Dominique Meeùs
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Le Manifeste a été écrit en allemand à Bruxelles 1 en décembre 1847 et en janvier 1848 pour La Ligue des communistes à Londres (en allemand : Bund der Kommunisten). La Ligue avait bien une vocation internationale, mais ne regroupait alors que des cercles d’ouvriers allemands, à Bruxelles, à Londres et ailleurs. La brochure a été publiée à Londres en allemand en février 1848. Elle aurait été, encore en 1848, traduite et publiée en polonais (?), danois, « flamand » et suédois. On en aurait fait aussi la même année des traductions en français, italien et espagnol, mais qui n’ont pas été publiées alors. Cependant Marx et Engels mentionnent une publication en français « peu de temps avant l’insurrection de juin 1848 ». Diverses présentations se contredisent sur les éditions. Elle a été traduite et publiée en anglais en 1850 et en russe, à Genève, en 1869. Une réédition allemande en 1872 mentionne pour la première fois (sauf la version anglaise de 1850) le nom des auteurs 2.
Je note ici quelques éditions que je vois mentionnées :
Wikisource propose plusieurs éditions du Manifest der Kommunistischen Partei
Wikisource donne encore deux autres éditions (1897 et 1901) du Manifeste.
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Die Geschichte aller bisherigen Gesellschaft ist die Geschichte von Klassenkämpfen.
Freier und Sklave, Patrizier und Plebejer, Baron und Leibeigener, Zunftbürger und Gesell, kurz, Unterdrücker und Unterdrückte standen in stetem Gegensatz zueinander, führten einen ununterbrochenen, bald versteckten, bald offenen Kampf, einen Kampf, der jedesmal mit einer revolutionären Umgestaltung der ganzen Gesellschaft endete oder mit dem gemeinsamen Untergang der kämpfenden Klassen.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:28. L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot, oppresseur et opprimé, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée ; une guerre qui finissait toujours ou par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou par la destruction des deux classes en lutte.
De geschiedenis van iedere maatschappij tot nu toe is de geschiedenis van de klassenstrijd.
Vrije en slaaf, patriciër en plebejer, baron en lijfeigene, gildemeester en gezel, kortom onderdrukkers en onderdrukten stonden in voortdurende tegenstelling tot elkaar, voerden een onafgebroken, nu eens bedekte dan weer open strijd, een strijd die ieder keer eindigde met een revolutionaire omvorming van de gehele maatschappij of met de gemeenschappelijke ondergang van de strijdende klassen.
The history of all hitherto existing society is the history of class struggles.
Freeman and slave, patrician and plebeian, lord and serf, guild-master and journeyman, in a word, oppressor and oppressed, stood in constant opposition to one another, carried on an uninterrupted, now hidden, now open fight, a fight that each time ended, either in a revolutionary re-constitution of society at large, or in the common ruin of the contending classes.
La lutte entre « oppresseurs et opprimés » se termine « ou par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou par la destruction des deux classes en lutte ». Marx et Engels ne disent pas ici que toujours les opprimés ont renversé les oppresseurs. On a connu au milieu du 17e siècle une guerre civile où la bourgeoisie d’Angleterre a dans une certaine mesure imposé son pouvoir (même si c’est dans un compromis avec la royauté et l’aristocratie). Déjà au début du 17e, les commerçants hollandais avaient profité de la trêve de 1609 avec l’Espagne pour imposer leur prépondérance dans les Provinces Unies. On ne peut pas dire que c’était clairement opprimés contre oppresseurs. Ce n'est pas clair non plus à la fin du 18e siècle en France dans une révolution violente (suivie d’un siècle d’ajustements de la révolution). Après Marx et Engels, en octobre 1917, le prolétariat de Russie a renversé la bourgeoisie. C’est cette histoire récente de révolutions que Mao résume par « une classe en renverse une autre ».
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:28-29. Il y a toujours des classes, mais elles sont spécifiques à chaque époque.
In den früheren Epochen der Geschichte finden wir fast überall eine vollständige Gliederung der Gesellschaft in verschiedene Stände, eine mannigfaltige Abstufung der gesellschaftlichen Stellungen. Im alten Rom haben wir Patrizier, Ritter, Plebejer, Sklaven; im Mittelalter Feudalherren, Vasallen, Zunftbürger, Gesellen, Leibeigene, und noch dazu in fast jeder dieser Klassen wieder besondere Abstufungen.
Dans les époques historiques antérieures, nous constatons presque partout une division hiérarchique de la société en différents états, une échelle graduée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens et des esclaves ; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs ; et, dans chacune de ces classes, encore en plus, des gradations spéciales.
In de vroegere tijdperken van de geschiedenis vinden wij bijna overal een volledige verdeling van de maatschappij in verschillende standen, een veelvoudige trap van maatschappelijke rangen. In het oude Rome hebben wij patriciërs, ridders, plebejers, slaven; in de middeleeuwen leenheren, vazallen, gildemeesters, gezellen, lijfeigenen en bovendien in bijna ieder van deze klassen nog bijzondere rangschikkingen.
In the earlier epochs of history, we find almost everywhere a complicated arrangement of society into various orders, a manifold gradation of social rank. In ancient Rome we have patricians, knights, plebeians, slaves; in the Middle Ages, feudal lords, vassals, guild-masters, journeymen, apprentices, serfs; in almost all of these classes, again, subordinate gradations.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:29. La forme spécifique du capitalisme oppose comme classes la bourgeoisie au prolétariat.
Die aus dem Untergang der feudalen Gesellschaft hervorgegangene moderne bürgerliche Gesellschaft hat die Klassengegensätze nicht aufgehoben. Sie hat nur neue Klassen, neue Bedingungen der Unterdrückung, neue Gestaltungen des Kampfes an die Stelle der alten gesetzt.
Unsere Epoche, die Epoche der Bourgeoisie, zeichnet sich jedoch dadurch aus, daß sie die Klassengegensätze vereinfacht hat. Die ganze Gesellschaft spaltet sich mehr und mehr in zwei große feindliche Lager, in zwei große, einander direkt gegenüberstehende Klassen: Bourgeoisie und Proletariat.
La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer aux anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte.
Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l’ère de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.
De uit de ondergang van de feodale maatschappij voortgekomen moderne burgerlijke maatschappij heeft de klassentegenstellingen niet opgeheven. Zij heeft slechts nieuwe klassen, nieuwe voorwaarden van onderdrukking, nieuwe vormen van strijd in de plaats van de oude gesteld.
Ons tijdvak, het tijdvak van de bourgeoisie, kenmerkt zich evenwel hierdoor dat het de klassentegenstellingen vereenvoudigd heeft. De gehele maatschappij splitst zich meer en meer in twee grote vijandelijke kampen, in twee grote lijnrecht tegenover elkaar staande klassen: bourgeoisie en proletariaat.
The modern bourgeois society that has sprouted from the ruins of feudal society has not done away with class antagonisms. It has but established new classes, new conditions of oppression, new forms of struggle in place of the old ones.
Our epoch, the epoch of the bourgeoisie, possesses, however, this distinct feature: it has simplified class antagonisms. Society as a whole is more and more splitting up into two great hostile camps, into two great classes directly facing each other — Bourgeoisie and Proletariat.
Die moderne Staatsgewalt ist nur ein Ausschuß, der die gemeinschaftlichen Geschäfte der ganzen Bourgeoisklasse verwaltet.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:30-31. L’appareil d’État moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise dans son ensemble.
De moderne staatsmacht is slechts een comité dat de gemeenschappelijke zaken van de gehele burgerklasse beheert.
The executive of the modern state is but a committee for managing the common affairs of the whole bourgeoisie.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:31. Le capitalisme casse tout ce qui existait avant (même le partriarcat).
Die Bourgeoisie hat in der Geschichte eine höchst revolutionäre Rolle gespielt.
Die Bourgeoisie, wo sie zur Herrschaft gekommen, hat alle feudalen, patriarchalischen, idyllischen Verhältnisse zerstört. Sie hat die buntscheckigen Feudalbande, die den Menschen an seinen natürlichen Vorgesetzten knüpften, unbarmherzig zerrissen und kein anderes Band zwischen Mensch und Mensch übriggelassen als das nackte Interesse, als die gefühllose „bare Zahlung“. Sie hat die heiligen Schauer der frommen Schwärmerei, der ritterlichen Begeisterung, der spießbürgerlichen Wehmut in dem eiskalten Wasser egoistischer Berechnung ertränkt.
La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens féodaux hétéroclites qui unissaient l’homme à ses supérieurs naturels, elle les a impitoyablement déchirés pour ne laisser d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que l’intérêt nu, que l’argent comptant insensible. Elle a noyé les saints épanchements d’extase religieuse, d’enthousiasme chevaleresque, de mélancolie philistine dans les eaux glacées du calcul égoïste.
De bourgeoisie heeft in de geschiedenis een hoogst revolutionaire rol gespeeld.
De bourgeoisie heeft, waar zij tot de heerschappij is gekomen, alle feodale, aartsvaderlijke, idyllische verhoudingen vernield. Zij heeft de bontgeschakeerde feodale banden, die de mens aan de van nature boven hem geplaatste verbonden, onbarmhartig verscheurd en geen andere band tussen mens en mens overgelaten dan het naakte eigenbelang, dan de gevoelloze ‘contante betaling’. Zij heeft de heilige siddering van de vrome dweperij, van de ridderlijke geestdrift, van de kleinburgerlijke weemoed in het ijskoude water van egoïstische berekening verdronken.
The bourgeoisie, historically, has played a most revolutionary part.
The bourgeoisie, wherever it has got the upper hand, has put an end to all feudal, patriarchal, idyllic relations. It has pitilessly torn asunder the motley feudal ties that bound man to his “natural superiors”, and has left remaining no other nexus between man and man than naked self-interest, than callous “cash payment”. It has drowned the most heavenly ecstasies of religious fervour, of chivalrous enthusiasm, of philistine sentimentalism, in the icy water of egotistical calculation.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:32. Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de croyances et d’idées admises et vénérées se dissolvent ; celles qui les remplacent deviennent surannées avant de se cristalliser. Tout ce qui était solide et stable est ébranlé, tout ce qui était sacré est profané ; et les hommes sont forcés, enfin, d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux dégrisés.
Par ailleurs, le monde devient un village.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:33. À la place de l’ancien isolement des nations se suffisant à elles-mêmes se développe un trafic universel, une interdépendance des nations. Et ce qui est vrai pour la production matérielle s’applique à la production intellectuelle. Les productions intellectuelles d’une nation deviennent la propriété commune de toutes. L’étroitesse et l’exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles […]
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:36. On pourrait dire que l’humanité avait été seulement dans l’enfance et (trois ou quatre derniers millénaires, peut-être) l’adolescence. Le capitalisme est le début de l’âge adulte de l’Homo sapiens. Avant cela, un changement volontaire de la société ne pouvait être qu’utopie. Le capitalisme ouvre à l’humanité, pour la première fois, la possibilité de prendre son sort en main consciemment, « avec des yeux dégrisés ». Ceux qui peuvent le faire, ce sont les prolétaires.
Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui doivent lui donner la mort : elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes —— les ouvriers modernes, les prolétaires.
In demselben Maße, worin sich die Bourgeoisie, d.h. das Kapital, entwickelt, in demselben Maße entwickelt sich das Proletariat, die Klasse der modernen Arbeiter, die nur so lange leben, als sie Arbeit finden, und die nur so lange Arbeit finden, als ihre Arbeit das Kapital vermehrt.
Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui doivent lui donner la mort : elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes —— les ouvriers modernes, les prolétaires.
À mesure que se développe la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe dans la même mesure le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne survivent que tant qu’ils trouvent du travail et qui n’en trouvent que tant que leur travail accroît le capital.
Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui doivent lui donner la mort : elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes —— les ouvriers modernes, les prolétaires.
In dezelfde mate waarin de bourgeoisie, d.i. het kapitaal, zich ontwikkelt, in dezelfde mate ontwikkelt zich het proletariaat, de klasse van de moderne arbeiders, die slechts zo lang leven als zij werk vinden, en die slechts zo lang werk vinden, als hun werk het kapitaal vermeerdert.
Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui doivent lui donner la mort : elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes —— les ouvriers modernes, les prolétaires.
In proportion as the bourgeoisie, i.e., capital, is developed, in the same proportion is the proletariat, the modern working class, developed — a class of labourers, who live only so long as they find work, and who find work only so long as their labour increases capital.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:34. Les rapports sociaux de la féodalité ont cessé de correspondre aux forces productives :
Wir haben also gesehn: Die Produktions- und Verkehrsmittel, auf deren Grundlage sich die Bourgeoisie heranbildete, wurden in der feudalen Gesellschaft erzeugt. Auf einer gewissen Stufe der Entwicklung dieser Produktions- und Verkehrsmittel entsprachen die Verhältnisse, worin die feudale Gesellschaft produzierte und austauschte, die feudale Organisation der Agrikultur und Manufaktur, mit einem Wort die feudalen Eigentumsverhältnisse den schon entwickelten Produktivkräften nicht mehr. Sie hemmten die Produktion, statt sie zu fördern. Sie verwandelten sich in ebenso viele Fesseln. Sie mußten gesprengt werden, sie wurden gesprengt.
Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d’échange qui ont servi de base au développement de la bourgeoisie furent créés au sein de la société féodale. À un certain degré du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot, les rapports féodaux de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives nouvellement développées. Ils entravaient la production au lieu de la favoriser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. On les brisa.
We hebben dus gezien: De productie- en verkeersmiddelen, op welker grondslag de bourgeoisie zich ontwikkelde, werden in de feodale maatschappij geschapen. Op een zekere trap van de ontwikkeling van deze productie- en verkeersmiddelen stemden de verhoudingen, waarin de feodale maatschappij produceerde en ruilde, de feodale organisatie van landbouw en manufactuur, met één woord de feodale eigendomsverhoudingen, niet meer overeen met de reeds ontwikkelde productiekrachten. Zij hielden de productie tegen, in plaats van ze te bevorderen. Zij veranderden in even zo vele boeien. Zij moesten verscheurd worden, zij werden verscheurd.
We see then: the means of production and of exchange, on whose foundation the bourgeoisie built itself up, were generated in feudal society. At a certain stage in the development of these means of production and of exchange, the conditions under which feudal society produced and exchanged, the feudal organisation of agriculture and manufacturing industry, in one word, the feudal relations of property became no longer compatible with the already developed productive forces; they became so many fetters. They had to be burst asunder; they were burst asunder.
Ces idées sont reprises (mais de manière encore plus elliptique, non développées) dans la Préface de la Contribution à la critique de l’économie politique (1859).
On voit se dessiner une situation semblable où les rapports de production deviennent une entrave :
Sous nos yeux il se produit un phénomène analogue. La société bourgeoise moderne, qui a mis en mouvement de si puissants moyens de production et d’échange, ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. Depuis trente ans au moins, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est que l’histoire de la révolte des forces productives contre les rapports de propriété qui sont les conditions d’existence de la bourgeoisie et de son règne. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, mettent de plus en plus en question l’existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé un paradoxe s’abat sur la société — l’épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement rejetée dans un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui coupent tous les moyens de subsistance ; l’industrie et le commerce semblent annihilés. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le développement des conditions de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces conditions qui se tournent en entraves ; et toutes les fois que les forces productives sociales s’affranchissent de ces entraves, elles précipitent dans le désordre la société tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein.
Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part, par la destruction forcée d’une masse de forces productives ; d’autre part, par la conquête de nouveaux marchés et l’exploitation plus parfaite des anciens. C’est-à-dire qu’elle prépare des crises plus générales et plus formidables et diminue les moyens de les prévenir.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:33. Sur le rapport des villes et de la campagne :
Die Bourgeoisie hat das Land der Herrschaft der Stadt unterworfen. Sie hat enorme Städte geschaffen, sie hat die Zahl der städtischen Bevölkerung gegenüber der ländlichen in hohem Grade vermehrt und so einen bedeutenden Teil der Bevölkerung dem Idiotismus des Landlebens entrissen. Wie sie das Land von der Stadt, hat sie die barbarischen und halbbarbarischen Länder von den zivilisierten, die Bauernvölker von den Bourgeoisvölkern, den Orient vom Okzident abhängig gemacht.
La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d’énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celle des campagnes et, par là, elle a préservé une grande partie de la population de l’idiotisme de la vie des champs. De même qu’elle a subordonné la campagne à la ville, les nations barbares ou demi-civilisées aux nations civilisées, elle a subordonné les peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l’Orient à l’Occident.
De burgerij heeft het land aan de heerschappij van de stad onderworpen. Zij heeft enorme steden geschapen; zij heeft de stedelijke bevolking sterk doen aangroeien tegenover de plattelandsbevolking en zo een belangrijk deel van de bevolking aan de afstomping van het landleven ontrukt. Zoals zij het land afhankelijk heeft gemaakt van de stad, zo heeft zijn de barbaarse en halfbarbaarse landen van de beschaafde, de boerenvolken van de bourgeoisvolken, het Oosten van het Westen afhankelijk gemaakt.
The bourgeoisie has subjected the country to the rule of the towns. It has created enormous cities, has greatly increased the urban population as compared with the rural, and has thus rescued a considerable part of the population from the idiocy of rural life. Just as it has made the country dependent on the towns, so it has made barbarian and semi-barbarian countries dependent on the civilised ones, nations of peasants on nations of bourgeois, the East on the West.
Ici se pose un problème d’interprétation. Il s’agit de comprendre ce que Marx et Engels ont voulu dire et accessoirement ce que les traducteurs ont compris et comment ils l’ont rendu, avec les mots (dans l’ordre des langues ci-dessus), « Idiotismus », « idiotisme », « afstomping », « idiocy ». Certains commentateurs font remarquer que du point de vue de l’étymologie (du grec), idiot veut dire privé, isolé. Ce sens était encore vivant en allemand à l’époque, et plus encore dans l’esprit de Marx qui venait d’écrire une thèse sur un philosophe grec. On doit donc supposer que Marx et Engels visaient l’isolement des paysans (et l’étroitesse de vue inévitable dans un tel isolement) — mais non qu’ils méprisaient les paysans. Mon attention à été attirée là-dessus par Κώστας Σκορδούλης (Kostas Skordoulis) le 24 juillet 2013 dans un symposium sur Engels et l’histoire des sciences au 24th International Congress of History of Science, Technology and Medicine à Manchester. J’ai alors trouvé une note des éditeurs de Monthly Review qui cite sur ce point une analyse de Hal Draper, The Adventures of the Communist Manifesto, Center for Socialist History, Berkeley, 1998. Pour l’étymologie d’ « idiot », le TLFi donne :
Empr. au lat. class. idiota ou idiotes (adj. en lat. chrét.) « homme qui n’est pas connaisseur, ignorant », gr. ἰδιώτης « simple particulier, homme étranger à telle ou telle spécialité », d’où « ignorant, homme sans éducation ».
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:52. Au passage aussi une considération sur le caractère de classe de l’idéologie : (i) base matérielle ; (ii) de la classe dominante. C’était déjà dans l’Idéologie allemande, plus longuement.
Was beweist die Geschichte der Ideen anders, als daß die geistige Produktion sich mit der materiellen umgestaltet? Die herrschenden Ideen einer Zeit waren stets nur die Ideen der herrschenden Klasse.
Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production spirituelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante.
Wat bewijst de geschiedenis van de ideeën anders dan dat de geestelijke productie zich vervormt met de materiële? De heersende ideeën van een tijd waren altijd slechts de ideeën van de heersende klasse.
What else does the history of ideas prove, than that intellectual production changes its character in proportion as material production is changed? The ruling ideas of each age have ever been the ideas of its ruling class.
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:53-55. Le programme de la révolution : pour en arriver au communisme, le prolétariat doit, dans une étape de transition, prendre le pouvoir et l'imposer, contre le droit bourgeois. C'est ce que plus tard (à partir d'une lettre de 1852 à Joseph Weydemeyer) Marx appellera dictature du prolétariat. Cette nécessaire phase de dictature est donc bien le moyen, indispensable mais limité au temps nécessaire, de mettre fin à toute dictature.
… daß der erste Schritt in der Arbeiterrevolution die Erhebung des Proletariats zur herrschenden Klasse, die Erkämpfung der Demokratie ist.
Das Proletariat wird seine politische Herrschaft dazu benutzen, der Bourgeoisie nach und nach alles Kapital zu entreißen, alle Produktionsinstrumente in den Händen des Staats, d.h. des als herrschende Klasse organisierten Proletariats, zu zentralisieren und die Masse der Produktionskräfte möglichst rasch zu vermehren.
Es kann dies natürlich zunächst nur geschehn vermittelst despotischer Eingriffe in das Eigentumsrecht und in die bürgerlichen Produktionsverhältnisse, durch Maßregeln also, die ökonomisch unzureichend und unhaltbar erscheinen, die aber im Lauf der Bewegung über sich selbst hinaustreiben und als Mittel zur Umwälzung der ganzen Produktionsweise unvermeidlich sind.
[…]
Sind im Laufe der Entwicklung die Klassenunterschiede verschwunden und ist alle Produktion in den Händen der assoziierten Individuen konzentriert, so verliert die öffentliche Gewalt den politischen Charakter. Die politische Gewalt im eigentlichen Sinne ist die organisierte Gewalt einer Klasse zur Unterdrückung einer andern. Wenn das Proletariat im Kampfe gegen die Bourgeoisie sich notwendig zur Klasse vereint, durch eine Revolution sich zur herrschenden Klasse macht und als herrschende Klasse gewaltsam die alten Produktionsverhältnisse aufhebt, so hebt es mit diesen Produktionsverhältnissen die Existenzbedingungen des Klassengegensatzes, die Klassen überhaupt, und damit seine eigene Herrschaft als Klasse auf.
An die Stelle der alten bürgerlichen Gesellschaft mit ihren Klassen und Klassengegensätzen tritt eine Assoziation, worin die freie Entwicklung eines jeden die Bedingung für die freie Entwicklung aller ist.
… la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe régnante, et pour augmenter au plus vite la quantité de forces productives.
Ceci naturellement ne pourra s’accomplir, au début, que par une intervention despotique dans les droits de propriété et dans les rapports de production bourgeois, c'est-à-dire par des mesures qui paraissent économiquement insuffisantes et irréalisables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont inévitables comme moyen de révolutionner le mode de production tout entier.
[…]
Les distinctions de classes une fois disparues dans le cours du développement, et toute la production concentrée dans les mains des individus associés, le pouvoir public perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d’une classe pour l'oppression d’une autre. Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s’il s’érige par une révolution en classe régnante et, comme classe régnante, détruit violemment les anciens rapports de production, il détruit, en même temps que ces rapports de production, les conditions d’existence des antagonismes de classes ; il détruit les classes elles-mêmes et, par là, sa propre domination comme classe.
À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous.
⁂
Manifeste du parti communiste (1848) 1895:58-59. Sur la petite bourgeoisie :
In den Ländern, wo sich die moderne Zivilisation entwickelt hat, hat sich eine neue Kleinbürgerschaft gebildet, die zwischen dem Proletariat und der Bourgeoisie schwebt und als ergänzender Teil der bürgerlichen Gesellschaft stets von neuem sich bildet, deren Mitglieder aber beständig durch die Konkurrenz ins Proletariat hinabgeschleudert werden, ja selbst mit der Entwicklung der großen Industrie einen Zeitpunkt herannahen sehen, wo sie als selbständiger Teil der modernen Gesellschaft gänzlich verschwinden und im Handel, in der Manufaktur, in der Agrikultur durch Arbeitsaufseher und Domestiken ersetzt werden.
Dans les pays où s’est développée la civilisation moderne, il s’est formé une nouvelle classe de petits-bourgeois qui oscillent entre le prolétariat et la bourgeoisie ; partie complémentaire de la société bourgeoise, elle se constitue toujours de nouveau. Mais les individus qui la composent se voient sans cesse précipités dans le prolétariat, par suite de la concurrence, et, qui plus est, avec la marche progressive de la grande production, ils voient approcher l’heure où ils disparaîtront totalement comme fraction indépendante de la société moderne, et où ils seront remplacés dans le commerce, dans la manufacture et dans l’agriculture par des contremaîtres et des serviteurs.
In de landen waar de moderne beschaving zich ontwikkeld heeft, heeft zich een nieuwe kleinburgerij gevormd, die tussen het proletariaat en de bourgeoisie zweeft en als aanvullend gedeelte van de burgerlijke maatschappij zich steeds opnieuw vormt, wier leden evenwel voortdurend door de concurrentie in het proletariaat worden geslingerd, ja zelfs met de ontwikkeling van de grootindustrie een tijdstip zien naderen, waarop zij als zelfstandig gedeelte van de moderne maatschappij verdwijnen en in de handel in de manufactuur, in de landbouw door opzichters en bedienden worden vervangen.
In countries where modern civilisation has become fully developed, a new class of petty bourgeois has been formed, fluctuating between proletariat and bourgeoisie, and ever renewing itself as a supplementary part of bourgeois society. The individual members of this class, however, are being constantly hurled down into the proletariat by the action of competition and, as modern industry develops, they even see the moment approaching when they will completely disappear as an independent section of modern society, to be replaced in manufactures, agriculture and commerce, by overlookers, bailiffs and shopmen.
La définition est elliptique. Cette « nouvelle » classe, ce seraient les successeurs modernes des petits-bourgeois et des petits paysans du Moyen Âge, c’est-à-dire encore des travailleurs indépendants.