Dominique Meeùs
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Avertissement : humains (femmes et hommes) et autres problèmes du masculin en français — Warning : humans (women and men) and other problems of the masculine in English.

Dans les Manuscrits de 44, on trouve, rapprochées, des considérations sur les rapports entre les hommes et les femmes, avec, parfois dans la même phrase, d’autres hommes, dans le sens d’êtres humains en général. L’allemand a pour cela deux mots différents : Man, le mâle de notre espèce, et Mensch, l’être humain en général, femelle ou mâle. (Il en est de même en néerlandais.) En français et en anglais, un seul mot sert aux deux et le contexte est supposé suffisant pour différencier. Cependant, quand je lis dans mon exemplaire de 1962 aux Éditions sociales la phrase : « Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l’homme à l’homme est le rapport de l’homme à la femme », je ne sais de l’absurdité et du ridicule lequel l’emporte.

En français, humain n’est pas seulement un adjectif (qu’on pourrait utiliser substantivement), c’est un substantif bien établi. Il semble qu’il en est de même de human en anglais. Dans le passage où on trouve la phrase, j’ai corrigé en humain mis en évidence les occurrences litigieuses d’homme dans la traduction originale. Je n’ai pas osé corriger l’anglais. Je me suis contenté de souligner les man qui veulent dire human. (Je ne suis pas sûr de pouvoir toujours substituer l’un à l’autre, sans parfois devoir modifier la phrase.)

See a piece from the 1844 Manuscripts. A possible confusion between man, as any human being, and man as male is avoided by the use of person in « The direct, natural, and necessary relation of person to person is the relation of man to woman. » But then the text goes on using man for person. I did not correct (as I did in French), but did emphasize by a background colour the problematic occurrences of man.

J’hésite à corriger de même tout ce que j’ai noté des Manuscrits de 44. J’hésite aussi à corriger tout de ce que j’ai noté de tous les classiques du marxisme.

Il y a des exemples, non sans conséquences, où on a pris pour argent comptant un masculin qui n’était que grammatical. Dans son papier fameux, « The Political Economy of Women’s Liberation » (de 1969, mais dont une ébauche au moins aurait circulé depuis 1967), Margaret Benston est la première à tenter une analyse de la situation de la femme en s’appuyant formellement sur l’analyse que Marx fait du capitalisme. Elle cite Ernest Mandel (qu’elle suppose représentant fiable du marxisme) disant « The appearance of commodity production and its subsequent regularization and generalization have radically transformed the way men labor and how they organize society1 », et, prenant men dans le sens d’humains mâles, elle en déduit que les femmes ne sont pas concernées. Tout son système part de cette erreur grammaticale et cela influencera une bonne partie des réflexions se voulant marxistes sur la question des femmes. Or elle aurait bien sûr pu trouver une telle forme grammaticale dans une traduction en anglais du Capital de Marx.

Notes
1.

Ernest Mandel, An Introduction to Marxist Economic Theory, Merit Publishers, New York, 1967, pp. 10-11.

Dans la version française (1964), on lit : « L’apparition, puis la régularisation et la généralisation de la production de marchandises a transformé radicalement la manière dont les hommes travaillent et dont ils organisent la société » avec le même problème des « hommes ». En néerlandais (1964), on a : « Het ontstaan en later de regulering en veralgemening van de warenproductie heeft een radicale verandering teweeggebracht in de manier waarop de mensen werken en de maatschappij organiseren », où il s’agit bien de « mensen », les gens, les humains, en non « mannen » pour les seuls mâles de l’espèce.

Je trouve qu’on pouvait le deviner en anglais et en français, mais Margaret Benston n’a pas fait la même lecture que moi (et pouvait difficilement comparer avec le néerlandais).