Dominique Meeùs
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À cette époque, le Parti bolchévik a fourni des exemples de direction de la lutte de classe du prolétariat sous toutes ses forme et manifestations. Il créait des organisations clandestines, éditait des tracts illégaux, faisait un travail révolutionnaire clandestin parmi les masses. En même temps, il prenait de mieux en mieux possession des diverses organisations légales de la classe ouvrière. Le Parti s’appliquait à conquérir les syndicats, les maisons du peuple, les universités du soir, les clubs, les établissements d’assurances. Depuis longtemps, ces organisations légales servaient d’asile aux liquidateurs. Les bolchéviks engagèrent énergiquement la lutte pour faire des sociétés légales les points d’appui de notre Parti. En alliant intelligemment le travail illégal à l’action légale ils firent passer de leur côté, dans les deux capitales, la majorité des syndicats. Ils remportèrent une victoire particulièrement brillante en 1913, lors des élections à la direction du syndicat des métaux de Pétersbourg : sur 3 000 métallurgistes venus à la réunion, 150 à peine votèrent pour les liquidateurs.
Il faut en dire autant de l’organisation légale qu’était la fraction social-démocrate de la IVe Douma d’État. Bien que les menchéviks eussent sept députés à la Douma et que les bolchéviks n’en eussent que six, les sept députés menchéviks, élus principalement par les régions non ouvrières, représentaient à peine un cinquième de la classe ouvrière, tandis que les six députés bolchéviks, élus par les principaux centres industriels (Pétersbourg, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, Kostroma, Iékatérinoslav, Kharkov), représentaient plus des quatre cinquièmes de la classe ouvrière du pays. Les ouvriers considéraient comme leurs députés, non pas les sept menchéviks, mais les six élus bolchéviks (Badaev, Pétrovski et les autres).
Si les bolchéviks réussirent à conquérir les organisations légales, c’est qu’en dépit des persécutions sauvages du tsarisme et de l’odieuse campagne déclenchée par les liquidateurs et les trotskistes, ils avaient pu sauvegarder le parti illégal et maintenir une ferme discipline dans leurs rangs ; c’est qu’ils défendaient p. 174courageusement les intérêts de la classe ouvrière, qu’ils étaient étroitement liés aux masses et menaient une lutte intransigeante contre les ennemis du mouvement ouvrier.
Voilà pourquoi la victoire des bolchéviks et la défaite des menchéviks dans les organisations légales se développèrent sur toute la ligne. Dans le domaine de l’agitation faite à la tribune de la Douma comme dans le domaine de la presse ouvrière et des autres organisations légales, les menchéviks étaient rejetés à l’arrière-plan. Emportée par le mouvement révolutionnaire, la classe ouvrière se groupait nettement autour des bolchéviks, en repoussant les menchéviks.
Pour couronner le tout, les menchéviks avaient fait faillite dans la question nationale. Le mouvement révolutionnaire des régions périphériques de la Russie réclamait un programme clair dans ce domaine. Mais il s’avéra que les menchéviks n’avaient aucun programme, si ce n’est l’ « autonomie culturelle » du Bund, qui ne pouvait satisfaire personne. Seuls, les bolchéviks se trouvèrent en possession d’un programme marxiste sur la question nationale, programme formulé par le camarade Staline dans son article « Le marxisme et la question nationale » et par Lénine dans ses articles « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes » et « Notes critiques sur la question nationale ».
Rien d’étonnant qu’après de telles défaites du menchévisme, le bloc d’Août se fût mis à craquer sur toutes les coutures. Composé d’éléments hétérogènes, il ne put résister à la poussée des bolchéviks et se disloqua. Crée pour combattre le bolchéviks, le bloc d’Août s’était désagrégé bientôt sous leurs coups. D’abord se retirèrent du bloc les partisans de Vpériod (Bogdanov, Lounatcharski, d’autres encore) ; ensuite ce fut le tour des Lettons, enfin les autres se dispersèrent.
Après leur défaite dans la lutte contre les bolchéviks, les liquidateurs appelèrent à leur aide la IIe Internationale. Elle répondit à leur appel. Sous couleur de « réconcilier » les bolchéviks avec les liquidateurs, sous couleur de faire « la paix dans le Parti », la IIe Internationale exigea des bolchéviks qu’ils missent fin à leur critique de la politique conciliatrice des liquidateurs. Mais, intransigeants, les bolchéviks refusèrent de se soumettre aux décisions de la IIe Internationale opportuniste ; ils ne firent aucune concession.
La victoire des bolchéviks dans les organisations légales n’était pas et ne pouvait pas être un effet du hasard. D’abord parce qu’ils avaient une théorie marxiste juste, un programme clair et un parti p. 175prolétarien révolutionnaire trempé dans les combats. Et ensuite parce que cette victoire traduisait l’essor continu de la révolution.
Le mouvement révolutionnaire se développait de plus en plus parmi les ouvriers, gagnant villes et régions. Lorsque arriva l’année 1914, les grèves ouvrières, loin de s’apaiser, prirent au contraire une ampleur nouvelle. Elles devinrent de plus en plus opiniâtres, entraînant un nombre de plus en plus élevé d’ouvriers. Le 9 janvier, 250 000 ouvriers étaient en grève, dont 140 000 à Pétersbourg. Le 1er mai, plus d’un demi-million, dont plus de 250 000 à Pétersbourg. Les grévistes firent preuve d’une fermeté peu ordinaire. À l’usine Oboukhov de Pétersbourg, la grève dura plus de deux mois ; celle de l’usine Lessner, près de trois mois. Les intoxications en masse survenues dans une série d’entreprises de Pétersbourg déclenchèrent une grève de 115 000 ouvriers, suivie de manifestations. Le mouvement allait grandissant. Au total, durant le premier semestre de 1914 (y compris le début de juillet), 1 425 000 ouvriers firent grève.
En mai avait éclaté à Bakou la grève générale des ouvriers du pétrole, qui retint l’attention du prolétariat de toute la Russie. La grève se déroula avec ordre. Le 20 juin, 20 000 ouvriers manifestèrent dans les rues de Bakou. La police prit des mesures féroces. En signe de protestation et de solidarité avec les ouvriers de cette ville, la grève éclata à Moscou ; elle s’étendit aux autres régions.
Le 3 juillet, à Pétersbourg, un meeting eut lieu à l’usine Poutilov au sujet de la grève de Bakou. La police tira sur les ouvriers. L’effervescence fut grande au sein du prolétariat de Pétersbourg. Le 4 juillet, à l’appel du comité de Pétersbourg du Parti, 90 000 ouvriers faisaient grève en signe de protestations. Le 7 juillet, 130 000 ; le 8 juillet, 150 000 ; le 11 juillet, 200 000.
Toutes les usines étaient en ébullition ; meetings et manifestations se déroulaient partout. On en vint même à dresser des barricades. Ce fut également le cas à Bakou et à Lodz. En plusieurs endroits, la police tira sur les ouvriers. Pour écraser le mouvement, le gouvernement décréta des mesures d’ « exception » ; la capitale avait été transformée en camp retranché. La Pravda fut interdite.
Mais à ce moment, une nouvelle force d’ordre international, — la guerre impérialiste, — entrait en scène ; elle allait changer le cours des choses. C’est pendant les évènements révolutionnaires de juillet que le président de la République française Poincaré était arrivé à Pétersbourg pour s’entretenir, avec le tsar, de la p. 176guerre imminente. Quelques jours plus tard, l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie. Le gouvernement tsariste en profita pour écraser les organisations bolchéviques et réprima le mouvement ouvrier. L’essor de la révolution fut interrompu par la guerre mondiale, à laquelle le gouvernement tsariste demandait son salut contre la révolution.