Dominique Meeùs
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Manuscrits de 44 — Troisième manuscrit

[Propriété privée et communisme. Stades de développement des conceptions communistes. Le communisme grossier et égalitaire. Le communisme en tant que socialisme.]

En français, je corrige (ici ainsi que plus loin) « homme » en « humain » quand, selon l’allemand, c’est l’être humain en général et pas le seul mâle. Ce n’est pas très élégant, mais sans cela, dans le texte des Éditions sociales, ce passage est incompréhensible. L’anglais présente le même problème que le français. Je ne corrige pas, mais je marque en rouge le masculin utilisé non comme mâle mais comme « neutre », c’est-à-dire ces occurrences grammaticalement correctes mais trompeuses. Il arrive régulièrement qu’on accuse Marx, injustement, de masculinisme, alors qu’il s’agit seulement d’un masculin grammatical (comme « l’ouvrier » face « au capitaliste ») ou, comme ici en français et en anglais, d’une pauvreté de la traduction (à cause d’une pauvreté du français et de l’anglais comparés à l’allemand et au néerlandais).

Passage très « philosophique », donc difficile pour moi, sur cette relation primordiale pour nous, entre les hommes et les femmes, sur la nature et notre nature1. Outre sa difficulté intrinsèque, je ne comprends pas bien ce qu’il vient faire là, au milieu de la discussion d’un communisme « grossier ». Est-ce un excursus, une réflexion générale en passant ? Est-ce moins général qu’il n’y paraît lorsqu’on cite hors contexte ? Est-ce que la « dégradation » du début rattacherait ce passage au « communisme grossier » ? Est-ce que la seule première phrase est liée à ce contexte, la suite s’élevant à la généralité ?

Mots-clefs : ❦ industrie, intervention des sciences de la nature ❦ industrie, rapport historique réel de la nature avec l’homme ❦ une seule science, de la nature et de l’homme ❦ réalité sociale de la nature

manuscrits44p86-87

p. 95Les sciences de la nature ont déployé une énorme activité et ont fait leur un matériel qui va grandissant. Cependant la philosophie leur est restée tout aussi étrangères qu’elles sont restées étrangères à la philosophie. […] Les historiens eux-mêmes ne se réfèrent aux sciences de la nature qu’en passant, comme à un moment du développement des lumières, d’utilité, qu’illustrent quelques grandes découvertes. Mais par le moyen de l’industrie, les sciences de la nature sont intervenues d’autant plus pratiquement dans la vie humaine et l’ont transformée et ont préparé l’émancipation humaine, bien qu’elles aient dû parachever directement la déshumanisation. L’industrie est le rapport historique réel de la nature, et par suite des sciences de la nature, avec l’homme ; si donc on la saisit comme une révélation exotérique des forces essentielles de l’homme, on comprend aussi l’essence humaine de la nature ou l’essence naturelle de l’homme ; en conséquence les sciences de la nature perdront leur orientation abstraitement matérielle ou plutôt idéaliste et deviendront la base de la science humaine, comme elles sont déjà devenues — quoique sous une forme aliénée — la base de la vie réellement humaine ; dire qu’il y a une base pour la vie et une autre pour la science est de prime abord un mensonge. […] L’histoire elle-même est une partie réelle de l’histoire de la nature, de la transformation de la nature en homme. Les sciences de la nature comprendront plus tard aussi bien la science de l’homme, que la science de l’homme englobera les sciences de la nature : il y aura une seule science.

L’homme est l’objet immédiat des sciences de la nature ; car la nature sensible immédiate pour l’homme est directement le monde sensible humain (expression identique) ; elle est immédiatement l’homme autre qui existe concrètement pour lui ; car son propre monde sensible n’est que grâce à l’autre homme monde sensible humain pour lui-même. Mais la nature est l’objet immédiat de la science de l’homme. Le premier objet de l’homme — l’homme — est nature, monde sensible, et les forces essentielles particulières et concrètes de l’homme, ne trouvant leur réalisation objective que dans les objets naturels, ne peuvent parvenir à la connaissance de soi que dans la science de la nature en général. L’élément de la pensée elle-même, l’élément de la manifestation vitale de la pensée, le langage est de nature concrète. La réalité sociale de la nature et les sciences naturelles humaines ou les sciences naturelles de l’homme sont des expressions identiques.

Mots-clefs : ❦ créationnisme, dans la conscience populaire ❦ géognosie, réfute le créationnisme

p. 97Un être ne commence à se tenir pour indépendant que dès qu’il est son propre maître, et il n’est son propre maître que lorsqu’il doit son existence à soi-même. Un homme qui vit de la grâce d’un autre se considère comme un être dépendant. Mais je vis entièrement de la grâce d’un autre, si non seulement je lui dois l’entretien de ma vie, mais encore si en outre il a créé ma vie, s’il en est la source, et ma vie a nécessairement un semblable fondement en dehors d’elle si elle n’est pas ma propre création. C’est pourquoi la création est une idée très difficile à chasser de la conscience populaire. Le fait que la nature et l’homme sont par eux-mêmes lui est incompréhensible, parce qu’il contredit toutes les évidences de la vie pratique.

p. 98La création de la terre a été puissamment ébranlée par la géognosie, c’est-à-dire par la science qui représente la formation du globe, le devenir de la terre, comme un processus, un auto-engendrement. La génération spontanée est la seule réfutation pratique de la théorie de la création.

À propos de géognosie, l’édition de Moscou en anglais donne la note :

This expression apparently refers to the theory of the English geologist Sir Charles Lyell who, in his three-volume work The Principles of Geology (1830-33), proved the evolution of the earth’s crust and refuted the popular theory of cataclysms. Lyell used the term “historical geology” for his theory. The term “geognosy” was introduced by the 18th-century German scientist Abraham Werner, a specialist in mineralogy, and it was used also by Alexander Humboldt.

Marx, Economic and Philosophic Manuscripts of 1844, Progress Publishers, Moscow 1959.
[Signification des besoins humains dans le régime de la propriété privée et sous le socialisme. Différence entre la richesse dissipatrice et la richesse industrielle, division du travail dans la société bourgeoise.]

Mots-clefs : ❦ économie politique classique ❦ consommation de luxe ❦ épargne ❦ travail ❦ richesse ❦ Lauderdale ❦ Malthus ❦ Say ❦ Ricardo

Certes il s’élève maintenant une controverse sur le terrain économique. Les uns (Lauderdale, Malthus, etc.) recommandent le luxe et maudissent l’épargne ; les autres (Say, Ricardo, etc.) recommandent l’épargne et maudissent le luxe. Mais les premiers avouent qu’ils veulent le luxe pour produire le travail (c’est-à-dire l’épargne absolue) ; les autres avouent qu’ils recommandent l’épargne pour produire la richesse, c’est-à-dire le luxe.

1962:103

[Geld] — [The power of money]

De nouveau, on bute sur la pauvreté du français et de l’anglais où homme et man peuvent désigner un être humain en général ou seulement le mâle de l’espèce. En anglais, on a parfois contourné la difficulté avec person. J’adopte cela pour corriger (ici sans marquer ma correction) le français des Éditions sociales.

[Critique de la dialectique de Hegel et de sa philosophie en général]

Mots-clefs : ❦ nature, rien pour l’homme, selon Hegel

Notes
1.
Selon Heather Brown (Brown 2012:28), naturel veut dire ici tantôt seulement biologique, tantôt ordinaire, habituel — y compris la dimension culturelle.