Dominique Meeùs, retour à la page des classiques du marxisme
Dernière modification le  

Lecture de Mao Tsé-toung

(Dans l’orthographe du temps de mes voyages en Chine en 1967 et en 1970. On écrit maintenant Mao Zedong.)

Rapport sur l'enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan

1927

Œuvres choisies, tome 1, p. 27.

Deuxièmement, la révolution n'est ni un dîner de gala ni une œuvre littéraire, ni un dessin ni une borderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquilité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. (Repris dans le Petit livre rouge, p. 13.)

La première phrase est une réponse à ceux qui reprochent à la révolution à la campagne ses « excès ». La deuxième définit la révolution. Elle n’est pas le tout du matérialisme historique.

Soucions-nous davantage des conditions de vie des masses et portons plus d’attention à nos méthodes de travail

2e congrès national des délégués des ouvriers et des paysans, 27 janvier 1934.

Œuvres choisies, tome 1, pp 163‑168.

Il ne suffit pas de fixer les tâches, il faut encore résoudre le problème des méthodes qui permettent de les accomplir. Supposons que notre tâche soit de traverser une rivière ; nous n’y arriverons pas si nous n’avons ni pont ni bateau. Tant que la question du pont ou du bateau n’est pas résolue, à quoi bon parler de traverser la rivière ? Tant que la question des méthodes n’est pas résolue, discourir sur les tâches n’est que bavardage inutile.

De la contradiction

Conférence à l’École militaire et politique antijaponaise de Yenan, août 1937.

Œuvres choisies, tome 1, pp 348‑387.

348I. Les deux conceptions du monde

« Le mode de pensée métaphysique [est] propre à la conception idéaliste du monde », mais aussi au « matérialisme mécaniste ». Face à cela :

Les sous-titres de ce niveau sont de moi.

Voir les choses dans leur mouvement propre et dans leurs relations

349la conception matérialiste-dialectique veut que l’on parte dans l’étude du développement d’une chose ou d’un phénomènene, de son contenu interne, de ses relations avec d’autres choses ou d’autres phénomènes, c’est-à-dire que l’on considère le développement des choses ou des phénomènes comme leur mouvement propre, nécessaire, interne, chaque chose, chaque phénomène étant d’ailleurs, dans son mouvement, en liaison et en interaction avec les autres choses les autres phénomènes qui l’environnent.

D’abord les contradictions internes

La cause fondamentale du développement des choses et des phénomènes n’est pas externe, mais interne ; elle se trouve dans les contradictions internes des choses et des phénomènes eux-mêmes. Toute chose, tout phénomène implique ces contradictions d’où procèdent son mouvement et son développement. 350Ces contradictions, inhérentes aux choses et aux phénomènes, sont la cause fondamentale de leur développement, alors que leur liaison mutuelle et leur action réciproque n’en constituent que les causes secondes. Ainsi donc, la dialectique matérialiste a combattu énergiquement la théorie métaphysique de la cause externe, de l’impulsion extérieure, propre au matérialisme mécaniste et à l’évolutionnisme vulgaire. Il est clair que les causes purement externes sont seulement capables de provoquer le mouvement mécanique des choses et des phénomènes, c’est-à-dire les modifications de volume, de quantité, et qu’elles ne peuvent expliquer pourquoi les choses et les phénomènes sont d’une diversité qualitative infinie, pourquoi ils passent d’une qualité à une autre. En fait, même le mouvement mécanique, provoqué par une impulsion extérieure, se réalise par l’intermédiaire des contradictions internes des choses et des phénomènes. Dans le monde végétal et animal, la simple croissance, le développement quantitatif sont aussi provoqués principalement par les contradictions internes. De même, le développement de la société est dû surtout à des causes internes et non externes. On voit des pays qui se trouvent dans des conditions géographiques et climatiques quasi identiques se développer d’une manière très différente et très inégale. Il arrive que dans un seul et même pays de grands changements se produisent dans la société sans que soient modifiés le milieu géographique et le climat. La Russie impérialiste est devenue 1’Union soviétique socialiste, et le Japon féodal, fermé au monde extérieur, est devenu le Japon impérialiste, bien que la géographie et le climat de ces pays n’aient subi aucune modification. La Chine, longtemps soumise au régime féodal, a connu de grands changements au cours des cent dernières années ; elle évolue maintenant vers une Chine nouvelle, émancipée et libre ; et pourtant ni la géographie ni le climat de la Chine ne se sont modifiés. Certes, des changements se produisent dans la géographie et le climat de tout le globe terrestre et de chacune de ses parties, mais ils sont insignifiants en comparaison de ceux de la société ; les premiers demandent des dizaines de milliers d’années pour se manifester, tandis que pour les seconds, il suffit de millénaires, de siècles, de décades, voire de quelques années ou quelques mois seulement (en période de révolution). Selon le point de vue de la dialectique matérialiste, les changements dans la nature sont dus principalement au développement de ses contradictions internes. Ceux qui interviennent dans la societé proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, 351c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle.

Mais aussi des contradictions externes

La dialectique matérialiste exclut-elle les causes externes ? Nullement. Elle con- sidère que les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l’intermédiaire des causes internes. L’œuf qui a reçu une quantité appropriée de chaleur se transforme en poussin, mais la chaleur ne peut transformer une pierre en poussin, car leurs bases sont différentes. Les différents peuples agissent constamment les uns sur les autres. À l’époque du capitalisme, en particulier à l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes, l’action exercée et l’effet produit par les différents pays les uns sur les autres dans les domaines de la politique, de l’économie et de la culture sont énormes. La Révolution socialiste d’Octobre a ouvert une ère nouvelle non seulement dans l’histoire de la Russie, mais aussi dans celle du monde entier ; elle a influé sur les changements internes dans différents pays, et aussi, avec une intensité particulière, sur les changements internes en Chine. Mais les modifications qui en ont résulté se sont produites par l’intermédiaire des lois internes propres à ces pays, propres à la Chine. De deux armées aux prises, l’une est victorieuse, l’autre est dé- faite : cela est déterminé par des causes internes. La victoire est due soit à la puissance de l’armée, soit à la justesse de vue de son commandement ; la défaite tient soit à la faiblesse de l’armée, soit aux erreurs commises par son commandement ; c’est par l’intermédiaire des causes internes que les causes externes produisent leur effet. En Chine, si la grande bourgeoisie a vaincu en 1927 le prolétariat, c’est grâce à l’opportunisme qui se manifestait au sein même du prolétariat chinois (à l’intérieur du Parti communiste chinois). Lorsque nous en eûmes fini avec cet opportunisme, la révolution chinoise reprit son essor. Plus tard, elle a de nouveau sérieusement souffert des coups infligés par l’ennemi, cette fois à la suite des tendances aventuristes apparues au sein de notre Parti. Et quand nous eûmes liquidé cet aventurisme, notre cause recommença à progresser. Il s’ensuit que pour conduire la révolution à la victoire, un parti doit s’appuyer sur la justesse de sa ligne politique et la solidité de son organisation.

Histoire de la dialectique

Mao parle alors de l’histoire de la dialectique dans la Chine et l’Europe antiques et de son développemement avec Hegel, Marx, Engels, Lénine et Staline. Sa conclusion a une valeur méthodologique :

Importance méthodologique de la dialectique

352

La conception dialectique du monde nous apprend surtout à observer et à analyser le mouvement contradictoire dans les différentes choses, les différents phénomènes, et à déterminer, sur la base de cette analyse, les méthodes propres à résoudre les contradictions. C’est pourquoi la compréhension concrète de la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes est pour nous d’une importance extrême.

352II. L’universalité de la contradiction

353

L’universalité ou le caractère absolu de la contradiction a une double signification : la première est que les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène ; la seconde, que, dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin.

Repris à Engels et à Lénine, les exemples de dialectique dans la nature sont peu convaincants. Mao est meilleur quand il donne ses propres exemples politiques :

354

Il convient de considérer toute différence dans nos concepts comme le reflet de contradictions objectives. La réflexion des contradictions objectives dans la pensée subjective forme le mouvement contradictoire des concepts, stimule le développement des idées, résout continuellement les problèmes qui se posent à la pensée humaine.

L’opposition et la lutte entre conceptions différentes apparaissent constamment au sein du Parti ; c’est le reflet, dans le Parti, des contradictions de classes et des contradictions entre le nouveau et l’ancien existant dans la société. S’il n’y avait pas, dans le Parti, de contradictions et de luttes idéologiques pour résoudre les contradictions, la vie du Parti prendrait fin.

Mao montre à travers Lénine la méthode dialectique en œuvre chez Marx :

356

Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin. C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de dévelop- pement de toute chose, de tout phénomène. Et Lénine lui-même a utilisé judicieusement cette méthode, qui imprègne tous ses écrits.

Marx, dans Le Capital, analyse d’abord ce qu’il y a de plus simple, de plus habituel, de fondamental, de plus fréquent, de plus ordinaire, ce qui se rencontre des milliards de fois : les rapports dans la société bourgeoise (marchande) : l’échange de marchandises. Son analyse fait apparaître dans ce phénomène élémentaire (dans cette « cellule » de la société bourgeoise) t o u s les antagonismes (resp. embryons de tous les antagonismes) de la société moderne. La suite de l’exposé nous montre le développement (et la croissance, et le mouvement) de ces antagonismes et de cette société dans le Σ de ses diverses parties, depuis son début jusqu’à la fin.

Et Lénine ajoute: « Tel doit être aussi le mode d’exposition (resp. d’étude) de la dialectique en général. . . » (« À propos de la dialectique »)

Les communistes chinois doivent s’assimiler cette méthode s’ils veulent analyser d’une manière correcte l’histoire et la situation actuelle de la révolution chinoise et en déduire les perspectives.

356III. Le caractère spécifique de la contradiction

Mao commence par reprendre de manière absolument orthodoxe les exposés traditionnels de la dialectique marxiste (y compris des exemples qui me semblent peu intéressants ou franchement naïfs comme la contradiction entre le plus et le moins en mathématiques), mais tout ce qu’il dit de la spécificité de la contradiction est objectivement une critique d’espoirs immodérés mis dans « les lois universelles de la dialectique » (dont il ne se distancie pas explicitement), c’est-à-dire dans une généralité abusive qu’il condamne en fait dans son insistance sur la spécificité et dans la critique de « nos dogmatiques » ; de même plus loin lorsqu’il insiste sur la nécessité d’une analyse concrète.

Les contradictions existent dans le processus de développement de toutes les choses, de tous les phénomènes et elles pénètrent le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, du commencement à la fin. C’est là l’universalité et le caractère absolu de la contradiction, dont nous avons parlé précédemment. Arrêtons-nous maintenant sur ce qu’il y a de spécifique et de relatif dans les contradictions.

Les sous-titres de ce niveau sont de moi.

La spécificité des différents aspects de la nature et de la société ; la spécificité des différentes sciences

357Il convient d’étudier cette question sur plusieurs plans.

En premier lieu, les contradictions des différentes formes de mouvement de la matière revêtent toutes un caractère spécifique. La connaissance de la matière par l’homme, c’est la connaissance de ses formes de mouvement, étant donné que, dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement, le mouvement de la matière revêtant d’ailleurs toujours des formes déterminées. En nous penchant sur chaque forme de mouvement de la matière, nous devons porter notre attention sur ce qu’elle a de commun avec les autres formes de mouvement. Mais ce qui est encore plus important, ce qui sert de base à notre connaissance des choses, c’est de noter ce que cette forme de mouvement a de proprement spécifique, c’est-à-dire ce qui la différencie qualitativement des autres formes de mouvement. C’est seulement de cette manière qu’on peut distinguer une chose d’une autre. Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde. Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc. Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence. L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes. Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique.

La délimitation des différentes sciences se fonde justement sur les contradictions spécifiques contenues dans les objets respectifs qu’elles étudient. Ainsi, les contradictions propres à la sphère d’un phénomène donné constituent l’objet d’étude d’une branche déterminée de la science. Par exemple, le + et le − en mathématiques ; l’action et la réaction en mécanique ; 1’électricité positive et négative en physique ; la combinaison et la dissociation en chimie ; les forces productives et les rapports de production, la lutte entre les classes dans les sciences sociales ; l’attaque et la défense dans la science militaire ; l’idéalisme et le matérialisme, la métaphysique et la dialectique en philosophie 358— tout cela constitue les objets d’étude de différentes branches de la science en raison justement de l’existence de contradictions spécifiques et d’une essence spécifique dans chaque branche. Certes, faute de connaître ce qu’il y a d’universel dans les contradictions, il est impossible de découvrir les causes générales ou les bases générales du mouvement, du développement des choses et des phénomènes. Mais si l’on n’étudie pas ce qu’il y a de spécifique dans les contradictions, il est impossible de déterminer cette essence spécifique qui distingue une chose des autres, impossible de découvrir les causes spécifiques ou les bases spécifiques du mouvement, du développement des choses et des phénomènes, impossible par conséquent de distinguer les choses et les phénomènes, de délimiter les domaines de la recherche scientifique.

La relation entre le général et le particulier

Si l’on considère l’ordre suivi par le mouvement de la connaissance humaine, on voit que celle-ci part toujours de la connaissance du particulier et du spécifique pour s’é1argir graduellement jusqu’à atteindre celle du général. Les hommes commencent toujours par connaître d’abord l’essence spécifique d’une multitude de choses différentes avant d’être en mesure de passer à la généralisation et de connaître l’essence commune des choses. Quand ils sont parvenus à cette connaissance, elle leur sert de guide pour étudier plus avant les différentes choses concrètes qui n’ont pas encore été étudiées ou qui l’ont été insuffisamment, de façon à trouver leur essence spécifique ; c’est ainsi seulement qu’ils peuvent compléter, enrichir et développer leur connaissance de l’essence commune des choses et l’empêcher de se dessécher ou de se pétrifier. Ce sont là les deux étapes du processus de la connaissance : la première va du spécifique au général, la seconde du général au spécifique. Le développement de la connaissance humaine représente toujours un mouvement en spirale et (si l’on observe rigoureusement la méthode scientifique) chaque cycle élève la connaissance à un degré supérieur et sans cesse l’approfondit. L’erreur de nos dogmatiques dans cette question consiste en ceci : d’une part, ils ne comprennent pas que c’est seulement après avoir étudié ce qu’il y a de spécifique dans la contradiction et pris connaissance de l’essence spécifique des choses particulières qu’on peut atteindre à la pleine connaissance de l’universalité de la contradiction et de l’essence commune des choses ; et d’autre part, ils ne comprennent pas qu’après avoir pris connaissance de l’essence commune des choses nous devons aller plus avant et étudier les choses concrètes, qui ont été insuffisamment étudiées ou qui apparaissent pour la première fois. 359Nos dogmatiques sont des paresseux ; ils se refusent à tout effort dans l’étude des choses concrètes, considèrent les vérités générales comme quelque chose qui tombe du ciel, en font des formules purement abstraites, inaccessibles à l’entendement humain, nient totalement et renversent l’ordre normal que suivent les hommes pour arriver à la connaissance de la vérité. Ils ne comprennent pas non plus la liaison réciproque entre les deux étapes du processus de la connaissance humaine : du spécifique au général et du général au spécifique ; ils n’entendent rien à la théorie marxiste de la connaissance.

Non seulement la spécificité des grands domaines de la connaissance, mais la spécificité de chaque contradiction (et donc des méthodes pour la résoudre)

Il faut étudier non seulement les contradictions spécifiques de chacun des grands systèmes de formes du mouvement de la matière et l’essence déterminée par ces contradictions, mais aussi les contradictions spécifiques et l’essence de chacune de ces formes de mouvement de la matière à chaque étape du long chemin que suit le développement de celles-ci. Toute forme du mouvement, dans chaque processus de développement qui est réel et non imaginaire, est qualitativement différente. Dans notre étude, il convient d’accorder une attention particulière à cela et, de plus, de commencer par là.

Les contradictions qualitativement différentes ne peuvent se résoudre que par des méthodes qualitativement différentes. Ainsi, la contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie se résout par la révolution socialiste ; la contradiction entre les masses populaires et le régime féodal, par la révolution démocratique ; la contradiction entre les colonies et l’impérialisme, par la guerre révolutionnaire nationale ; la contradiction entre la classe ouvrière et la paysannerie, dans la société socialiste, par la collectivisation et la mécanisation de l’agriculture ; les contradictions au sein du Parti communiste se résolvent par la critique et l’autocritique ; les contradictions entre la société et la nature, par le développement des forces productives. Les processus changent, les anciens processus et les anciennes contradictions disparaissent, de nouveaux processus et de nouvelles contradictions naissent, et les méthodes pour résoudre celles—ci sont en conséquence différentes elles aussi. Les contradictions résolues par la Révolution de Février et les contradictions résolues par la Révolution d’Octobre, en Russie, de même que les méthodes employées pour les résoudre, étaient entièrement différentes. Résoudre les contradictions différentes par des méthodes différentes est un principe que les marxistes-léninistes doivent rigoureusement observer. Les dogmatiques n’observent pas ce principe ; ils ne comprennent pas que les conditions dans lesquelles se déroulent 360les différentes révolutions ne sont pas les mêmes, aussi ne comprennent-ils pas que les contradictions différentes doivent être résolues par des méthodes différentes ; ils adoptent invariablement ce qu’ils croient être une formule immuable, et 1’appliquent mécaniquement partout, ce qui ne peut que causer des revers à la révolution ou compromettre ce qui aurait pu réussir.

Pour faire apparaître le caractère spécifique des contradictions considérées dans leur ensemble ou dans leur liaison mutuelle au cours du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, c’est-à-dire pour faire apparaître l’essence du processus, il faut faire apparaître le caractère spécifique des deux aspects de chacune des contradictions dans ce processus ; sinon, il sera impossible de faire apparaître l’essence du processus ; cela aussi exige la plus grande attention dans notre étude.

Dans le processus de développement d’un phénomène important, il existe toute une série de contradictions. Par exemple, dans le processus de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, il existe notamment une contradiction entre les classes opprimées de la société chinoise et l’impérialisme ; une contradiction entre les masses populaires et le régime féodal ; une contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie ; une contradiction entre la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine d’une part, et la bourgeoisie d’autre part ; des contradictions entre les diverses cliques réactionnaires dominantes : la situation est ici extrêmement complexe. Toutes ces contradictions ne peuvent être traitées de la même façon, puisque chacune a son caractère spécifique ; qui plus est, les deux aspects de chaque contradiction ont, à leur tour, des particularités propres à chacun d’eux, et l’on ne peut les envisager de la même manière. Nous qui travaillons pour la cause de la révolution chinoise, nous devons non seulement comprendre le caractère spécifique de chacune de ces contradictions considérées dans leur ensemble, c’est-à-dire dans leur liaison mutuelle, mais encore étudier les deux aspects de chaque contradiction, seul moyen pour arriver à comprendre l’ensemble. Comprendre chaque aspect de la contradiction, c’est comprendre quelle situation particulière il occupe, sous quelles formes concrètes il établit avec son contraire des relations d’interdépendance et des relations de contradiction, quelles sont les méthodes concrètes qu’il utilise dans sa lutte contre l’autre quand les deux aspects se trouvent à la fois en interdépendance et en contradiction, et aussi après la rupture de leur interdépendance. L’étude de ces questions est d’une haute importance. 361C’est ce qu’avait en vue Lénine lorsqu’il disait que la substance même, l’âme vivante du marxisme, c’est l’analyse concrète d’une situation concrète. (Lénine, « Le communisme », Œuvres, tome 31, p. 168.) Nos dogmatiques enfreignent les enseignements de Lénine, ne se donnent jamais la peine d’analyser quoi que ce soit d’une manière concrète ; leurs articles et leurs discours ne font que ressasser d’une manière vaine, creuse, des schémas stéréotypés, et font naître dans notre Parti un style de travail des plus néfastes.

Dans l’étude d’une question, il faut se garder d’être subjectif, d’en faire un examen unilatéral et d’être superficiel. Être subjectif, c’est ne pas savoir envisager une question objectivement, c’est-à-dire d’un point de vue matérialiste. ]’en ai déjà parlé dans « De la pratique ». L’examen unilatéral consiste à ne pas savoir envisager les questions sous tous leurs aspects. C’est ce qui arrive, par exemple, lorsqu’on comprend seulement la Chine et non le ]apon, seulement le Parti communiste et non le Kuomintang, seulement le prolétariat et non la bourgeoisie, seulement la paysannerie et non les propriétaires fonciers, seulement les situations favorables et non les situations difficiles, seulement le passé et non l’avenir, seulement le détail et non l’ensemble, seulement les insuffisances et non les succès, seulement le demandeur et non le défendeur, seulement le travail révolutionnaire dans la clandestinité et non le travail révolutionnaire légal, etc., bref, lorsqu’on ne comprend pas les particularités des deux aspects d’une contradiction. C’est ce qu’on appelle envisager les questions d’une manière unilatérale, ou encore voir la partie et non le tout, voir les arbres et non la forêt. Si l’on procède ainsi, il est impossible de trouver la méthode pour résoudre les contradictions, impossible de s’acquitter des tâches de la révolution, impossible de mener à bien le travail qu’on fait, impossible de développer correctement la lutte idéologique dans le Parti. […] 362Lénine dit :

Pour connaître réellement un objet, il faut embrasser et étudier tous ses aspects, toutes ses liaisons et « médiations ». Nous n’y arriverons jamais intégralement, mais la nécessité de considérer tous les aspects nous garde des erreurs et de l’engourdissement. (Lénine, « À nouveau les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski et Boukharine », Œuvres, tome 32, p. 94.)

Nous devons retenir ses paroles. Être superficiel consiste à ne pas tenir compte des particularités de la contradiction dans son ensemble, ni des particularités de chacun de ses aspects, à nier la nécessité d’aller au fond des choses et d’étudier minutieusement les particularités de la contradiction, à se contenter de regarder de loin et, après une observation approximative de quelques traits superficiels de la contradiction, à essayer immédiatement de la résoudre (de répondre à une question, de trancher un différend, de régler une affaire, de diriger une opération militaire). Une telle manière de procéder entraîne toujours des conséquences fâcheuses. La raison pour laquelle nos camarades qui donnent dans le dogmatisme et l’empirisme commettent des erreurs, c’est qu’ils envisagent les choses d’une manière subjective, unilatérale, superficielle. Envisager les choses d’une manière unilatérale et superficielle, c’est encore du subjectivisme, car dans leur être objectif les choses sont en fait liées les unes aux autres et possèdent des lois internes ; or, il est des gens qui, au lieu de refléter les choses telles qu’elles sont, les considèrent d’une manière unilatérale ou superficielle, sans connaître, leur liaison mutuelle ni leurs lois internes ; une telle méthode est donc subjective.

La spécificité de chaque étape d’un processus

Nous devons avoir en vue non seulement les particularités du mouvement des aspects contradictoires considérés dans leur liaison mutuelle et dans les conditions de chacun d’eux au cours du processus général du développement d’une chose ou d’un phénomène, mais aussi les particularités propres à chaque étape du processus de développement.

363Ni la contradiction fondamentale dans le processus de développe- ment d’une chose ou d’un phénomène ni l’essence de ce processus, déterminée par cette contradiction, ne disparaissent avant l’achèvement du processus ; toutefois, les conditions diffèrent habituellement les unes des autres à chaque étape du long processus de développement d’une chose ou d’un phénomène. En voici la raison : Bien que le caractère de la contradiction fondamentale dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène et l’essence du processus restent inchangés, la contradiction fondamentale s’accentue progressivement à chaque étape de ce long processus. En outre, parmi tant de contradictions, importantes ou minimes, qui sont déterminées par la contradiction fondamentale ou se trouvent sous son influence, certaines s’accentuent, d’autres se résolvent ou s’atténuent temporairement ou partiellement, d’autres ne font encore que naître. Voilà pourquoi il y a différentes étapes dans le processus. On est incapable de résoudre comme il faut les contradictions inhérentes à une chose ou à un phénomène si 1’on ne fait pas attention aux étapes du pro- cessus de son développement.

Lorsque, par exemple, le capitalisme de l’époque de la libre concurrence se transforma en impérialisme, ni le caractère de classe des deux classes en contradiction fondamentale — le prolétariat et la bourgeoisie — ni l’essence capitaliste de la société ne subirent aucun changement ; toutefois, la contradiction entre ces deux classes s’accentua, la contradiction entre le capital monopoliste et le capital non monopoliste surgit, la contradiction entre les puissances coloniales et les colonies devint plus marquée, la contradiction entre les pays capitalistes, contradiction provoquée par le développement inégal de ces pays, se manifesta avec une acuité particulière ; dès lors apparut un stade particulier du capitalisme — le stade de l’impérialisme. Le léninisme est le marxisme de l’époque de l’impéria1isme et de la révolution prolétarienne précisément parce que Lénine et Staline ont donné une explication juste de ces contradictions et formulé correctement la théorie et la tactique de la révolution prolétarienne appelées à les résoudre.

Mao continue en donnant à titre d’exemple une analyse très fine de la révolution bourgeoisie en Chine en montrant comment les différentes étapes et les péripéties correspondent à des aspects spécifiques des contradictions et à leur évolution : différence entre la phase où la bourgeoisie aa dirigé la révolution et la phase où c’est le prolétariat et là-dedans des tas d’événements correspondant à un changement dans le tableau des contradictions.

La spécificité de chacun des aspects de la contradiction

364Lorsqu’on étudie le caractère spécifique des contradictions à chaque étape du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, il faut non seulement considérer ces contradictions dans leur liaison mutuelle ou dans leur ensemble, mais également envisager les deux aspects de chaque contradiction.

Ceci est également illustré par des exemples tirés de la révolution chinoise

Nécessité d’une analyse concrète

366Il s’ensuit que lorsque nous étudions le caractère spécifique de n’importe quelle contradiction — la contradiction propre à chaque forme de mouvement de la matière, la contradiction propre à chaque forme de mouvement dans chacun de ses processus de développement, les deux aspects de la contradiction dans chaque processus de développement, la contradiction à chaque étape d’un processus de développement, et les deux aspects de la contradiction à chacune de ces étapes — bref, lorsque nous étudions le caractère spécifique de toutes ces contradictions, nous ne devons pas nous montrer subjectifs et arbitraires, mais en faire une analyse concrète. Sans analyse concrète, impossible de connaître le caractère spécifique de quelque contradiction que ce soit. Nous devons toujours nous rappeler les paroles de Lénine : analyse concrète d’une situation concrète.

Marx et Engels ont été les premiers à nous donner de magnifiques exemples de ce genre d’analyse concrète.

Lorsque Marx et Engels ont appliqué la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes à l’étude du processus de l’histoire de la société, ils ont découvert la contradiction existant entre les forces productives et les rapports de production, 367la contradiction entre la classe des exploiteurs et celle des exploités, ainsi que la contradiction qui en résulte entre la base économique et sa superstructure (politique, idéologie, etc.) ; et ils ont découvert comment ces contradictions engendrent inévitablement différentes sortes de révolutions sociales dans différentes sortes de sociétés de classes. Lorsque Marx a appliqué cette loi à l’étude de la structure économique de la société capitaliste, il a découvert que la contradiction fondamentale de cette société, c’est la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de la propriété. Cette contradiction se manifeste par la contradiction entre le caractère organisé de la production dans les entreprises isolées et le caractère inorganisé de la production à l’échelle de la société tout entière. Et dans les rapports de classes, elle se manifeste dans la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Dialectique de l’universel (ou général) et du particulier, de l’universel et du spécifique

Comme les choses et les phénomènes sont d’une prodigieuse diversité et qu’il n’y a aucune limite à leur développement, ce qui est universel dans tel contexte peut devenir particulier dans un autre. Inversement, ce qui est particulier dans tel contexte peut devenir universel dans un autre. La contradiction dans le régime capitaliste entre le caractère social de la production et la propriété privée des moyens de production est commune à tous les pays où existe et se développe le capitalisme ; pour le capitalisme, cela constitue l’universalité de la contradiction. Mais cette contradiction du capitalisme appartient seulement à une étape historique déterminée du développement de la société de classes en général, et, du point de vue de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production dans la société de classes en général, cela constitue le caractère spécifique de la con- tradiction. Or, en dégageant le caractère spécifique de toutes les contradictions de la société capitaliste, Marx a élucidé d’une manière encore plus approfondie, plus totale, plus complète l’universalité de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production dans la société de classes en général.

L’unité du spécifique et de l’universel, la présence dans chaque chose de ce que la contradiction a d’universel aussi bien que de ce qu’elle a de spécifique, l’universel existant dans le spécifique, nous obligent, quand nous étudions une chose déterminée, à découvrir le spécifique et l’universel ainsi que leur liaison mutuelle, à découvrir le spécifique et l’universel au sein de la chose elle—même ainsi que leur liaison mutuelle, à découvrir la liaison que cette chose entretient avec les nombreuses autres choses, extérieures à elle. 368En dégageant les racines historiques du léninisme, Staline analyse, dans son célèbre ouvrage Des principes du léninisme, la situation internationale qui a donné naissance au léninisme, il analyse les contradictions du capitalisme qui ont atteint un point extrême dans les conditions de l’impérialisme, il montre comment ces contradictions ont fait de la révolution prolétarienne une question d’activité pratique immédiate et ont créé les conditions favorables à un assaut direct contre le capitalisme. De plus, il analyse les raisons pour lesquelles la Russie est devenue le foyer du léninisme, expliquant pourquoi la Russie tsariste fut alors le point crucial de toutes les contradictions de l’impérialisme et pourquoi c’est justement le prolétariat russe qui a pu devenir l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire international. Ainsi, Staline a analysé l’universalité de la contradiction propre à l’impérialisme, montrant que le léninisme est le marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne ; mais il a aussi analysé le caractère spécifique de l’impérialisme de la Russie tsariste dans cette contradiction générale, montrant que la Russie est devenue la patrie de la théorie et de la tactique de la révolution prolétarienne et que ce caractère spécifique contenait en lui l’universalité de la contradiction. L’analyse de Staline est pour nous un modèle de la connaissance du caractère spécifique et de l’universalité de la contradiction ainsi que de leur liaison mutuelle.

En traitant la question de l’emploi de la dialectique dans l’étude des phénomènes objectifs, Marx et Engels, et également Lénine et Staline, ont toujours indiqué qu’il faut se garder de tout subjectivisme et de tout arbitraire, qu’il faut partir des conditions concrètes du mouvement réel objectif pour découvrir dans ces phénomènes les contradictions concrètes, la situation concrète de chaque aspect de la contradiction et le rapport mutuel concret des contradictions. Nos dogmatiques n’ont pas cette attitude dans l’étude, aussi ne se font-ils jamais une idée juste d’une chose. Nous devons tirer la leçon de leur échec et parvenir à acquérir cette attitude, la seule qui soit correcte dans l’étude. La relation entre 1’universalité et le caractère spécifique de la contradiction, c’est la relation entre le général et le particulier. Le général réside dans le fait que les contradictions existent dans tous les processus et pénètrent tous les processus, du début à la fin ; mouvement, chose, processus, pensée — tout est contradiction. Nier la contradiction dans les choses et les phénomènes, c’est tout nier. C’est là une vérité universelle, valable pour tous les temps et tous les pays sans exception. C’est pourquoi la contradiction est générale, absolue. 369Toutefois, ce général n’existe que dans le particulier ; sans particulier, point de général. Si tout particulier en est exclu, que reste-t-il du général ? C’est le fait que chaque contradiction a son caractère spécifique propre qui donne naissance au particulier. Tout élément particulier est conditionné, passager et partant relatif.

Cette vérité concernant le général et le particulier, l’absolu et le relatif, est la quintessence de la question des contradictions inhérentes aux choses et aux phénomènes ; ne pas comprendre cette vérité, c’est se refuser à la dialectique.

369IV. La contradiction principale et l’aspect principal de la contradiction

376V. L’identité et la lutte des aspects de la contradiction

382VI. La place de l’antagonimse dans la contradiction

385VII. Conclusion

Le rôle du Parti communiste chinois dans la guerre nationale

6e session plénière du Comité central issu du 6e congrès, octobre 1938.

Œuvres choisies, tome 2, pp 211‑227.

212 Patriotisme et internationalisme

213 Les communistes doivent donner l’exemple dans la guerre nationale

215 Unir la nation et lutter contre les agents de l’ennemi en son sein

215 Élargir les rangs du Parti communiste et empêcher l’infiltration des agents de l’ennemi

216 Maintenir à la fois le front uni et l’indépendance du Parti

217 Tenir compte de la situation d’ensemble, penser en fonction de la majorité, travailler de concert avec nos alliés

218 Politique des cadres

Le Parti communiste chinois est un parti qui dirige une grande lutte révolutionnaire dans une immense nation de plusieurs centaines de millions d’hommes. Il ne saurait remplir sa tâche historique sans avoir un nombre considérable de cadres dirigeants capables et politiquement intègres. Au cours des dix-sept dernières années, notre Parti a formé beaucoup de dirigeants compétents, si bien que nous disposons déjà d’un corps de cadres dans les domaines militaire, politique et culturel, ainsi que pour le travail du Parti et le travail de masse ; l’honneur en revient au Parti aussi bien qu’à la nation. Mais l’armature actuelle ne correspond pas encore aux dimensions de notre lutte et nous devons continuer à former en grand nombre des cadres compétents. Beaucoup d’éléments actifs ont surgi et ne cessent de surgir de la grande lutte du peuple chinois, et notre devoir est de les organiser, de les former, de les entourer de notre sollicitude et de savoir les employer. Les cadres jouent un rôle décisif[1] dès que la ligne politique est définie. Notre tâche de combat est donc de former selon un plan un grand nombre de nouveaux cadres.


[1] Dans son rapport présenté, en janvier 1934, au 17e Congrès du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., Staline disait : «  […] la ligne politique juste une fois donnée, c’est le travail d’organisation qui décide de tout, y compris du sort de la ligne politique elle-même, de sa réalisation ou de son échec. » Il y posait, d’autre part, la question « du choix judicieux des hommes ». En mai 1935, dans le discours qu’il prononça au Palais du Kremlin à l’occasion de la promotion des élèves des écoles supérieures de l’Armée rouge, il formula et expliqua le mot d’ordre « Les cadres décident de tout ». Dans son rapport présenté en mars 1939 au 18e Congrès du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., il disait : « Après qu’une ligne politique juste a été établie, vérifiée dans la pratique, les cadres du Parti deviennent la force décisive de la direction dans le Parti et dans l’État. »

Nous devons nous occuper aussi bien des cadres non communistes que des cadres membres du Parti. Il existe en effet à l’extérieur du Parti nombre de gens capables que celui-ci ne doit pas ignorer. Il faut que chaque communiste se débarrasse de toute attitude hautaine et dirante, sache collaborer avec les cadres non communistes, les aide sincèrement, adopte à leur égard une attitude de chaude camaraderie et oriente leur activité vers la grande cause de la résistance au Japon et de la construction nationale ; tel est son devoir.

Sachons juger les cadres. Ne fondons pas notre appréciation seulement sur une courte période ou un fait isolé de la vie d’un cadre, mais considérons l’ensemble de son passé et de son travail. C’est là la méthode principale pour juger d’un cadre.

Sachons employer les cadres. Le devoir d’un dirigeant se ramène essentiellement à trouver des idées et à employer les cadres. Elaborer un plan, prendre une décision, lancer un ordre, donner une directive, etc., c’est « trouver des idées  ». Pour faire passer les idées dans la pratique, il faut unir les cadres et les inciter à l’action; cela s’appelle « employer les cadres ». Tout au long de l’histoire de notre peuple, il a existé deux lignes opposées dans ce domaine : on vous nomme selon votre mérite, ou on vous choisit par favoritisme. La première voie est honnête, la swonde, malhonnête. Dans sa politique des cadres, le Parti communiste adoptera les critères suivants : ferme application de la ligne du Parti, soumission à sa discipline, liaison étroite avec les masses, capacité de travailler en toute indépendance, ardeur à la tâche et désintéressement &ndash c’est là la politique de nomination des cadres selon leur mérite. Elle et à l’opposé de la politique des cadres suivie par Tchang Kouo-tao. Choisissant les cadres par favoritisme, il s’entourait d’hommes à lui pour former un groupe fractionnel, si bien qu’il finit par trahir le Parti et déserta ; c’est là une très sérieuse leçon. Instruits par ce fait et par d’autres leçons semblables que nous offre l’histoire, le Comité central et les dirigeants à tous les échelons ont, dans notre politique des cadres, la haute responsabilité de toujours procéder d’une façon impartiale et honnête et de rejeter toute partialité malhonnête, de manière à renforcer l’unité du Parti.

Sachons prendre soin des cadres. Pour cela, nous avons les moyens suivants :

Voilà la manière de prendre soin des cadres.

220 La discipline du Parti

220 La démocratie dans le Parti

221 Notre Parti s’est consolidé et a grandi dans la lutte sur deux fronts

223 Notre lutte actuelle sur deux fronts

224 L’étude

D’une façon générale, tous les communistes qui ont les aptitudes requises doivent étudier la théorie de Marx, Engels, Lénine et Staline, l’histoire de notre nation ainsi que la situation et les tendances du mouvement actuel ; c’est par leur intermédiaire que se fera l’éducation des camarades dont le niveau culturel est relativement bas. Il importe, en particulier, que les cadres portent une attention toute spéciale à cette étude, et qu’à plus forte raison les membres du Comité central et les cadres supérieurs s’y consacrent avec ardeur. Un parti qui dirige un grand mouvement révolutionnaire ne saurait le mener à la victoire sans théorie révolutionnaire, sans connaissances de l’histoire, sans une compréhension profonde du mouvement dans sa réalité.

La théorie de Marx, Engels, Lénine et Staline a une valeur universelle. Il ne faut pas la considérer comme un dogme, mais comme un guide pour l’action. Il ne faut pas se contenter d’apprendre des termes et des formules, mais étudier le marxisme-léninisme en tant que science de la révolution. Il s’agit non seulement de comprendre les lois générales, qu’ont établies Marx, Engels, Lénine et Staline en se fondant sur leur vaste étude de la vie réelle et de l’expérience de la révolution, il faut aussi étudier la position et la méthode qu’ils adoptèrent pour examiner et résoudre les problèmes. La formation marxiste-léniniste a fait aujourd’hui des progrès dans notre Parti, mais elle est encore loin de s’étendre à tous et d’être suffisamment poussée. Nous avons pour mission de diriger une grande nation de plusieurs centaines de millions d’hommes dans une lutte sans précédent. C’est pourquoi l’étude généralisée et approfondie de la théorie marxiste-léniniste est pour nous une grande tâche qu’il importe d’accomplir de toute urgence et qui ne peut l’être qu’au prix de sérieux efforts. J’espère qu’après cette session du Comité central une émulation pour l’étude apparaîtra dans tout le Parti ; on verra alors qui aura véritablement appris quelque chose, qui aura étendu et approfondi ses connaissances. Si, parmi les camarades chargés des principales responsabilités dans le travail de direction, il s’en trouve cent à deux cents à posséder une connaissance systématique et non fragmentaire du marxisme-léninisme, une connaissance réelle et non creuse, la capacité combative de notre Parti sera considérablement accrue et la victoire sur l’impérialisme japonais en sera hâtée.

[…]

226 L’unité et la victoire

À propos des méthodes de direction

1er juin 1943.

Œuvres choisies, tome 3, pp 121‑127.

  1. Deux méthodes dans n’importe quel travail :

  2. Les dirigeants doivent

  3. Il est nécessaire « de former dans chaque unité un groupe dirigeant composé d’un petit nombre d’éléments actifs réunis autour du principal responsable et d’assurer la liaison étroite de ce groupe dirigeant avec les larges masses qui participent au mouvement. »

  4. Se fonder sur le principe : « partir des masses pour retourner aux masses. »

    Cela signifie qu’il faut recueillir les idées des masses (qui sont dispersées, non systématiques), les concentrer (en idées généralisées et systématisées, après étude), puis aller de nouveau dans les masses pour les diffuser et les expliquer, faire en sorte que les masses les assimilent, y adhèrent fermement et les traduisent en action, et vérifier dans l’action même des masses la justesse de ces idées. Puis, il faut encore une fois concentrer les idées des masses et les leur retransmettre pour qu’elles soient mises résolument en pratique. Et le même processus se poursuivra indéfiniment, ces idées devenant toujours plus justes, plus vivantes et plus riches. Voilà la théorie marxiste de la connaissance.

[...]

Du gouvernement de coalition

Rapport politique présenté par le camarade Mao Tsé-toung au 7e congrès du Parti communiste chinois, 24 avril 1945.

Œuvres choisies, tome 3, pp 215‑287.

215 I. Les revendications fondamentales du peuple chinois

216 II La situation internationale et la situation intérieure

219 III. Les deux lignes dans la Guerre de Résistance contre le japon

219 La clé des problèmes qui se posent en Chine

220 L’histoire suit une route sinueuse

224 La guerre populaire

228 Les deux fronts de la guerre

230 Les régions libérées de Chine

232 Les régions contrôlées par le Kuomintang

234 Un contraste

235 Qui donc « sape la Résistance et met l’État en danger » ?

236 « Désobéissance aux décrets gouvernementaux et aux ordres militaires »

237 Le danger d’une guerre civile

238 Les pourparlers

238 Deux perspectives

240 IV. La politique du Parti communiste chinois

241 Notre programme général

Pour mobiliser et unir toutes les forces antijaponaises du peuple chinois, pour écraser définitivement l’agresseur japonais et pour édifier une Chine nouvelle qui soit indépendante, libre, démocratique, unifiée, forte et prospère, notre peuple, le Parti communiste chinois et tous les autres partis et groupements démocratiques antijaponais ont un besoin urgent d’un programme commun sur lequel ils soient d’accord. (P. 241.)

Tout ce que je viens d’exposer constitue le programme général ou fondamental que nous, communistes, nous préconisons pour l’étape actuelle, c’est-à-dire pour toute l’étape de la révolution démocratique bourgeoise. C’est notre programme minimum, par rapport à notre programme pour l’avenir, ou programme maximum, qui est pour l’instauration du socialisme et du communisme. L’exécution de notre programme minimum fera faire un pas en avant à la Chine d’aujourd’hui, c’est-à-direqu’elle permettra à notre pays et à notre société, de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal, de se transformer en un pays et en une société de démocratie nouvelle. (P. 245.)

Nous autres communistes, nous ne dissimulons jamais nos aspirations politiques. Il est certain, indubitable, que notre programme pour l’avenir, ou programme maximum, a pour but de conduire la Chine au socialisme et au communisme. Le nom même de notre Parti ainsi que notre conception marxiste du monde indiquent clairement cet idéal suprême que nous voulons réaliser dans l’avenir, idéal infiniment beau et radieux. (P. 245.)

Si un communiste ou un sympathisant ne lutte pas pour ces objectifs, mais se contente de disserter du socialisme et du communisme, s’il dédaigne la révolution démocratique bourgeoise et relâche ou ralentit tant soit peu ses efforts, si, pour cette cause, il manque si peu que ce soit de dévouement et de zèle, s’il répugne à verser son sang ou à sacrifier sa vie pour elle, c’est donc qu’il commet, consciemment ou inconsciemment, des actes de trahison plus ou moins graves envers le socialisme et le communisme et qu’il n’est pas un communiste conscient et dévoué. (P. 246.)

248 Notre programme concret

274 Nos tâches dans les régions du Kuomintang

276 Nos tâches dans les régions d’occupation japonaise

277 Nos tâches dans les régions libérées

280 V. Que tout le Parti s’unise et lutte pour l’accomplissement de ses tâches !

De la juste solution des contradictions au sein du peuple

11e session (élargie) de la Conférence suprème d’État, 22 février 1957. Revu pour la publication dans le Renmin Ribao du 19 juin 1957.

Œuvres choisies, tome 5, pp 417‑457.

417 I. Deux types de contradictions de caractère différent

Mao commence par rappeler que quelle que soit l’unité du pays suite à la révolution démocratique bourgeoise (1949) et sous le socialisme (1956), il y a encore des contradictions. Il faut alors distinguer les contradictions antagoniques et les contradictions non antagoniques.

Notre pays est aujourd’hui plus uni que jamais. […] Mais cela ne signifie nullement qu’il n’existe plus aucune contradiction dans notre société. Il serait naïf de le croire ; ce serait se détourner de la réalité objective. Nous sommes en présence de deux types de contradictions sociales : les contradictions entre nous et nos ennemis et les contradictions au sein du peuple. Ils sont de caractère tout à fait différent.

Pour avoir une connaissance juste de ces deux types de contradictions, il est tout d’abord nécessaire de préciser ce qu’il faut entendre par « peuple » et par « ennemis ». La notion de « peuple » prend un sens différent selon les pays et selon les périodes de leur histoire. Prenons l’exemple de notre pays. Au cours de la Guerre de Résistance contre le Japon, toutes les classes et couches sociales et tous les groupes sociaux opposés au Japon faisaient partie du peuple, tandis que les impérialistes japonais, les traîtres et les éléments projaponais étaient les ennemis du peuple. Pendant la Guerre de Libération, les ennemis du peuple étaient les impérialistes américains et leurs laquais — la bourgeoisie bureaucratique, les propriétaires fonciers et les réactionnaires du Kuomintang qui représentaient ces deux classes, alors que toutes les classes et couches sociales et tous les groupes sociaux qui combattaient ces ennemis faisaient partie du peuple. À l’étape actuelle, qui est la période de l’édification socialiste, toutes les classes et couches sociales, tous les groupes sociaux qui approuvent et soutiennent cette édification, et y participent, forment le peuple, alors que toutes les forces sociales et tous les groupes sociaux qui s’opposent à la révolution socialiste, qui sont hostiles à l’édification socialiste ou s’appliquent à la saboter, sont les ennemis du peuple.

Le deuxième alinéa de la citation qui précède a une grande importance du point de vue philosophique. On y voit adopter d’un « même » concept une définition différente dans des circonstances différentes. Le concept n’est pas préexistant dans un autre monde platonicien, ni éternel, c’est un outil de pensée que nous définissons nous-mêmes et que nous adaptons à des besoins changeants dans une réalité changeante. Adapter à la situation les définitions de « peuple » et d’ « ennemis » permet de continuer à faire dans des situations changées les mêmes considérations sur le peuple et les ennemis, considérations dont la formulation serait sans cela d’une complication effoyable. Mais cela suppose bien sûr qu’on soit conscient du glissement de sens.

Dans ce qui suit, on voit que, de même que « peuple » et  « ennemis » n’ont pas toujours et partout le même sens, une contradiction aussi fondamentalement antagonique que celle qui oppose bourgoisie et prolétariat n’est pourtant pas toujours aussi absolue.

Les contradictions entre nous et nos ennemis sont des contradictions antagonistes. Au sein du peuple, les contradictions entre travailleurs ne sont pas antagonistes et les contradictions entre classe exploitée et classe exploiteuse présentent, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste. Les contradictions au sein du peuple ne datent pas d’aujourd’hui, mais leur contenu est différent dans chaque période de la révolution et dans la période de l’édification socialiste. Dans les conditions actuelles de notre pays, les contradictions au sein du peuple comprennent les contradictions au sein de la classe ouvrière, les contradictions au sein de la paysannerie, les contradictions parmi les intellectuels, les contradictions entre la classe ouvrière et la paysannerie, les contradictions qui opposent les ouvriers et les paysans aux intellectuels, les contradictions qui opposent les ouvriers et les autres travailleurs à la bourgeoisie nationale, les contradictions au sein de la bourgeoisie nationale elle—même, etc. Notre gouvernement populaire est l’authentique représentant des intérêts du peuple, il est au service de celui-ci; mais entre lui et les masses il y a également des contradictions. Ce sont notamment celles qui existent entre les intérêts de l’État et de la collectivité d’une part et ceux de 1’individu de l’autre, entre la démocratie et le centralisme, entre les dirigeants et les dirigés, entre certains travailleurs de l’État au style de travail bureaucratique et les masses populaires. Ce sont là aussi des contradictions au sein du peuple. D’une façon générale, les contradictions au sein du peuple reposent sur l’identité fondamentale des intérêts du peuple.

Dans notre pays, les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale sont de celles qui se manifestent au sein du peuple. La lutte entre ces deux classes relève en général du domaine de la lutte de classes au sein du peuple, car, en Chine, la bourgeoisie nationale revêt un double caractère. Dans la période de la révolution démocratique bourgeoise, elle présentait un caractère révolutionnaire, mais en même temps une tendance au compromis. Dans la période de la révolution socialiste, elle exploite la classe ouvrière et en tire des profits, mais en même temps elle soutient la Constitution et se montre disposée à accepter la transformation socialiste. Elle se distingue des impérialistes, des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie bureau- cratique. Les contradictions qui l’opposent à la classe ouvrière sont des contradictions entre exploiteurs et exploités ; elles sont certes de nature antagoniste. Cependant, dans les conditions concrètes de notre pays, ces contradictions antagonistes peuvent se transformer en contradictions non antagonistes et recevoir une solution pacifique si elles sont traitées de façon judicieuse. Si les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale ne sont pas réglées correctement, c’est-à-dire si nous ne pratiquons pas à l’égard de celle-ci une politique d’union, de critique et d’éducation, ou si la bourgeoisie nationale n’accepte pas une telle politique, elles peuvent devenir des contradictions entre nous et nos ennemis.

On pourrait adopter une position semblable sur le capitalisme en Chine dans la phase actuelle. Bien qu’il y ait toujours un conflit d’intérêt fondamental entre capitalistes et ouvriers, cette contradiction peut ne pas être antagonique si elle est sous le contrôle de l’État socialiste, si elle est correctement traitée et si les capitalistes respectent les règles du jeu.

Ce qui suit est une très bonne explication de la double nature de l’État socialiste, démocratie pour le peuple, dictature du peuple pour défendre le socialisme contre les ennemis (ce qu’on appelle classiquement « dictature du prolétariat ») :

Notre État a pour régime la dictature démocratique populaire dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l’alliance des ouvriers et des paysans. Quelles sont les fonctions de cette dictature ? Sa première fonction est d’exercer la répression, à l’intérieur du pays, sur les classes et les éléments réactionnaires ainsi que sur les exploiteurs qui s’opposent à la révolution socialiste, sur ceux qui sapent l’édification socialiste, c’est-à—dire de résoudre les contradictions entre nous et nos ennemis à l’intérieur du pays. Par exemple, arrêter, juger et condamner certains contre-révolutionnaires et retirer, pour une certaine période, aux propriétaires fonciers et aux capitalistes bureaucratiques le droit de vote et la liberté de parole — tout cela entre dans le champ d’application de notre dictature. Pour maintenir l’ordre dans la société et défendre les intérêts des masses populaires, il est également nécessaire d’exercer la dictature sur les voleurs, les escrocs, les assassins, les incendiaires, les bandes de voyous et autres mauvais éléments qui troublent sérieu- sement l’ordre public ; La dictature a une deuxième fonction, celle de défendre notre pays contre les activités subversives et les agressions éventuelles des ennemis du dehors. Dans ce cas, la dictature a pour tâche de résoudre sur le plan extérieur les contradictions entre nous et nos ennemis. Le but de la dictature est de protéger le peuple tout entier dans le travail paisible qu’il poursuit pour transformer la Chine en un pays socialiste doté d’une industrie, d’une agriculture, d’une science et d’une culture modernes. Qui exerce la dictature ? C’est, bien entendu, la classe ouvrière et le peuple dirigé par elle. La dicta- ture ne s’exerce pas au sein du peuple. Le peuple ne saurait exercer la dictature sur lui-même, et une partie du peuple ne saurait opprimer l’autre. Ceux qui, parmi le peuple, enfreignent la loi doivent être punis selon la loi, mais il y a là une différence de principe avec la répression des ennemis du peuple par la dictature. Au sein du peuple, c’est le centralisme démocratique qui est appliqué. Notre Constitution stipule que les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de parole, de la presse, de réunion, d’association, de cortège, de manifestation, de croyance religieuse ainsi que d’autres libertés. Elle stipule aussi que les organismes de l’État pratiquent le centralisme démocratique, qu’ils doivent s’appuyer sur les masses popu- laires et que leur personnel doit servir le peuple. Notre démocratie socialiste est la démocratie la plus large, une démocratie qui ne peut exister dans aucun État bourgeois. Notre dictature est la dictature démocratique populaire dirigée par la classe ouvrière et fondée sur l’alliance des ouvriers et des paysans. Cela signifie que la démocratie est pratiquée au sein du peuple et que la classe ouvrière, s’unissant avec tous ceux qui jouissent des droits civiques, les paysans en premier lieu, exerce la dictature sur les classes et éléments réactionnaires, et sur tous ceux qui s’opposent à la transformation et à l’édification socialistes. Par droits civiques, on entend, sur le plan politique, le droit à la liberté et le droit à la démocratie.

Mais cette liberté est une liberté qui s’accompagne d’une direction, et cette démocratie une démocratie à direction centralisée, ce n’est donc pas l’anarchie. L’anarchie ne répond pas aux intérêts et aux aspirations du peuple.

Il continue avec les illusions sur la démocratie, plus précisément le point de vue non dialectique, métaphysique, platonicien qui fait de la démocratie un absolu :

Certaines personnes dans notre pays se sont réjouies des événements de Hongrie. Elles espéraient que des événements semblables sc produiraient en Chine, que les gens descendraient par milliers dans la rue et se dresseraient contre le gouvernement populaire. De telles espérances sont contraires aux intérêts des masses populaires et ne sauraient trouver leur appui. En Hongrie, une partie des masses, trompée par les forces contre—révolutionnaires du dedans et du dehors, a eu le tort de recourir à la violence contre le gouvernement populaire, ce dont pâtirent l’État et le peuple. Il faudra beaucoup de temps pour réparer les dommages causés à l’économie par quelques semaines d’émeutes. D’autres personnes dans notre pays ont pris une attitude hésitante à l’égard des événements de Hongrie, parce qu’elles ignorent l’état réel de la situation mondiale. Elles s’imaginent que sous notre régime de démocratie populaire, il y a trop peu de liberté, moins que dans le régime démocratique parlementaire d’Occident. Elles réclament le système des deux partis, tel qu’il existe en Occident, avec un parti au pouvoir et l’autre dans l’opposition. Mais ce système dit bipartite n’est qu’un moyen pour maintenir la dictature de la bourgeoisie, il ne peut en aucun cas garantir la liberté des travailleurs. En réalité, la liberté et la démocratie n’existent que dans le concret, et jamais dans l’abstrait. Dans une société où il y a lutte de classes, quand les classes exploiteuses ont la liberté d’exploiter les travailleurs, ceux-ci n’ont pas la liberté de se soustraire à l’exploitation ; quand la bourgeoisie jouit de la démocratie, il n’y a pas de démocratie pour le prolétariat et les autres travailleurs. Certains pays capitalistes admettent l’existence légale de partis communistes, mais seulement dans la mesure où elle ne lèse pas les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie; au-delà de cette limite, ils ne la tolèrent plus. Les gens qui revendiquent la liberté et la démocratie dans l’abstrait considèrent la démocratie comme une fin et non comme un moyen. Parfois, il semble que la démocratie soit une fin, mais en réalité elle n’est qu’un moyen. Le marxisme nous enseigne que la démocratie fait partie de la superstructure, qu’elle est du domaine de la politique. Cela signifie qu’en fin de compte la démocratie sert la base économique. Il en est de même de la liberté. La démocratie et la liberté sont relatives et non absolues, elles sont apparues et se sont développées dans des conditions historiques spécifiques. Au sein du peuple, la démocratie est corrélative du centralisme, et la liberté, de la discipline. Ce sont deux aspects contradictoires d’un tout unique; ils sont en contradiction, mais en même temps unis, et nous ne devons pas souligner unilatérale- ment l’un de ces aspects et nier l’autre. Au sein du peuple, on ne peut se passer de liberté, mais on ne peut non plus se passer de discipline; on ne peut se passer de démocratie, mais on ne peut non plus se passer de centralisme. Cette unité de la démocratie et du centralisme, de la liberté et de la discipline constitue notre centralisme démocratique. Sous un tel régime, le peuple jouit d’une démocratie et d’une liberté étendues, mais en même temps, il doit se tenir dans les limites de la discipline socialiste. Tout cela, les masses populaires le comprennent bien.

Il aborde ensuite la manière correcte de traiter des problèmes idéologiques dans le peuple, comme la religion :

Nous sommes pour une liberté qui s’accompagne d’une direction et pour une démocratie à direction centralisée, mais cela ne signifie nullement qu’on puisse recourir à la contrainte pour résoudre les questions idéologiques et les questions portant sur la distinction entre le vrai et le faux qui surgissent au sein du peuple. Tenter de résoudre ces questions au moyen d’ordres administratifs ou de la contrainte est non seulement inefficace, mais nuisible. Nous ne pouvons supprimer la religion avec des ordres administratifs, ni forcer les gens à ne pas croire. On ne peut obliger les gens à renoncer à l’idéalisme ni à adopter le marxisme. Toute question d’ordre idéologique, toute controverse au sein du peuple ne peut être résolue que par des méthodes démocratiques, par la discussion, la critique, la persuasion et l’éducation ; on ne peut la résoudre par des méthodes coercitives et répressives. Mais afin de pouvoir exercer une activité productrice efficace, étudier avec succès et vivre dans des conditions où règne l’ordre, le peuple exige de son gouvernement, des dirigeants de la production et des dirigeants des institutions de culture et d’éducation qu’ils émettent des ordres administratifs appropriés ayant un caractère contraignant. Le bon sens indique que sans ces derniers, il serait impossible de maintenir l’ordre dans la société. Dans la solution des contradictions au sein du peuple, les ordres administratifs et les méthodes de persuasion et d’éducation se complètent mutuellement. Même les ordres administratifs émis pour maintenir l’ordre dans la société doivent être accompagnés d’un travail de persuasion et d’éducation, car le seul recours aux ordres administratifs est, dans bien des cas, inefficace.

On règle les questions idéologiques par la persuasion, pas par la contrainte. (Ça me fait penser à la question du voile aujourd’hui en Europe.) D’autres questions supposent la contrainte. On pourrait s’arrêter là : on a établi dialectiquement une classification des problèmes en deux catégories, ceux qui relèvent de la persuasion et ceux qui relèvent de la contrainte. La dialectique ne s’arrête pas là, dit Mao, même la contrainte administrative doit s’accompagner de persuasion.

430 II. L’élimination des contre-révolutionnaires

433 III. La coopération agricole

436 IV. Les industriels et les commerçants

438 V. Les intellectuels

440 VI. Les minorités nationales

441 VII. Planification d’ensemble et dispositions appropriées

443 VIII. « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » et « Coexistence à long terme et contrôle mutuel »

450 IX. Les troubles créés par un petit nombre de gens

451 X. Une chose mauvaise peut-elle se transformer en une bonne ?

453 XI. Le régime de stricte économie

455 XII. La voie de l’industrialisation de la Chine

Soyons les promoteurs de la révolution

3e session plénière élargie du Comité central issu du 8e congrès, 9 octobre 1957.

Œuvres choisies, tome 5, pp 525‑540.

Nous devons connaître la technique agricole ; faute de quoi, il devient impossible de développer l’agriculture. La politique et l’activité professionnelle constituent une unité des contraires. La politique en est l’aspect principal, primordial ; il faut absolument combattre la tendance à se désintéresser de la politique. Mais si on ne s’occupe que d’elle, sans avoir de connaissances techniques et professionnelles, ça ne va pas non plus. Qu’ils se consacrent à l’industrie, à l’agriculture, au commerce, à la culture ou à l’enseignement, nos camarades doivent tous acquérir de telles connaissances. je pense qu’il faut également formuler un plan de dix ans pour cela. Nos cadres de tous les secteurs, de tous les métiers doivent s’appliquer à maîtriser la technique et leur spécialité, devenir des compétences, être à la fois rouges et experts. [...] Mais il ne suffit pas d’être rouge, il faut avoir aussi des aptitudes professionnelles et techniques. Maintenant, bien des cadres sont seulement rouges, ils ne sont pas experts ; ils n’ont pas de connaissances professionnelles et techniques. Les droitiers disent que nous sommes incapables de diriger, que « les profanes ne peuvent diriger les initiés ». Nous leur répliquons que nous sommes capables de diriger. Nous entendons par là que nous le sommes sur le plan politique. Quant à la technique, nous avons encore beaucoup à apprendre, mais il nous est certainement possible de l’assimiler. (P. 531.)


Un dernier point : nous devons redoubler d’énergie et faire de durs efforts dans l’étude. Notez ces trois mots : « faire », « durs » et « efforts » ; il faut absolument redoubler d’énergie et faire de durs efforts. Actuellement, nombre de nos camarades n’en font pas, et certains emploient l’énergie qui leur reste après le travail surtout à jouer aux cartes et au ma-jong, et à danser ; je trouve que cela n’est pas bien. Nous devons consacrer le surplus de notre énergie principalement à l’étude et en prendre l’habitude. Que faut-il donc étudier ? Le marxisme-léninisme, la technologie, les sciences naturelles. Il y a, en outre, la littérature, surtout les théories littéraires, que les cadres dirigeants doivent connaître un peu. De plus, il importe qu’ils aient quelques notions de journalisme et de pédagogie. Bref, il existe un large éventail de connaissances, dont nous devons nous faire au moins une idée générale. Car c’est nous qui sommes censés assumer la direction dans tous ces domaines ! (Pp  538‑539.)

D’où viennent les idées justes ?

Mai 1963.

http://classiques.chez-alice.fr/mao/ideesjustes.html

Tombent-elles du ciel ? Non. Sont-elles innées ? Non. Elles ne peuvent venir que de la pratique sociale, de trois sortes de pratique sociale : la lutte pour la production, la lutte de classes et l’expérimentation scientifique. L’existence sociale des hommes détermine leur pensée. Et les idées justes qui sont le propre d’une classe d’avant-garde deviennent, dès qu’elles pénétrent les masses, une force matérielle capable de transformer la société et le monde. Engagés dans des luttes diverses au cours de la pratique sociale, les hommes acquièrent une riche expérience, qu’ils tirent de leurs succès comme de leurs revers. D’innombrables phénomènes du monde extérieur objectif sont reflétés dans le cerveau par le canal des cinq organes des sens — la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; ainsi se constitue, au début, la connaissance sensible. Quand ces données sensibles se sont suffisamment accumulées, il se produit un bond par lequel elles se transforment en connaissance rationnelle, c’est-à-dire en idées. C’est là un processus de la connaissance. C’est le premier degré du processus général de la connaissance, le degré du passage de la matière, qui est objective, à l’esprit, qui est subjectif, de l’être à la pensée. À ce degré, il n’est pas encore prouvé que l’esprit ou la pensée (donc les théories, la politique, les plans, les moyens d’action envisagés) reflètent correctement les lois du monde objectif ; il n’est pas encore possible de déterminer s’ils sont justes ou non. Vient ensuite le second degré du processus de la connaissance, le degré du passage de l’esprit à la matière, de la pensée à l’être : il s’agit alors d’appliquer dans la pratique sociale la connaissance acquise au cours du premier degré, pour voir si ces théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. produisent les résultats attendus. En général, est juste ce qui réussit, est faux ce qui échoue ; cela est vrai surtout de la lutte des hommes contre la nature. Dans la lutte sociale, les forces qui représentent la classe d’avant-garde subissent parfois des revers, non qu’elles aient des idées fausses, mais parce que, dans le rapport des forces qui s’affrontent, elles sont temporairement moins puissantes que les forces de la réaction ; de là viennent leurs échecs provisoires, mais elles finissent toujours par triompher. En passant par le creuset de la pratique, la connaissance humaine fait donc un autre bond, d’une plus grande signification encore que le précèdent. Seul, en effet, ce bond permet d’éprouver la valeur du premier, c’est-à-dire de s’assurer si les idées, théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. élaborés au cours du processus de réflexion du monde objectif sont justes ou faux ; il n’y a pas d’autres moyen de faire l’épreuve de la vérité. Or, si le prolétariat cherche à connaître le monde, c’est pour le transformer ; il n’a point d’autre but. Pour que s’achève le mouvement qui conduit à une connaissance juste, il faut souvent mainte répétition du processus consistant à passer de la matière à l’esprit, puis de l’esprit à la matière, c’est-à-dire de la pratique à la connaissance, puis de la connaissance à la pratique. Telle est la théorie marxiste de la connaissance, la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance.

Un communiste albanais a critiqué vertement ce qu’il considère comme simpliste et réducteur dans la théorie de la connaissance de Mao.

Retour en haut de la page