Dominique Meeùs
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Si l’on prend la grande presse européenne et américaine de l’époque de l’intervention, on peut constater sans peine que pas un écrivain en vue, militaire ou civil, pas un connaisseur de l’art militaire ne croyait à la victoire du pouvoir des Soviets. Au contraire, tous les écrivains en vue, tous les connaisseurs des choses militaires, les historiens des révolutions de tous les pays et de tous les peuples, ce qu’on appelle les hommes de science, tous étaient unanimes à proclamer que les jours du pouvoir des Soviets étaient comptés, que sa défaite ne saurait être conjurée.
Leur certitude de la victoire de l’Intervention reposait sur le fait que le pays des Soviets n’avait pas encore une Armée rouge constituée, qu’il aurait à la créer, pour ainsi dire, en cours de marche, tandis que les envahisseurs et les gardes blancs avaient une armée plus ou moins prête.
Elle reposait ensuite sur le fait que l’Armée rouge n’avait pas de cadres militaires expérimentés, la majeure partie des cadres de ce genre étant passée à la contre-révolution, tandis que les envahisseurs et les gardas blancs avaient de tels cadres.
Elle reposait encore sur le fait que l’Armée rouge souffrait de l’insuffisance, — en quantité et en qualité, — des armements et des munitions, à cause du retard de l’industrie militaire russe ; qu’elle ne pouvait recevoir de matériel militaire des autres pays, p. 270la Russie étant bloquée de toutes parts, tandis que les armées d’intervention et les blancs étaient et continueraient d’être abondamment pourvus en armements, en munitions et en équipements de premier ordre.
Elle reposait enfin sur le fait que les armées d’intervention et les blancs occupaient alors les régions les plus riches en denrées alimentaires, tandis que l’Armée rouge était coupée de ces régions et souffrait du manque de vivres.
Effectivement, tous ces défauts et toutes ces insuffisances existaient dans les unités de l’Armée rouge.
Sous ce rapport, mais seulement sous ce rapport, messieurs les interventionnistes avaient parfaitement raison.
Comment expliquer en ce cas que l’Armée rouge, qui avait tant de défauts graves, ait vaincu l’armée des envahisseurs et des gardes blancs, exempte de tous ces défauts ?
1o L’Armée rouge a vaincu parce que la politique du pouvoir des Soviets pour laquelle elle se battait était une politique juste, conforme aux intérêts du peuple ; parce que le peuple sentait et concevait cette politique comme une politique juste, comme sa politique à lui, et la soutenait jusqu’au bout.
Les bolchéviks savaient qu’une armée qui lutte au nom d’une politique injuste, non soutenue par le peuple, ne peut pas vaincre. Telle était précisément l’armée des envahisseurs et des gardes blancs. Cette armée avait tout : de vieux chefs expérimentés, un matériel de premier ordre, des munitions, des équipements, des vivres. Il ne lui manquait qu’une chose : le soutien et la sympathie des peuples de Russie, qui ne voulaient ni ne pouvaient soutenir la politique antipopulaire des envahisseurs et des « régents » gardes blancs. Et l’armée des envahisseurs et des gardes blancs fut battue.
2o L’Armée rouge a vaincu parce qu’elle était fidèle et dévouée jusqu’au bout à son peuple, ce qui lui valait l’amour de ce peuple, qui la soutenait comme son armée à lui. L’Armée rouge est issue du peuple. Et si elle est fidèle à son peuple comme un fils est fidèle à sa mère, elle aura le soutien du peuple, elle vaincra. Tandis qu’une armée qui va contre son peuple subira nécessairement la défaite.
3o L’Armée rouge a vaincu parce que le pouvoir des Soviets avait réussi à alerter tout l’arrière, tout le pays, pour servir le front. Une armée sans un arrière fort pour soutenir le front par tous les moyens, est vouée à la défaite. Les bolchéviks savaient cela et c’est pour cette raison qu’ils avaient transformé le pays p. 271en un camp retranché qui approvisionnait le front en matériel de guerre, en munitions, en équipements, en vivres, en contingents de renfort.
4o L’Armée rouge a vaincu parce que : a) les soldats rouges comprenaient le but et les objectifs de la guerre et se rendaient compte qu’ils étaient justes ; b) la conscience que le but et les tâches de la guerre étaient justes, fortifiait leur esprit de discipline et leur valeur combative ; c) ceci étant, la masse des soldats rouges a fait preuve, à tout instant, dans sa lutte contre l’ennemi, d’une abnégation sans exemple et d’un héroïsme sans précédent.
5o L’Armée rouge a vaincu parce que son noyau dirigeant, à l’arrière et au front, était le Parti bolchévik, soudé par sa cohésion et sa discipline, puissant par son esprit révolutionnaire et sa volonté de consentir tous les sacrifices pour faire triompher la cause commune, insurpassé par sa capacité à organiser les multitudes et à les diriger de façon judicieuse, dans une situation complexe.
Lénine a dit :
C’est uniquement parce que le Parti était sur ses gardes, parce que le Parti était rigoureusement discipliné et que son autorité unissait toutes les institutions et toutes les administrations, parce que des dizaines, des centaines, des milliers et, en fin de compte, des millions d’hommes suivaient comme un seul le mot d’ordre du Comité central, c’est uniquement parce que des sacrifices inouïs furent consentis, que le miracle qui s’est produit a pu se produire. C’est uniquement pour cela qu’en dépit des campagnes redoublées, triplées, quadruplées des impérialistes de l’Entente et des impérialistes du monde entier, nous nous sommes trouvés en mesure de vaincre.
6o L’Armée rouge a vaincu parce que : a) elle a su former dans son sein des dirigeants militaires d’un type nouveau comme Frounze, Vorochilov, Boudionny et autres ; b) dans ses rangs combattaient des héros-nés comme Kotovski, Tchapaev, Lazo, Chtchors, Parkhomenko et bien d’autres ; c) l’éducation politique de l’Armée rouge était faite par des hommes tels que Lénine, Staline, Molotov, Kalinine, Sverdlov, Kaganovitch, Ordjonikidze, Kirov, Kouibychev, Mikoïan, Jdanov, Andréev, Pétrovski, Iaroslavski, Dzerjinski, Chtchadenko, Mekhliss, Khrouchtchev, Chvernik, Chkiriatov, d’autres encore ; d) l’Armée rouge comptait dans son sein ces p. 272organisateurs et agitateurs peu communs qu’étaient les commissaires militaires, dont l’activité cimentait les rangs des soldats et qui implantaient parmi eux l’esprit de discipline et l’intrépidité au combat, réprimaient avec énergie, — rapidement et sans merci, — les actes de trahison de certains chefs et, au contraire, soutenaient avec courage et résolution l’autorité et la gloire des commandants, membres et non-membres du Parti, qui avaient prouvé leur dévouement au pouvoir des Soviets et s’étaient montrés capables de diriger d’une main ferme les unités de l’Armée rouge.
« Sans commissaires militaires, nous n’aurions pas eu d’Armée rouge », disait Lénine.
7o L’Armée rouge a vaincu parce qu’à l’arrière des armées blanches, à l’arrière de Koltchak, de Dénikine, de Krasnov, de Wrangel, travaillaient dans l’illégalité des bolchéviks admirables, membres et non-membres du Parti, qui soulevaient les ouvriers et les paysans contre les envahisseurs, contre les gardes blancs ; qui minaient l’arrière des ennemis du pouvoir des Soviets et, par là même, facilitaient l’avance de l’Armée rouge. Nul n’ignore que les partisans d’Ukraine, de Sibérie, d’Extrême-Orient, de l’Oural, de Biélorussie, du bassin de la Volga, qui disloquaient l’arrière des gardes blancs et des envahisseurs, ont rendu un service inappréciable à l’Armée rouge.
8o L’Armée rouge a vaincu parce que le pays des Soviets n’était pas seul dans sa lutte avec la contre-révolution des gardes blancs et l’intervention étrangère ; parce que la lutte du pouvoir des Soviets et ses succès avaient suscité la sympathie et l’aide des prolétaires du monde entier. Si les impérialistes voulaient étouffer la République soviétique par l’intervention armée et le blocus, les ouvriers de ces pays impérialistes sympathisaient avec les Soviets et les aidaient. Leur lutte contre les capitalistes des pays ennemis de la République soviétique a fait que les impérialistes ont dû renoncer à l’intervention. Les ouvriers d’Angleterre, de France et des autres pays qui avaient participé à l’intervention, organisaient des grèves, refusaient de charger le matériel de guerre destiné aux envahisseurs et aux généraux blancs ; ils formaient des « comités d’action » sous le mot d’ordre « Bas les mains devant la Russie ! »
Aussitôt que la bourgeoisie internationale, disait Lénine, lève la main contre nous, ses propres ouvriers la saisissent au poignet.