Dominique Meeùs
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1. Début de l’intervention militaire de l’étranger. Première période de la guerre civile.

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Ainsi la paix avait été conclue à Brest-Litovsk et le pouvoir des Soviets s’était consolidé à la suite des mesures économiques révolutionnaires qu’il avait prises. Ces deux faits s’étaient produits à un moment où, en Occident, la guerre battait encore son plein et ils avaient provoqué la plus vive alarme parmi les impérialistes d’Occident, et surtout parmi les impérialistes de l’Entente.

Ils craignaient que la signature de la paix entre l’Allemagne et la Russie pût alléger la situation militaire de l’Allemagne et aggraver en conséquence celle des armées de l’Entente. Ils craignaient ensuite que la conclusion de la paix entre la Russie et l’Allemagne pût renforcer l’élan vers la paix dans tous les pays, sur tous les fronts, et compromettre ainsi la cause de la guerre, la cause des impérialistes. Ils redoutaient enfin que l’existence du pouvoir des Soviets sur le territoire d’un immense pays et ses succès intérieurs, consécutifs au renversement du pouvoir de la bourgeoisie, ne fussent un exemple contagieux pour les ouvriers et les soldats d’Occident : profondément mécontents d’une guerre qui traînait en longueur, ceux-ci ne pouvaient-ils, à l’exemple des Russes, tourner leurs baïonnettes contre leurs maîtres et oppresseurs ? Pour toutes ces raisons, les gouvernements de l’Entente décidèrent une intervention militaire en Russie, pour renverser le pouvoir des Soviets et mettre sur pied un pouvoir bourgeois qui restaurerait le régime capitaliste dans le pays, annulerait le traité de paix avec l’Allemagne et rétablirait le front militaire contre l’Allemagne et l’Autriche.

Les impérialistes de l’Entente entreprirent d’autant plus volontiers cette infâme besogne qu’ils étaient convaincus de la précarité du pouvoir des Soviets et ne doutaient pas que, si ses ennemis s’y employaient, il ne tarderait pas à succomber.

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Les succès du pouvoir des Soviets et sa consolidation avaient semé encore plus d’alarme dans les rangs des classes renversées, grands propriétaires fonciers et capitalistes, dans les rangs des partis battus, cadets, menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes, nationalistes bourgeois de toute sorte, dans les rangs des généraux gardes-blancs, des officiers cosaques, etc.

Dès les premiers jours de la victoire de la Révolution d’Octobre, ces éléments hostiles avaient crié sur tous les toits que le pouvoir soviétique n’avait pas de terrain propice en Russie, qu’il était condamné, qu’il s’effondrerait dans une ou deux semaines, dans un mois, ou tout au plus dans deux ou trois mois. Mais comme le pouvoir soviétique, en dépit des exorcismes de ses ennemis, continuait à exister et à se consolider, les ennemis du pouvoir des Soviets à l’intérieur de la Russie se virent obligés de reconnaître que ce pouvoir était beaucoup plus fort qu’ils ne l’auraient cru, que pour le renverser il fallait un sérieux effort, une lutte acharnée de toutes les forces de la contre-révolution. Aussi décidèrent-ils de faire un vaste travail de rébellion pour rassembler les forces de contre-révolution, pour racoler des cadres militaires, pour organiser des émeutes, avant tout dans les régions cosaques et dans celles où les koulaks étaient en force.

C’est ainsi que dès la première moitié de 1918, deux forces déterminées apparurent, qui étaient prêtes à renverser le pouvoir des Soviets : les impérialistes de l’Entente et la contre-révolution intérieure de Russie.

Aucune de ces forces ne réunissait des moyens suffisants pour entreprendre à elle seule de renverser le pouvoir des Soviets. La contre-révolution de Russie disposait de certains cadres militaires, ainsi que de certaines ressources en hommes, principalement parmi les couches supérieures des cosaques et chez les koulaks, ressources nécessaires pour déclencher un soulèvement contre le pouvoir des Soviets. Mais elle n’avait ni argent ni armes. Les impérialistes étrangers, au contraire, avaient de l’argent et des armes, mais ils ne pouvaient « assigner » pour l’intervention des forces militaires suffisantes, non seulement parce que ces forces étaient indispensables pour la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche, mais encore parce qu’elles pouvaient s’avérer trop peu sûres pour la lutte contre le pouvoir des Soviets.

Les circonstances de la lutte contre le pouvoir des Soviets imposaient la fusion des deux forces antisoviétiques, celle de l’étranger et celle de l’intérieur. Et cette fusion s’opéra dans la première moitié de 1918.

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C’est ainsi que prit forme l’intervention militaire de l’étranger contre le pouvoir des Soviets, appuyée par les rébellions contre-révolutionnaires des ennemis de ce pouvoir à l’intérieur de la Russie.

C’est ainsi que finit la trêve et que la guerre civile commença en Russie, c’est-à-dire la guerre des ouvriers et des paysans des peuples de Russie contre les ennemis extérieurs et intérieurs du pouvoir des Soviets.

Les impérialistes d’Angleterre, de France, du Japon, des États-Unis déclenchent l’intervention sans déclaration de guerre, bien que cette intervention fût une guerre contre la Russie, et une guerre de la pire espèce. Ces brigands « civilisés » se glissent, subrepticement, en voleurs, et débarquent leurs troupes en territoire russe.

Les Anglo-Français opèrent un débarquement dans le nord de la Russie ; ils occupent Arkhangelsk et Mourmansk, et ils y épaulent l’émeute des gardes blancs ; ils renversent le pouvoir des Soviets et forment un gouvernement garde-blanc, le « gouvernement du Nord de la Russie ».

Les Japonais débarquent leurs troupes à Vladivostok, s’emparent de la Province maritime, dispersent les Soviets et épaulent les rebelles gardes-blancs, qui rétabliront plus tard le régime bourgeois.

Dans le Caucase du Nord, les généraux Kornilov, Alexéev, Dénikine, secondés par les Anglo-Français, organisent une « armée volontaire » de gardes blancs, provoquent une émeute parmi les couches supérieures des cosaques et partent en campagne contre les Soviets.

Dans la région du Don, les généraux Krasnov et Mamontov, secrètement aidés des impérialistes allemands (qui n’osaient les soutenir ouvertement, en raison du traité de paix avec la Russie), soulèvent une révolte parmi les cosaques du Don, occupent la région et partent en campagne contre les Soviets.

Dans la région de la Moyenne-Volga et en Sibérie, les menées anglo-françaises aboutissent à l’organisation de la révolte du corps d’armée tchécoslovaque. Le gouvernement soviétique avait autorisé ce corps d’armée composé de prisonniers de guerre à rentrer dans sa patrie par la Sibérie et l’Extrême-Orient. Mais il fut utilisé en cours de route par les socialistes-révolutionnaires et les Anglo-Français qui le poussèrent à se soulever contre le pouvoir des Soviets. L’émeute du corps d’armée tchécoslovaque fut le signal de la révolte des koulaks dans le bassin de la Volga et en Sibérie, et de p. 252celle des ouvriers des usines de Volkinsk et d’Ijevsk qui suivaient les socialistes-révolutionnaires. Dans la région de la Volga se constitua le gouvernement garde-blanc et socialiste-révolutionnaire de Samara ; à Omsk, le gouvernement garde-blanc de Sibérie.

L’Allemagne ne participait pas et ne pouvait pas participer à cette intervention du bloc anglo-franco-nippo-américain. D’abord parce qu’elle était en guerre contre ce bloc. Mais malgré cela et en dépit du traité de paix qui existait entre la Russie et l’Allemagne, personne parmi les bolchéviks ne doutait que le gouvernement de l’empereur Guillaume ne fût, pour le pays des Soviets, un ennemi tout aussi féroce que les interventionnistes anglo-franco-nippo-américains. Et en effet, les impérialistes allemands faisaient l’impossible pour isoler, affaiblir et perdre le pays des Soviets. De la Russie soviétique, ils détachèrent l’Ukraine, en vertu, il est vrai, d’un « traité » passé avec la Rada d’Ukraine ; ils introduisirent leurs troupes dans ce pays à la demande de la Rada ukrainienne contre-révolutionnaire, et se mirent en devoir de piller et d’opprimer inhumainement le peuple ukrainien, en lui interdisant le moindre contact avec la Russie soviétique. Ils amputèrent la Russie soviétique de la Transcaucasie où, à la demande des nationalistes géorgiens et azerbaïdjanais, ils introduisirent des troupes allemandes et turques et s’installèrent en maîtres à Tiflis et à Bakou. Ils soutenaient contre le pouvoir des Soviets, — secrètement il est vrai, — mais par tous les moyens, en lui fournissant munitions et vivres, le général Krasnov, révolté dans la région du Don.

La Russie soviétique se trouvait ainsi coupée de ses principales sources de vivres, de matières premières et de combustible.

La situation de la Russie soviétique fut difficile, à l’époque. On manquait de pain. On manquait de viande. Les ouvriers étaient tenaillés par la faim. Aux ouvriers de Moscou et de Pétrograd, on distribuait cinquante grammes de pain pour deux jours. Et il arrivait qu’on ne distribuât pas de pain du tout. Les usines chômaient, ou presque ; elles manquaient de matières premières et de combustible. Mais la classe ouvrière ne connut pas le découragement. Le découragement n’atteignit pas le Parti bolchévik. Les difficultés inouïes de cette période et la lutte acharnée contre les difficultés montrèrent quelle énergie inépuisable la classe ouvrière recèle et de quelle force d’autorité, grande et infinie, le Parti bolchévik dispose.

Le Parti proclama que le pays était un camp retranché et réorganisa la vie économique, politique et culturelle sur le pied de guerre. Le gouvernement soviétique déclara : « La patrie socialiste p. 253est en danger » et appela le peuple à la résistance. Lénine lança le mot d’ordre : « Tout pour le front. » Et des centaines de milliers d’engagés volontaires, ouvriers et paysans, rejoignirent l’Armée rouge. Près de la moitié des effectifs du Parti et des Jeunesses communistes étaient au front. Le Parti soulevait le peuple pour la guerre de salut de la patrie, contre l’invasion des troupes étrangères, contre les rébellions des classes exploiteuses renversées par la révolution. Le Conseil de la défense ouvrière et paysanne, organisé par Lénine dirigeait le ravitaillement du front en hommes, en vivres, en équipements, en munitions. L’abandon du principe du volontariat et l’introduction du service militaire obligatoire firent affluer dans l’Armée rouge de nouveaux contingents, forts de centaines de milliers d’hommes ; en un court espace de temps, les effectifs de l’Armée rouge avaient atteint un million d’hommes.

Bien que la situation du pays fût difficile et que l’Armée rouge, encore jeune, n’eût pas eu le temps de prendre toute sa force, les mesures prises pour la défense aboutirent à de premiers succès. Le général Krasnov fut repoussé de Tsaritsyne dont il considérait la prise comme certaine et rejeté au delà du Don. L’action du général Dénikine fut localisée dans une zone peu étendue du Caucase du Nord et le général Kornilov fut tué dans une bataille contre l’Armée rouge. Les Tchécoslovaques et les bandes de socialistes-révolutionnaires et de gardes blancs furent chassés de Kazan, de Simbirsk, de Samara et refoulés vers l’Oural. L’émeute du garde blanc Savinkov, à Iaroslavl, qui avait été organisée par Lockhart, chef de la mission anglaise à Moscou, fut écrasée et Lockhart arrêté. Pour avoir exercé la terreur blanche contre les bolchéviks, les socialistes-révolutionnaires qui avaient assassiné les camarades Ouritski et Volodarski et perpétré un lâche attentat contre Lénine, furent soumis à la terreur rouge et écrasés sur tous les points quelque peu importants de la Russie centrale.

La jeune Armée rouge se trempait, s’aguerrissait dans les batailles contre l’ennemi.

Les commissaires communistes qui travaillaient alors dans l’Armée rouge, jouèrent un rôle décisif pour la consolidation de l’Armée, pour son éducation politique, pour le renforcement de sa valeur militaire et de sa discipline.

Le Parti bolchévik comprit que ces succès de l’Armée rouge ne pouvaient décider de l’issue des opérations, que ce n’étaient là que des coups d’essai. Il se Tendit compte que de nouvelles batailles, encore plus graves, étaient imminentes ; que le pays ne pourrait récupérer ses bases de ravitaillement en vivres, en matières p. 254premières et en combustible qu’au prix de batailles sérieuses, acharnées, contre l’ennemi. Aussi les bolchéviks entreprirent-ils de se préparer énergiquement à une guerre de longue haleine ; ils résolurent de mettre l’arrière tout entier au service du front. Le gouvernement soviétique instaura le communisme de guerre. Il plaça sous son contrôle, outre la grande industrie, la petite et la moyenne, afin d’accumuler des réserves de marchandises de grande consommation et d’en pourvoir l’armée et la campagne. Il établit le monopole du blé, en interdit le commerce privé et établit un régime de prélèvements pour recenser tous les excédents de produits alimentaires détenus par les paysans, afin d’amasser des réserves de blé et de ravitailler l’armée et les ouvriers. Enfin, il introduisit le travail obligatoire pour toutes les classes. En contraignant la bourgeoisie au travail manuel et en libérant de la sorte les ouvriers, qui purent ainsi exécuter un autre travail, plus important pour le front, le Parti réalisait le principe : « Qui ne travaille pas, ne mange pas. »

Tout cet ensemble de mesures, qui étaient imposées par les conditions exceptionnellement difficiles de la défense du pays et qui avaient un caractère provisoire, s’appela communisme de guerre.

Le pays se prépara à une longue et âpre guerre civile contre les ennemis extérieurs et intérieurs du pouvoir des Soviets. Il lui fallut tripler les effectifs de l’armée vers la fin de 1918. Il lui fallut accumuler des ressources pour ravitailler cette armée.

Lénine indiquait à l’époque :

Nous avions décidé d’avoir une armée d’un million d’hommes au printemps ; et il nous faut maintenant une armée de trois millions d’hommes. Nous pouvons l’avoir. Et nous l’aurons.

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