Dominique Meeùs
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Fort des décisions de la conférence d’Avril, le Parti développa un travail considérable en vue de gagner les masses, de les éduquer et de les organiser pour la lutte. La ligne du Parti, dans cette période, consistait à expliquer patiemment la politique bolchévique, à dénoncer l’esprit de conciliation des menchéviks et des p. 213socialistes-révolutionnaires pour isoler ces partis des masses et conquérir la majorité dans les Soviets.
Outre leur activité dans les Soviets, les bolchéviks faisaient un travail énorme dans les syndicats, dans les comités d’usine.
Particulièrement importante était leur action dans l’armée. Des organisations militaires se constituaient partout. Sur les fronts et à l’arrière, les bolchéviks travaillaient inlassablement à organiser les soldats et les matelots. Le journal bolchévik du front, Okopnaïa Pravda [la Vérité des tranchées], contribuait puissamment à faire pénétrer l’esprit révolutionnaire chez les soldats.
Grâce à ce travail de propagande et d’agitation des bolchéviks, les ouvriers, dès les premiers mois de la révolution, avaient dans un grand nombre de villes renouvelé les Soviets, notamment les Soviets de quartier, en débarquant les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires et en élisant à leur place les partisans des bolchéviks.
Le travail des bolchéviks donnait d’excellents résultats, à Pétrograd surtout.
Du 30 mai au 3 juin 1917 se tint la Conférence des comités d’usine de Pétrograd. Les trois quarts des délégués se rallièrent aux bolchéviks. La presque totalité du prolétariat de cette ville suivit le mot d’ordre bolchévik « Tout le pouvoir aux Soviets ! »
Le 3 (16) juin 1917 se réunit le Ier congrès des Soviets de Russie. Les bolchéviks étaient encore en minorité dans les Soviets ; ils ne comptaient qu’un peu plus de 100 délégués contre les 700 à 800 menchéviks, socialistes-révolutionnaires et autres.
Au Ier congrès des Soviets, les bolchéviks dénoncèrent résolument l’entente funeste avec la bourgeoisie, ils dévoilèrent le caractère impérialiste de la guerre. Lénine prononça un discours où il démontrait la justesse de la ligne bolchévique ; il déclara que le pouvoir des Soviets pouvait seul donner le pain aux travailleurs, la terre aux paysans, obtenir la paix et tirer le pays de la ruine.
Une vaste campagne de masse se poursuivait à ce moment dans les quartiers ouvriers de Pétrograd pour organiser une manifestation et présenter des revendications au congrès des Soviets. Mû par le désir de prévenir une manifestation spontanée des ouvriers et par la volonté d’utiliser à ses fins propres l’esprit révolutionnaire des masses, le Comité exécutif du Soviet de Pétrograd décida de fixer la manifestation au 18 juin (1er juillet). Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires espéraient que le mouvement se déroulerait sous des mots d’ordre antibolchéviks. Énergiquement, le Parti bolchévik prit ses dispositions en conséquence. p. 214Le camarade Staline écrivit alors dans la Pravda : « Notre tâche est de faire eu sorte que la manifestation du 18 juin à Pétrograd se déroule sous nos mots d’ordre révolutionnaires. »
Le 18 juin 1917, les manifestants défilèrent devant la sépulture des victimes tombées pour la révolution et ce fut une véritable revue des forces du Parti bolchévik. Elle montra les progrès de l’esprit révolutionnaire des masses et leur confiance grandissante dans le Parti bolchévik. Les mots d’ordre des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires en faveur de la confiance au Gouvernement provisoire, de la nécessité de continuer la guerre, furent noyés dans la masse énorme des mots d’ordre bolchéviks. 400 000 manifestants défilèrent avec des drapeaux portant les mots d’ordre : « À bas la guerre ! », « À bas les dix ministres capitalistes ! », « Tout le pouvoir aux Soviets ! »
C’était l’effondrement complet des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires, l’effondrement du Gouvernement provisoire dans la capitale.
Cependant, fort du soutien du Ier congrès des Soviets, le Gouvernement provisoire avait décidé de poursuivre sa politique impérialiste. Dans cette même journée du 18 juin, docile à la volonté des impérialistes anglo-français, il jeta les soldats du front à l’attaque. La bourgeoisie voyait dans cette offensive la seule possibilité d’en finir avec la révolution. Elle espérait, en cas de succès, prendre en main tout le pouvoir, refouler les Soviets et écraser les bolchéviks. En cas d’insuccès, on pourrait rejeter toute la faute sur ces mêmes bolchéviks, en les accusant d’avoir décomposé l’armée.
On pouvait être certain que l’offensive échouerait. C’est ce qui advint en effet. La fatigue des soldats, l’incompréhension où ils étaient des buts de l’offensive, leur défiance à l’égard d’un commandement qui leur était étranger, le manque de munitions et d’artillerie, toutes ces circonstances déterminèrent l’échec de l’offensive.
La nouvelle de l’offensive et de son échec émut toute la capitale. L’indignation des ouvriers et des soldats fut sans bornes. Il apparut qu’en proclamant une politique de paix, le Gouvernement provisoire avait trompé le peuple. Il apparut que le Gouvernement provisoire était pour la continuation de la guerre impérialiste. Il apparut que le Comité exécutif central des Soviets de Russie et le Soviet de Pétrograd n’avaient pas voulu ou n’avaient pas pu s’opposer aux agissements criminels du Gouvernement provisoire et s’étaient traînés à sa suite.
p. 215Le courroux révolutionnaire des ouvriers et des soldats de Pétrograd débordait. Le 3 (16) juillet, dans le quartier de Vyborg, des manifestations éclatent spontanément, qui durent toute la journée. D’abord isolées, elles se transforment en une grandiose manifestation armée, sur le mot d’ordre de passage du pouvoir aux Soviets. Le Parti bolchévik était contre une action armée à ce moment-là ; il considérait que la crise révolutionnaire n était pas encore mûre, que Tannée et la province n’étaient pas encore prêtes à soutenir l’insurrection de la capitale; qu’une insurrection isolée et prématurée dans Pétrograd ne pouvait qu’aider la contre-révolution à écraser l’avant-garde de la révolution. Mais lorsqu’il devint évident qu’il était impossible d’empêcher les masses de manifester, le Parti bolchévik décida de prendre part à la manifestation afin de lui donner un caractère pacifique et organisé. Et le Parti réussit : des centaines de milliers de manifestants se dirigèrent vers le siège du Soviet de Pétrograd et du Comité exécutif central des Soviets de Russie ; ils demandaient aux Soviets de prendre le pouvoir en main, de rompre avec la bourgeoisie impérialiste et de faire une politique de paix active.
Malgré le caractère pacifique de la manifestation, des détachements réactionnaires de junkers [élèves-officiers] et d’officiers furent lancés contre les manifestants. Les rues de Pétrograd furent inondées du sang des ouvriers et des soldats. Pour mater les ouvriers, on avait mandé du front les formations les plus incultes, les plus contre-révolutionnaires.
Quand ils eurent réprimé la manifestation des ouvriers et des soldats, menchéviks et socialistes-révolutionnaires, alliés à la bourgeoisie et aux généraux gardes-blancs, s’abattirent sur le Parti bolchévik. Les locaux de la rédaction de la Pravda sont saccagés. On interdit la Pravda, la Soldatskaïa Pravda [la Vérité des soldats} et nombre d’autres journaux bolchéviks. L’ouvrier Voïnov, pour le seul fait d’avoir vendu le Listok Pravdy [Feuille de vérité], est abattu dans la rue par les junkers. On commence à désarmer les gardes rouges. Les unités révolutionnaires de la garnison sont retirées de la capitale et envoyées au front. On opère des arrestations à l’arrière et sur le front. Le 7 juillet, un mandat d’arrêt est lancé contre Lénine. Plusieurs militants bolchéviks en vue sont arrêtés. L’imprimerie « Troud » [le Travail], où se tiraient les publications bolchéviques est mise à sac. Un communiqué du procureur de Pétrograd annonce que Lénine et plusieurs autres bolchéviks sont déférés en justice pour « haute trahison » et pour organisation de l’insurrection armée. p. 216L’accusation contre Lénine avait été fabriquée de toutes pièces à l’état-major du général Dénikine, avec des dépositions de mouchards et d’agents provocateurs.
C’est ainsi que le Gouvernement provisoire de coalition, dont faisaient partie des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires en vue, tels que Tsérételi et Skobélev, Kérenski et Tchernov, roulait dans le bourbier de l’impérialisme et de la contre-révolution déclarée. Au lieu d’une politique de paix, le Gouvernement pratiquait une politique visant à continuer la guerre. Au lieu de sauvegarder les droits démocratiques du peuple, il pratiquait une politique visant a supprimer ces droits et à mater par les armes les ouvriers et les soldats.
Ce que les représentants de la bourgeoisie Goutchkov et Milioukov n’avaient osé faire, les « socialistes » Kérenski et Tsérételi, Tchernov et Skobélev, l’osaient.
La dualité de pouvoir avait pris fin.
Elle s’était terminée en faveur de la bourgeoisie, puisque tout le pouvoir était passé aux mains du Gouvernement provisoire et que les Soviets, avec leur direction menchévique et socialiste-révolutionnaire, s’étaient transformés en appendice du Gouvernement.
C’en était fait de la période pacifique de la révolution, puisqu’on avait mis la baïonnette à l’ordre du jour.
En présence d’une situation modifiée, le Parti bolchévik décida de modifier sa tactique. Il passa au travail clandestin, cacha soigneusement dans l’illégalité son chef Lénine et se prépara à l’insurrection pour renverser par les armes le pouvoir de la bourgeoisie et instaurer le pouvoir des Soviets.