Dominique Meeùs
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Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme

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P. 171 et suivantes, dialnat19.html. Cet article au moins se trouve en néerlandais : Marxists Internet Archive.

Engels note que déjà chez les singes, qui marchent plutôt à quatre pattes (p. 172 1/5), il y a une spécialisation des mains qui servent à grimper (p. 172 ½).

[*] Gould 1979:188ss. Les mains du singe ont aussi une capacité de préhension. Cela annonce « p. 172 ⅘la main de l’homme hautement perfectionnée par le travail de milliers de siècles ». Ce qui est original ici c’est, comme le souligne Stephen Jay Gould [*], l’intuition de l’antériorité la station debout, de la main et du travail sur le développement du cerveau. Engels associe à l’idéalisme dominant (la primauté de la pensée sur la matière), l’idée que l’hominisation serait d’abord le développement du cerveau (p. 178). Il en fait un exemple de biais idéologique en science.

[**] de Duve 1996a:382. Christian de Duve [**] insiste aussi sur la relation dialectique entre la main et le cerveau dans l’évolution par sélection naturelle : « Du cerveau à la main et, en retour, de la main au cerveau, ainsi s’initia un va-et-vient d’impulsions, s’amplifiant de lui-même, qui allait changer le monde. »

Darwin constate sans l’expliquer la diversité des traits qui se transmettent par hérédité. Cela apparaît donc comme l’effet du hasard. Dans cette diversité, une sélection naturelle se fait a posteriori selon l’adaptation à l’environnement. Engels, qui a montré en faisant la leçon à Dühring qu’il comprend parfaitement le mécanisme de la sélection naturelle, peut dans l’abstention de Darwin sur l’origine de la diversité, concilier logiquement Lamarck et Darwin, comme on le voit ici (page 173 ¼) et à plus d’un endroit : « la souplesse plus grande ainsi acquise se transmit par hérédité et augmenta de génération en génération »). En plein délire lyssenkiste, la rédaction des Éditions sociales va plus loin en note de bas de page en affirmant « de multiples preuves expérimentales de l’hérédité des caractères acquis sous l’influence du milieu ».

Cependant Engels a entrevu avec justesse l’importance du travail et l’enchaînement travail, société, parole, pensée.

Dans cette étude sur l’évolution qui a conduit à l’homme, il y a des considérations importantes sur la nature et l’écologie. On trouve dans la nature des phénomènes destructeurs :

Il y a ici, comme ailleurs, quelques accents transformistes et une génétique spéculative basée sur la composition chimique du sang.

Ce passage s’oppose à la vision béate d’une nature stable et harmonieuse que seul l’homme aurait le tort de perturber. Ici au contraire, il oppose le chasseur plus raisonnable au loup destructeur. Il revient sur la capacité de l’homme, contrairement à l’animal, de faire dans la nature des interventions raisonnées :

Ainsi l’homme se distingue de l’animal en dominant la nature et il pourra la dominer pleinement sous le socialisme, comme il le dit au chapitre des Notions théoriques de la troisième partie, Socialisme de l’Anti-Dühring (et il le reprend textuellement vers la fin de Socialisme utopique et socialisme scientifique). Avec le socialisme, les hommes dépassent leur animalité et « deviennent consciemment de véritables seigneurs de la nature ».

Cependant Engels rappelle que l’homme peut faire des dégâts, qu’il faut comprendre le lien dialectique qui unit l’homme à la nature :

La position d’Engels, c’est que l’homme, différent des autres animaux, a la capacité de dominer et de maîtriser son environnement naturel. C’est dans l’ordre des choses, c’est la nature qui l’a fait ainsi. Cette domination n’est pas arbitraire (« comme un conquérant »), mais doit s’appuyer sur la connaissance des lois de la nature. Engels ne dit donc pas que c’est une erreur ou une illusion de dominer la nature ; il met en garde contre les erreurs possibles. Ce ne peut être que ce passage que Foster à en vue quand il dit « Komrov quoted at lenght from the long passage on the illusion of the conquest of nature in Engel’s Dialectics of Nature » (Foster 2009). Foster se trompe ou sollicite le texte. (Il n’est pas seul parmi marxistes plus verts que rouges qui citent cet avertissement de manière consciemment malhonnête, en omettant le contexte, sans dire que Marx et Engels sont avant tout pour la domination de la nature.) Apprendre les lois de la nature pour améliorer et renforcer sa domination de la nature, c’est bien la conquête de la nature et ce n’est pas une illusion. Engels ne dénonce donc en rien « l’illusion » de la conquête de la nature, mais il met en garde contre une attitude de « conquérant » dans le sens particulier que cela prend si l’on pense aux Croisades ou plus encore à la conquête de l’Amérique, au massacre de ses habitants, à leur remplacement par des esclaves d’Afrique. Si on lui applique ce genre de méthodes, alors là, oui, la nature « se venge », dit Engels.

Bref, Engels propose la relation dialectique de l’homme à la nature où l’homme la domine tout en lui appartenant. Dans la nature, l’homme n’est pas un étranger (le « conquérant »). Il est uni à la nature « corps et âme », selon l’expression consacrée. Engels en tire une réfutation du dualisme cartésien qui sépare « âme » et corps.

Après les conséquences naturelles de l’action de l’homme, il passe aux conséquences sociales.

Une économie qui tiendrait compte de ces conséquences suppose un changement de société.

Tous les modes de production ont négligé ces conséquences, d’abord peut-être par simple ignorance, ensuite, dans les modes de production de classe, parce que les classes dominantes n’ont tenu compte que de leurs intérêts immédiats, plus encore dans le capitalisme.

Notes
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À l’époque où Engels écrivait ces lignes, c’était une opinion répandue dans les milieux médicaux que la scrofulose (la tuberculose des glandes du cou) était due à la consommation des pommes de terre. Il y a bien une liaison causale, dans ce sens que la scrofulose est une affection des gens mal nourris, y compris ceux dont la nourriture se compose exclusivement de pommes de terre. Mais il n’est pas absolument évident que les pommes de terre en tant que telles jouent un rôle dans la genèse de cette maladie. (N.R.)
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