Dominique Meeùs
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Quand il eut signé la paix et obtenu une trêve, le pouvoir des Soviets aborda un ample travail de construction socialiste. La période écoulée de novembre 1917 à février 1918 avait été appelée par Lénine période « d’assaut des gardes rouges contre le Capital ». Le pouvoir des Soviets était parvenu, dans la première moitié de 1918, à briser la puissance économique de la bourgeoisie, à concentrer dans ses mains les postes de commandement de l’économie nationale (fabriques, usines, banques, chemins de fer, commerce extérieur, flotte marchande, etc.), à briser l’appareil d’État bourgeois et à liquider victorieusement les premières tentatives de la contre-révolution pour renverser le pouvoir des Soviets.
Mais tout cela ne suffisait pas. Tant s’en faut. Pour aller de l’avant, il fallait, après avoir détruit l’ancien ordre de choses, passer à la construction du nouveau. C’est pourquoi au printemps de 1918 on aborde une nouvelle étape de la construction socialiste, on passe « de l’expropriation des expropriateurs » à la consolidation matérielle des victoires remportées, à la construction de l’économie nationale soviétique. Lénine estimait nécessaire d’utiliser la trêve au maximum pour entreprendre la construction des fondements de l’économie socialiste. Les bolchéviks devaient apprendre à organiser et à gérer la production d’une manière nouvelle. Lénine écrivait que le Parti bolchévik avait su persuader la Russie, qu’il avait conquis la Russie sur les riches pour le peuple ; mais maintenant, disait Lénine, le Parti bolchévik doit apprendre à gouverner la Russie.
D’après lui, la tâche principale, à cette étape, était de recenser tout ce que produisait l’économie nationale et de contrôler l’usage fait de l’ensemble de la production. Dans l’économie du pays prédominaient les éléments petits-bourgeois. Les millions de petits p. 244propriétaires, à la ville et à la campagne, constituaient un lorrain propice au développement du capitalisme. Ces petits propriétaires ne reconnaissaient ni la discipline du travail ni la discipline de l’État, ils ne se soumettaient ni au recensement ni au contrôle. Ce qui était surtout dangereux dans ce moment difficile, c’était l’élément petit-bourgeois spéculateur et mercantile, ainsi que les tentatives des petits propriétaires et des commerçants de s’enrichir sur la misère du peuple.
Le Parti engagea une lutte énergique contre le relâchement dans la production, contre l’indiscipline du travail dans l’industrie. Les masses ne s’assimilaient que lentement les nouvelles habitudes de travail. Aussi la lutte pour la discipline devint-elle, dans cette période, la tâche centrale.
Lénine affirma la nécessité de développer dans l’industrie l’émulation socialiste, d’introduire le salaire aux pièces, de lutter contre le nivellement des salaires, d’appliquer, parallèlement aux mesures d’éducation et de persuasion, les méthodes de contrainte à l’égard des profiteurs qui voulaient arracher le plus possible à l’État, a l’égard de ceux qui taisaient les fainéants et se livraient à la spéculation. Il estimait que la nouvelle discipline, — la discipline du travail, la discipline des liens de camaraderie, la discipline soviétique, — est élaborée par les millions de travailleurs au cours de leur besogne quotidienne. Il indiquait que « cette œuvre occuperait toute une époque historique ». (Lénine, t. XXIII, p. 44, éd. russe.)
Ce sont tous ces problèmes de la construction socialiste, tous ces problèmes sur la création de rapports de production nouveaux, socialistes, qui furent traités par Lénine dans son célèbre ouvrage Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets.
Sur ces questions également, les « communistes de gauche » faisant cause commune avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, engagèrent la lutte contre Lénine. Boukharine, Ossinski et les autres s’élevaient contre l’introduction de la discipline, contre la direction unique dans les entreprises, contre l’utilisation des spécialistes dans l’industrie, contre l’application du principe du rendement commercial. Ils calomniaient Lénine en prétendant que cette politique signifiait le retour à l’ordre bourgeois. En même temps, les « communistes de gauche » prônaient le point de vue trotskiste d’après lequel la construction socialiste et la victoire du socialisme étaient impossibles en Russie.
Toutes ces phrases « de gauche » des « communistes de gauche » ne tendaient qu’à masquer la défense du koulak, du fainéant, p. 245du spéculateur, qui étaient contre la discipline et envisageaient avec hostilité la réglementation par l’État de la vie économique, le recensement et le contrôle.
Quand il eut réglé les problèmes d’organisation de l’industrie nouvelle, soviétique, le Parti passa aux questions relatives à la campagne. La lutte des paysans pauvres contre les koulaks battait son plein à l’époque. Les koulaks croissaient en force, ils accaparaient les terres enlevées aux grands propriétaires fonciers. II fallait aider les paysans pauvres. Les koulaks, qui luttaient contre l’État prolétarien, refusaient de lui vendre le blé aux prix fermes. Ils voulaient contraindre par la famine l’État soviétique à renoncer aux mesures socialistes. Le Parti fixa la tâche d’écraser les koulaks contre-révolutionnaires. Pour organiser les paysans pauvres et vaincre les koulaks qui détenaient les excédents de blé, on organisa en grand l’envoi d’ouvriers à la campagne.
Camarades ouvriers ! écrivait Lénine. Rappelez-vous que la révolution est dans une situation critique. N’oubliez pas que vous, et vous seuls, pouvez sauver la révolution. Des dizaines de milliers d’ouvriers d’élite, d’ouvriers d’avant-garde dévoués au socialisme, incapables de succomber aux pots-de-vin ou de commettre un vol et capables de créer une force d’airain contre les koulaks, les spéculateurs, les maraudeurs, les concussionnaires, les désorganisateurs, voilà ce qu’il nous faut.
« La lutte pour le blé, c’est la lutte pour le socialisme », déclara Lénine. Et c’est sous ce mot d’ordre que l’on organisa les ouvriers dépêchés dans les campagnes. On prit plusieurs décrets pour établir la dictature dans le domaine du ravitaillement et investir les organes du commissariat de l’Approvisionnement de (pouvoirs extraordinaires pour l’achat du blé aux prix fermes.
Par décret du 11 juin 1918, furent institués des comités de paysans pauvres. Ils jouèrent un grand rôle dans la lutte contre les koulaks, dans la redistribution des terres confisquées et la répartition du matériel d’exploitation, dans le stockage des excédents détenus par les koulaks, dans le ravitaillement des centres ouvriers et de l’Armée rouge. 50 millions d’hectares de terres koulaks passèrent aux mains des paysans pauvres et moyens. On expropria les koulaks d’une grande partie de leurs moyens de production au profit des paysans pauvres.
L’organisation des comités de paysans pauvres marqua une nouvelle étape dans le développement de la révolution socialiste p. 246à la campagne. Ces comités furent les points d’appui de la dictature du prolétariat au village. C’est en grande partie par leur intermédiaire que la population paysanne fournissait des contingents à l’Année rouge.
L’arrivée des prolétaires au village et l’organisation des comités de paysans pauvres consolidèrent le pouvoir des Soviets dans las campagnes. Elles furent d’une immense portée politique pour gagner le paysan moyen au pouvoir des Soviets.
Fin 1918, leurs tâches remplies, les comités de paysans pauvres cessèrent d’exister ; ils fusionnèrent avec les Soviets ruraux.
Le 4 juillet 1918 s’était ouvert le Ve congrès des Soviets. Les socialistes-révolutionnaires « de gauche » y engagèrent une lutte acharnée contre Lénine, en faveur des koulaks. Ils exigeaient que l’on cessât de combattre les koulaks et que l’on renonçât à l’envoi de détachements de ravitaillement ouvriers à la campagne. Lorsque les socialistes-révolutionnaires « de gauche » se furent convaincus que la majorité du congrès s’opposait énergiquement à leur ligne, ils déclenchèrent une émeute à Moscou, s’emparèrent de la rue Trekhsviatitelski et, de là, firent donner l’artillerie sur le Kremlin. Mais cette aventure des socialistes-révolutionnaires « de gauche » fut écrasée en quelques heures par les bolchéviks. Sur plusieurs points du pays, les organisations locales des socialistes-révolutionnaires « de gauche » avaient également tenté de se soulever, mais partout cette entreprise fut rapidement liquidée.
Le procès de l’organisation antisoviétique dite « bloc des droitiers et des trotskistes » a établi maintenant que l’émeute des socialistes-révolutionnaires « de gauche » avait été déclenchée à la connaissance et avec l’assentiment de Boukharine et de Trotski, qu’elle était partie intégrante du plan général de complot contre-révolutionnaire monté par les boukhariniens, les trotskistes et les socialistes-révolutionnaires « de gauche » contre le pouvoir des Soviets.
Dans le même temps, le socialiste-révolutionnaire « de gauche » Blumkine, plus tard agent de Trotski, pénétrait dans les locaux de l’ambassade allemande et, afin de provoquer la guerre avec l’Allemagne, assassinait l’ambassadeur Mirbach. Mais le gouvernement soviétique réussit à conjurer la guerre et à faire échouer la provocation des contre-révolutionnaires.
Le Ve congrès des Soviets adopta la Constitution de la R.S.F.S.R., première constitution soviétique.