Dominique Meeùs
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Lénine n’avait pu assister au Ier congrès du P.O.S.D.R.. Il se trouvait alors en Sibérie, déporté dans le village de Chouchenskoïé, où le gouvernement tsariste l’avait relégué après l’avoir longtemps gardé en prison à Pétersbourg pour l’affaire de l’ « Union de lutte ».
Mais, même en exil, Lénine continuait son activité révolutionnaire. C’est là qu’il termina son grand ouvrage scientifique Le développement du capitalisme en Russie, livre qui acheva la déroute idéologique du populisme. C’est là aussi qu’il écrivit sa brochure fameuse Les tâches des social-démocrates russes.
Bien qu’isolé de l’action révolutionnaire pratique et directe, Lénine avait su conserver certaines relations avec les militants ; du lieu de déportation où il se trouvait, il entretenait une correspondance avec eux, leur demandait des renseignements, leur prodiguait des conseils. Ce qui préoccupait surtout Lénine à cette époque, c’était la question des « économistes ». Il comprenait mieux que tout autre que l’ « économisme » était le noyau central de la politique de conciliation, de l’opportunisme ; que la victoire de l’ « économisme » dans le mouvement ouvrier signifierait la ruine du mouvement révolutionnaire du prolétariat, la défaite du marxisme.
Et Lénine attaqua les « économistes » dès leur apparition.
Les « économistes » prétendaient que les ouvriers devaient mener uniquement la lutte économique ; quant à la lutte politique, il fallait en laisser le soin à la bourgeoisie libérale, que les ouvriers p. 27devaient soutenir. Lénine considérait cette propagande des « économistes » comme un reniement du marxisme, une négation de la nécessité, pour la classe ouvrière, d’avoir un parti politique indépendant, une tentative de transformer la classe ouvrière en un appendice politique de la bourgeoisie.
En 1899, un groupe d’ « économistes » (Prokopovitch, Kouskova et autres, passés plus tard aux cadets) lancèrent un manifeste dans lequel ils affirmaient contre le marxisme révolutionnaire et exigeaient que l’on renonçât à la création d’un parti politique prolétarien indépendant, que l’on renonçât aux revendications politiques indépendantes formulées par la classe ouvrière. Les « économistes » estimaient que la lutte politique était l’affaire de la bourgeoisie libérale, pour ce qui est des ouvriers, c’était bien assez qu’ils mènent a lute économique contre les patrons.
Quand il eut pris connaissance de ce document opportuniste, Lénine convoqua une conférence des déportés marxistes qui se trouvaient dans le voisinage ; et 17 camarades, Lénine en tête, formulèrent une protestation — réquisitoire contre le point de vue de « économistes ».
Cette protestation, rédigée par Lénine, fut diffusée dans les organisations marxistes, par toute la Russie ; elle eut une importance énorme pour le développement de la pensée marxiste et du parti marxiste en ce pays.
Les « économistes » russes prêchaient les mêmes idées que les adversaires du marxisme dans les partis social-démocrates de l’étranger, ceux que l’on appelait les bernsteiniens, c’est-à-dire les partisans de l’opportuniste Bernstein.
Ainsi la lutte de Lénine contre les « économistes » était-elle en même temps une lutte contre l’opportunisme international.
Ce fut principalement le journal illégal Iskra, fondé par Lénine, qui mena la lutte contre l’ « économisme », pour la création d’un parti politique prolétarien indépendant.
Au début de 1900, Lénine et les autres membres de l’ « Union de lutte » rentraient en Russie, retour de leur déportation en Sibérie. Lénine avait conçu le projet de fonder un grand journal marxiste illégal pour toute la Russie. Les nombreux petits cercles et organisations marxistes qui existaient déjà en Russie n’étaient pas encore liés entre eux. Au moment où, selon l’expression du camarade Staline, « le travail à la mode artisanale et par cercles isolés rongeait le Parti du haut en bas ; où le désarroi idéologique était le trait caractéristique de la vie intérieure du Parti », la création d’un journal illégal pour toute la Russie p. 28apparaissait aux marxistes révolutionnaires russes comme une tâche essentielle. Seul ce journal pouvait lier entre elles les organisations marxistes disséminées et préparer la création d’un parti véritable.
Mais il était impossible d’organiser un pareil journal dans la Russie tsariste, à cause des persécutions policières. Au bout d’un ou deux mois, le journal aurait été repéré par les limiers du tsar et mis à sac. Aussi Lénine avait-il décidé de l’éditer à l’étranger. Imprimé sur un papier très fin et très solide, le journal était secrètement introduit en Russie. Tels numéros de l’Iskra étaient réimprimés dans des typographies clandestines à Bakou, à Kichinev, en Sibérie.
À l’automne 1900, Vladimir Ilitch Lénine se rendit à l’étranger pour s’y entendre avec les camarades du groupe « Libération du Travail » au sujet de l’édition d’un journal politique pour toute la Russie. Cette idée, Lénine l’avait mûrie dans tous ses détails, en exil. Alors qu’il rentrait de Sibérie, il avait organisé une série de conférences à Oufa, Pskov, Moscou, Pétersbourg. Il s’était entendu partout avec les camarades au sujet d’un code chiffré pour la correspondance secrète, au sujet des adresses pour l’envoi de la littérature du parti, etc., et partout il avait discuté le plan de la lutte à venir.
Le gouvernement tsariste se rendait compte qu’il avait en Lénine un ennemi extrêmement dangereux. Le gendarme Zoubatov, agent de l’Okhrana tsariste1, a écrit dans sa correspondance secrète : « Aujourd’hui, il n’y a pas plus grand qu’Oulianov [Lénine] dans la révolution. » Aussi estimait-il opportun d’organiser l’assassinat de Lénine.
Une fois à l’étranger, Lénine s’entendit avec le groupe « Libération du Travail », c’est-à-dire avec Plékhanov, Axelrod et V. Zassoulitch, sur la publication en commun de l’Iskra. Le plan d’édition fut établi d’un bout à l’autre par Lénine.
En décembre 1900, paraissait à l’étranger le premier numéro du journal Iskra [l’Etincelle]. Sous le titre du journal, on lisait cette épigraphe : « De l’étincelle jaillira la flamme » — emprunt à la réponse des décembristes2 au poète Pouchkine, qui leur avait adressé un message de salutations en Sibérie où ils étaient déportés.
p. 29Plus tard, en effet, de l’Iskra allumée par Lénine, a jailli la flamme du grand incendie révolutionnaire qui a réduit en cendres la monarchie tsariste des nobles et des grands propriétaires fonciers, ainsi que le pouvoir de la bourgeoisie.