Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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2.2. Les rapports de production de la société esclavagiste. La situation des esclaves.

La propriété du maître non seulement sur les moyens de production, mais aussi sur les producteurs, les esclaves, formait la base des rapports de production de la société esclavagiste. L’esclave était considéré comme une chose ; son maître avait sur lui un pouvoir absolu. Il n’était pas seulement exploité ; on pouvait le vendre et l’acheter comme du bétail, ou même le tuer impunément. Si, à l’époque de l’esclavage patriarcal, il était regardé comme un membre de la famille, avec le développement du mode de production esclavagiste, il cessa même d’être considéré comme un homme.

L’esclave ne vendait pas sa force de travail au possesseur d’esclaves, pas plus que le bœuf ne vend le produit de son travail au paysan. L’esclave est vendu, y compris sa force de travail, une fois pour toutes à son propriétaire.

K. Marx, « Travail salarié et capital », dans Travail salarié et capital, suivi de Salaire, prix et profit, p. 32, Éditions sociales. Aussi Marx et Engels, Œuvres choisies en deux volumes, p. 76.

Le travail servile avait un caractère de contrainte non dissimulé. On obligeait les esclaves à travailler par les moyens les plus brutaux. On les poussait au travail à coups de fouet, on les punissait férocement à la moindre peccadille. On les marquait pour les retrouver plus facilement s’ils s’enfuyaient. Beaucoup portaient jour et nuit un collier de fer sur lequel était inscrit le nom de leur maître.

Celui-ci s’appropriait la totalité des fruits du travail servile. Il ne donnait aux esclaves qu’un minimum de moyens d’existence, juste assez pour qu’ils ne meurent pas de faim et puissent continuer à travailler pour lui. Il s’attribuait le surproduit, mais aussi une grande partie du produit nécessaire.

Le développement du mode de production fondé sur l’esclavage s’accompagnait d’une demande d’esclaves toujours accrue. Dans certains pays les esclaves, en règle générale, n’avaient pas de famille. Une exploitation brutale entraînait leur usure rapide. Il en fallait sans cesse de nouveaux. La guerre était la grande pourvoyeuse d’esclaves. Les États esclavagistes de l’Orient ancien étaient sans cesse en guerre pour p. 38conquérir d’autres peuples. L’histoire de la Grèce antique est pleine des guerres que se livraient les cités entre elles, les métropoles et les colonies, les États grecs et orientaux. Rome fit constamment la guerre ; à son apogée, elle soumit la plus grande partie du monde alors connu. On réduisait en esclavage non seulement les soldats faits prisonniers, mais encore une grande partie de la population des pays conquis.

Les provinces et les colonies fournissaient également des esclaves. Elles procuraient cette « marchandise vivante » au même titre que toute autre marchandise. Le commerce des esclaves était une des branches de l’activité économique les plus lucratives et les plus florissantes. Il existait à cet effet des centres spéciaux, des marchés où vendeurs et acheteurs, venus de lointains pays, se rencontraient.

Le mode de production esclavagiste ouvrait de plus larges possibilités à l’accroissement des forces productives que la communauté primitive. La concentration d’un grand nombre d’esclaves entre les mains de l’État esclavagiste et des propriétaires d’esclaves permettait d’appliquer la coopération simple sur une très large échelle. En témoignent les ouvrages gigantesques réalisés dans l’antiquité par les peuples de la Chine, de l’Inde, de l’Égypte, de l’Italie, de la Grèce, de la Transcaucasie, de l’Asie Centrale, et d’autres encore : systèmes d’irrigation, routes, ponts, fortifications, monuments.

La division sociale du travail se développait, elle aboutissait à la spécialisation dans l’agriculture et les métiers, et par suite à une augmentation de la productivité du travail.

En Grèce, la main-d’œuvre servile était largement employée dans les métiers. De grands ateliers (ergasteries) firent leur apparition, où des dizaines d’esclaves travaillaient ensemble. Le travail servile était également utilisé dans la construction, l’extraction du minerai de fer, de l’argent et de l’or. À Rome, il était très répandu dans l’agriculture. L’aristocratie romaine possédait des latifundia, vastes domaines où peinaient des centaines et des milliers d’esclaves. Ces latifundia avaient été constitués par l’accaparement des terres paysannes et par des usurpations sur le domaine public.

Le bon marché du travail servile et les avantages de la coopération simple permettaient aux latifundia de produire du blé et d’autres denrées agricoles à meilleur compte que les petites exploitations des paysans libres. La petite paysannerie était évincée, réduite en esclavage, ou allait à la ville grossir les rangs des couches misérables de la population.

L’opposition entre la ville et la campagne, qui était apparue dès le passage du régime de la communauté primitive au régime esclavagiste, s’accroissait de plus en plus. Les villes deviennent les centres de rassemblement de l’aristocratie esclavagiste, des marchands, des usuriers, des fonctionnaires de l’État esclavagiste, qui tous exploitaient les masses de la population paysanne.

Grâce au travail servile, le monde antique atteignit un degré de développement économique et culturel remarquable. p. 39Mais un régime fondé sur l’esclavage ne pouvait créer les conditions d’un progrès technique de quelque importance. Le travail servile était caractérisé par un rendement extrêmement bas. L’esclave ne portait aucun intérêt à son travail. Il avait en haine le labeur auquel il était astreint. Souvent sa protestation et son indignation se traduisaient par des détériorations d’outils. Aussi ne lui confiait-on que des instruments grossiers qu’il eût été difficile de détériorer.

La production restait à un niveau technique très bas. Malgré un certain développement des sciences naturelles et des sciences exactes, celles-ci n’étaient presque pas appliquées dans la production. Si quelques inventions techniques étaient utilisées, c’était uniquement pour la guerre et dans la construction. Au cours des siècles que dura sa domination, le mode de production esclavagiste se contenta d’instruments manuels empruntés au petit cultivateur et à l’artisan, il ne dépassa jamais le stade de la coopération simple. La principale force motrice restait la force physique de l’homme et des animaux domestiques.

L’emploi généralisé de la main-d’œuvre servile permit aux possesseurs d’esclaves de se décharger sur ces derniers de tout travail physique. Les propriétaires d’esclaves méprisaient le travail, qu’ils regardaient comme une activité indigne d’un homme libre, et menaient une existence de parasites. À mesure que l’esclavage se développait, des masses de plus en plus considérables de la population libre tournaient le dos à toute activité productrice. Seule une partie de la couche privilégiée des propriétaires d’esclaves et du reste de la population libre s’occupait des affaires publiques, de science et d’art. Ceux-ci atteignirent un important développement.

Le régime de l’esclavage a engendré l’opposition entre le travail manuel et le travail intellectuel, a creusé entre eux un fossé.

L’exploitation des esclaves par leurs maîtres est le trait essentiel des rapports de production de la société esclavagiste. Mais dans chaque pays le mode de production fondé sur l’esclavage présente des particularités.

Dans l’Orient antique, la prédominance de l’économie naturelle était encore plus accusée que dans le monde gréco-romain. Le travail servile était largement utilisé dans les domaines de l’État, des grands propriétaires d’esclaves et des temples. L’esclavage domestique était très répandu. Dans l’agriculture chinoise, indienne, babylonienne et égyptienne, les membres des communautés paysannes étaient exploités en masse parallèlement aux esclaves. L’esclavage pour dettes prit une grande extension. Le membre de la communauté rurale, qui ne s’était pas acquitté de sa dette envers l’usurier ou n’avait pas payé son fermage au propriétaire foncier, se voyait contraint de travailler pendant un certain temps dans les domaines de ces derniers en qualité d’esclave débiteur.

Dans les pays d’esclavage de l’Orient ancien, la terre appartenait souvent à la communauté ou à l’État. Ces formes de p. 40propriété étaient liées au système d’agriculture, fondé sur l’irrigation. Dans les vallées fluviales, l’agriculture irriguée exigeait de grands travaux pour la construction de digues, de canaux et de réservoirs, pour l’assèchement des marais. D’où la nécessité de centraliser la construction et l’exploitation des systèmes d’irrigation à l’échelle de vastes territoires.

L’irrigation artificielle est ici la condition première de l’agriculture ; celle-ci est l’affaire, ou bien des communes, des provinces, ou bien du gouvernement central.

Lettre de Friedrich Engels à Karl Marx, du 6 juin 1853. Marx, Engels, Correspondance, tome 3, lettre 178, Éditions sociales, Paris, 1975, p. 384-385.

Avec le développement de l’esclavage, les terres des communautés se concentrèrent de plus en plus entre les mains de l’État. Le roi, qui exerçait un pouvoir absolu, devint le propriétaire suprême du sol. Monopolisant la propriété de la terre, l’État esclavagiste accablait les paysans d’impôts, faisait peser sur eux toutes sortes de charges, les réduisant ainsi à la condition d’esclaves. Les paysans continuaient à faire partie de leurs communautés. Mais la terre se trouvant aux mains de l’État esclavagiste, la communauté formait la base permanente du despotisme oriental, c’est-à-dire d’un pouvoir monarchique absolu et sans contrôle. L’aristocratie sacerdotale jouait un rôle important dans les pays d’Orient où dominait l’esclavage. Les vastes domaines appartenant aux temples reposaient sur le travail servile.

Sous le régime de l’esclavage, la majeure partie du travail servile et de son produit était, dans tous les pays, dépensée par les propriétaires d’esclaves de façon improductive pour satisfaire des caprices individuels, amasser des trésors, construire des ouvrages militaires et mettre sur pied des armées, bâtir et entretenir des palais et des temples somptueux. Les pyramides d’Égypte sont un exemple frappant de ces énormes dépenses de travail improductives. Seule une partie infime du labeur servile et de son produit était consacrée à l’extension de la production dont le développement, de ce fait, était très lent. Les guerres dévastatrices entraînaient la destruction des forces productives, l’extermination d’une grande partie de la population non combattante et la disparition de civilisations entières.

La loi économique fondamentale du régime de l’esclavage réside dans la production d’un surproduit pour la satisfaction des besoins des possesseurs d’esclaves en exploitant brutalement les esclaves sur la base de la propriété complète des moyens de production et des esclaves par les possesseurs d’esclaves, par la ruine et l’asservissement des paysans et des artisans, ainsi que par la conquête et l’asservissement des peuples des autres pays.