200 millions de dollars pour la circulation de toute la masse des marchandises.

Grâce au crédit que les producteurs s’accordent les uns aux autres, le besoin de monnaie diminue de la somme des prix des marchandises vendues à crédit, ainsi que des créances réciproques qui s’annulent au jour de l’échéance. L’argent liquide n’est nécessaire que pour acquitter les dettes, dont le remboursement est venu à échéance.

Ainsi donc, la loi de la circulation monétaire est la suivante : la quantité de monnaie nécessaire à la circulation des marchandises doit égaler la somme des prix de toutes les marchandises, divisée par la moyenne des rotations des unités monétaires de même nom. De la somme des prix de toutes les marchandises, il faut déduire la somme des prix des marchandises vendues à crédit, les sommes mutuellement remboursables et y ajouter les sommes dont le remboursement est venu à échéance.

Cette loi a une portée générale pour toutes les formations sociales où il y a production et circulation marchandes.

Enfin la monnaie joue le rôle de monnaie universelle dans le trafic entre les pays. Le rôle de monnaie universelle ne peut être joué par des pièces de monnaie dévalorisées ou par du papier-monnaie. Sur le marché mondial, la monnaie perd la forme de pièces de monnaie et se présente sous son aspect primitif de lingots de métal précieux. Sur le marché mondial dans les transactions entre les pays, l’or est le moyen d’achat universel, dans le règlement des marchandises importées d’un pays dans un autre ; il est le moyen de paiement universel dans l’amortissement des dettes internationales, dans le paiement des intérêts des emprunts extérieurs et des autres obligations ; il est l’incarnation de la richesse sociale dans les transferts de richesse sous forme monétaire d’un pays dans un autre, par exemple dans les cas d’exportation de capitaux en monnaie, destinés à des placements dans des banques étrangères ou à des octrois de prêts ainsi que dans les impositions de contributions par un pays vainqueur à un pays vaincu, etc.

Le développement des fonctions exercées par la monnaie exprime le progrès de la production marchande et de ses contradictions. La monnaie dans les formations sociales fondées sur l’exploitation de l’homme par l’homme a une nature de classe : elle est un moyen d’accaparer le travail d’autrui. Elle a joué ce rôle dans les sociétés esclavagiste et féodale. Nous verrons par la suite que c’est dans la société capitaliste que la monnaie sert au plus haut degré d’instrument d’exploitation des travailleurs.