Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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2.4. L’aggravation des contradictions du mode de production esclavagiste.

L’esclavage a été une étape nécessaire dans l’histoire de l’humanité.

Ce fut seulement l’esclavage qui rendit possible sur une assez grande, échelle la division du travail entre agriculture et industrie et, par suite, l’apogée du monde antique, l’hellénisme. Sans esclavage, pas d’État grec, pas d’art et de science grecs ; sans esclavage, pas d’Empire romain. Or, sans la base de l’hellénisme et de l’Empire romain, pas non plus d’Europe moderne.

F. Engels, Anti-Dühring, p. 213.

C’est sur les ossements de générations d’esclaves que s’est épanouie la civilisation qui a été à la base des progrès ultérieurs de l’humanité. De nombreuses branches du savoir : mathématiques, astronomie, mécanique, architecture, ont atteint dans le monde antique un degré de développement remarquable. Les objets d’art, les chefs-d’œuvre de la littérature, de la sculpture et de l’architecture que nous a légués l’antiquité, font à jamais partie du trésor de la culture humaine.

Mais le régime esclavagiste était déchiré par des contradictions insolubles, qui le conduisirent finalement à sa perte. La forme d’exploitation qu’était l’esclavage détruisait la principale force productive de la société : les esclaves. La lutte de ces derniers contre l’exploitation féroce dont ils étaient les victimes, se traduisait de plus en plus fréquemment par des révoltes. L’afflux ininterrompu de nouveaux esclaves, leur bon marché, était la condition d’existence de l’économie esclavagiste. La guerre était la grande pourvoyeuse d’esclaves. La puissance militaire de la société esclavagiste reposait sur la masse des petits producteurs libres : paysans et artisans, qui composaient l’armée et supportaient le poids principal des impôts nécessités par la guerre. Mais la concurrence de la grande production fondée sur le travail servile meilleur marché, et les charges écrasantes ruinaient les paysans et les artisans. L’antagonisme irréductible entre les latifundia et les exploitations paysannes ne cessait de s’aggraver.

La disparition de la paysannerie libre sapait la puissance économique, mais aussi la puissance militaire et politique des États esclavagistes, et notamment de Rome. Aux victoires succédèrent les défaites, aux guerres de conquête des guerres défensives. La source était tarie, qui fournissait jadis sans arrêt des esclaves à bon compte. Les côtés négatifs du travail p. 43servile se manifestaient avec toujours plus de netteté. Les deux derniers siècles de l’Empire romain furent marqués par un déclin général de la production. Le commerce fut désorganisé ; des contrées autrefois riches s’appauvrirent ; la population diminua ; les métiers dépérirent ; les villes se vidèrent.

Les rapports de production fondés sur le travail servile étaient devenus des entraves pour les forces productives accrues de la société. Le travail des esclaves, aucunement intéressés à la production, avait épuisé ses possibilités. Il était devenu historiquement nécessaire de remplacer les rapports de production fondés sur l’esclavage par d’autres rapports, qui permettraient de modifier la situation sociale des masses laborieuses, principale force productive. La loi de la correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives exigeait que les esclaves fussent remplacés par des travailleurs ayant quelque intérêt aux résultats de leur travail.

Comme la grande production fondée sur l’esclavage avait cessé d’être rémunératrice, le maître affranchissait en masse ses esclaves, dont le travail ne lui fournissait plus de revenus. Les grands domaines furent morcelés en petites parcelles remises à certaines conditions soit à d’anciens esclaves, soit à des citoyens autrefois libres, qui étaient astreints désormais à toutes sortes de redevances au bénéfice du propriétaire foncier. Ces nouveaux cultivateurs étaient attachés à leurs parcelles et pouvaient être vendus avec elles. Mais ils n’étaient plus esclaves.

C’était une nouvelle catégorie de petits producteurs dont la situation était intermédiaire entre celles des hommes libres et des esclaves, et qui avait quelque intérêt au travail. Ces colons, comme on les appelait, furent les prédécesseurs des serfs du Moyen âge.

Ainsi apparaissaient, au sein même de la société esclavagiste, les éléments d’un mode de production nouveau, le mode féodal.