Dominique Meeùs
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Pendant que les Bolcheviks menaient une lutte irréconciliable sur deux fronts — contre les liquidateurs et contre les otzovistes — pour la ligne ferme et conséquente du Parti prolétarien, Trotski soutenait les menchéviks-liquidateurs. C’est dans ces années-là que Lénine l’appela « Petit-Judas Trotski ». Trotski avait organisé à Vienne (Autriche) un groupe littéraire et publiait un journal « hors-fractions », en réalité menchévik. Voici ce que Lénine écrivit à l’époque sur son compte : « Trotski s’est conduit comme l’arriviste et le fractionniste le plus infâme… Il bavarde sur le Parti, mais sa conduite est pire que celle de tous les autres fractionnistes. »
Plus tard, en 1912, Trotski fût l’organisateur du bloc d’Août, c’est-à-dire de tous les groupes et de toutes les tendances antibolchéviques, contre Lénine, contre le Parti bolchévik. Dans ce bloc hostile au bolchévisme s’unirent les liquidateurs et les otzovistes, prouvant ainsi leur parenté. Sur toutes les questions essentielles, Trotski et les trotskistes avaient une attitude de liquidateurs. Mais sa position de liquidateur, Trotski la dissimulait sous le masque du centrisme, c’est-à-dire sous le masque de la conciliation ; il prétendait se placer en marge des bolchéviks et des menchéviks et travailler soi-disant à leur réconciliation. Lénine a dit à ce propos que Trotski était plus infâme et plus nuisible que les liquidateurs déclarés, parce qu’il trompait les ouvriers en se disant « en marge des fractions », alors qu’en réalité il soutenait entièrement p. 152et sans réserve les menchéviks-liquidateurs. Le trotskisme était le groupe principal qui voulait implanter le centrisme :
Le centrisme, écrit le camarade Staline, est une notion politique. Son idéologie est celle de l’adaptation, de la soumission des intérêts du prolétariat aux intérêts de la petite bourgeoisie au sein d’un seul parti commun. Cette idéologie est étrangère et contraire au léninisme.
Dans cette période, Kaménev, Zinoviev, Rykov étaient en fait des agents camouflés de Trotski, à qui ils venaient souvent en aide contre Lénine. Avec le concours de Kaménev, de Zinoviev, de Rykov et autres alliés secrets de Trotski fût réunie, en janvier 1910, contre la volonté de Lénine, l’assemblée plénière du Comité central. À cette époque, la composition du Comité central, par suite de l’arrestation de plusieurs bolchéviks, s’était modifiée et les éléments hésitants purent faire voter des décisions antiléninistes. C’est ainsi qu’au cours de cette assemblée plénière, on décida de cesser la publication du journal bolchévik Prolétari et d’octroyer une aide financière au journal Pravda, édité par Trotski à Vienne. Kaménev entra dans la rédaction du journal de Trotski ; avec Zinoviev, ils entendaient faire de cette feuille l’organe du Comité central.
Ce n’est que sur les instances de Lénine que l’assemblée plénière du Comité central de janvier adopta une décision condamnant le courant de liquidation et l’otzovisme ; mais cette fois encore, Zinoviev et Kaménev appuyèrent la proposition de Trotski demandant que les liquidateurs ne fussent pas désignés par leur vrai nom.
Il advint ce qu’avait prévu Lénine, ce contre quoi il avait mis en garde : les bolchéviks furent les seuls à se soumettre à la décision de l’assemblée plénière du Comité central ; ils cessèrent de publier leur journal Prolétari, tandis que les menchéviks continuèrent à éditer leur Golos social-démokrata [la Voix du social-démocrate], journal de fraction des liquidateurs.
La position de Lénine avait été soutenue sans réserve par le camarade Staline, qui publia dans le no 11 du Social-Démocrate un article sur la question. Dans cet article, il condamnait la conduite des auxiliaires du trotskisme, affirmait la nécessité de redresser la situation anormale qui s’était crée dans la fraction bolchévique par suite de la conduite traîtresse de Kaménev, Zinoviev, Rykov. L’article formulait les tâches immédiates, qui furent réalisées p. 153plus tard à la conférence du Parti à Prague : convocation d’une conférence générale du Parti, publication d’un journal légal et création d’un centre pratique illégal du Parti, en Russie. L’article du camarade Staline s’inspirait des décisions du Comité de Bakou, qui soutenait sans réserve Lénine.
Pour faire échec au bloc d’août dirigé par Trotski contre le Parti, bloc qui groupait uniquement les éléments hostiles au Parti, depuis les liquidateurs et les trotskistes jusqu’aux otzovistes et aux « constructeurs de Dieu », on créa un bloc comprenant les partisans du maintien et de la consolidation du Parti illégal du prolétariat. Entrèrent dans ce bloc les bolchéviks, Lénine en tête, et un petit nombre de « menchéviks-partiitsy » avec Plékhanov à leur tête. Celui-ci et son groupe de « menchéviks-partiitsy », tout en restant pour une série de questions sur les positions menchéviques, se désolidarisèrent résolument du bloc d’Août et des liquidateurs ; ils recherchèrent une entente avec les bolchéviks. Lénine accepta la proposition de Plékhanov et fit provisoirement bloc avec lui contre les éléments hostiles au Parti ; ce faisant, il partait du point de vue qu’un tel bloc était avantageux au Parti et néfaste aux liquidateurs.
Le camarade Staline donna à ce bloc son appui entier. Il était à ce moment déporté. Il écrivit dans une lettre à Lénine :
À mon avis, la ligne du bloc (Lénine-Plékhanov) est la seule juste : 1o elle, et elle seule, répond aux véritables intérêts du travail en Russie, intérêts qui exigent le groupement de tous les éléments véritablement fidèles au Parti ; 2o elle, et elle seule, accélère le processus d’affranchissement des organisations légales du joug des liquidateurs, en creusant un abîme entre les ouvriers-méki1 et les liquidateurs, en dispersant et en brisant ces derniers.
Grâce à l’action clandestine heureusement combinée avec le travail légal, les bolchéviks purent devenir une force sérieuse dans les organisations ouvrières légales. Témoin, entre autres, la sérieuse influence que les bolchéviks exercèrent sur les groupes ouvriers de quatre congrès légaux — ceux des universités populaires, des femmes, des médecins d’usine et du mouvement anti-alcoolique — qui se tinrent à cette époque. Les interventions des bolchéviks dans ces congrès légaux prirent une grande importance p. 154politique ; elles eurent du retentissement dans le pays entier. C’est ainsi que, prenant la parole au congrès des universités populaires, la délégation ouvrière bolchévique dénonça la politique du tsarisme qui étouffait tout travail culturel ; elle s’attacha à démontrer que sans liquider le tsarisme, on ne pouvait songer à un véritable essor culturel dans le pays. En intervenant au congrès des médecins d’usine, la délégation ouvrière exposa les horribles conditions antihygiéniques dans lesquelles les ouvriers étaient obligés de travailler et de vivre ; elle conclut qu’on ne saurait organiser convenablement les services médicaux d’usine sans renverser le régime tsariste.
Les bolchéviks supplantèrent peu à peu les liquidateurs dans les différentes organisations légales qui avaient survécu. La tactique originale de front unique avec le groupe Plékhanov fidèle au Parti, leur permit de conquérir une série d’organisations ouvrières menchéviques (quartier de Vyborg, Iékatérinoslav, etc.).
En cette période difficile, les bolchéviks ont montré comment il faut allier le travail légal au travail illégal.