Dominique Meeùs
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À propos de la dialectique comme reflet :
P. 204. ¼. Chez Hegel lui-même, cela est mystique, puisque les catégories apparaissent chez lui comme préexistantes et la dialectique du monde réel comme leur pur reflet. En réalité, c’est l’inverse : la dialectique dans la tête n’est que le reflet des formes du mouvement du monde réel, tant de la nature que de l’histoire.
Mots-clefs : ❦ mathématiques supérieures ❦ mathématiques élémentaires ❦ mathématiques, nécessitent la dialectique
Le philosophe dialectique « bouleverse la science » (et affiche son incompréhension des mathématiques) :
P. 204. ⅓. Jusqu’à la fin du siècle dernier et même jusqu’en 1830, les savants s’en tiraient à peu près à l’aide de la vieille métaphysique, puisque la science effective n’allait pas au-delà de la mécanique (terrestre et cosmique). Cependant les mathématiques supérieures apportaient déjà une certaine confusion en considérant la vérité éternelle des mathématiques élémentaires comme un point de vue dépassé, en affirmant souvent le contraire et en posant des principes qui sont, aux yeux des mathématiques élémentaires, pure absurdité. Ici, les catégories figées qui fondaient les mathématiques étaient arrivées sur un terrain où même des relations aussi simples que celles de la pure quantité abstraite, le mauvais infini, prenaient un aspect parfaitement dialectique et obligeaient les mathématiciens, spontanément et contre leur gré, à devenir dialecticiens. Rien de plus comique que les faux-fuyants, les mauvais subterfuges et les expédients des mathématiciens pour résoudre cette contradiction, réconcilier les mathématiques supérieures et élémentaires, s’expliquer que ce qui se livrait à eux comme un résultat indéniable n’était pas pure stupidité — et, en général, pour expliquer rationnellement le point de départ, la méthode et les résultats des mathématiques de l’infini.
Le bras m’en tombent. ! Depuis la Grèce antique, les mathématiciens ont fait des prodiges, à la gloire de l’intelligence humaine. Ce n’était pas facile et il a parfois fallu tâtonner. Ce qui est comique, ce ne sont pas les difficultés et les exploits géniaux des mathématiciens, c’est la prétention d’Engels lorsqu’il juge cela « comique ». (Il faut se rappeler constamment que ceci n’est pas un texte destiné à la publication. Moi aussi je peux écrire dans des notes personnelles des sottises que je corrigerais si j’avais à les publier. Le problème, c’est ceux qui considèrent les sottises privées d’Engels comme vérité d’Évangile.) Ce qu’il en dit montre seulement que lui-même n’y comprend rien et la dialectique ne vient rien y faire d’intéressant pour les mathématiciens, même « contre leur gré ».
P. 205 ¼. La dialectique dépouillée du mysticisme devient une nécessité absolue pour la science de la nature, qui a quitté le domaine où suffisaient les catégories fixes, représentant pour ainsi dire les mathématiques élémentaires de la logique, son emploi pour les besoins domestiques. La philosophie exerce une vengeance posthume sur la science de la nature coupable de l’avoir abandonnée. Et cependant les savants auraient pu voir déjà, d’après l’exemple des succès de la philosophie dans la science de la nature, que, dans toute cette philosophie, il y avait quelque chose qui les battait sur leur propre terrain.
Quels succès de la philosophie dans les sciences de la nature ? Comment la philosophie peut elle battre les scientifiques « sur leur propre terrain » ? C’est n’avoir aucune idée des relations entre science et philosophie. C’est d’une prétention tellement naïve qu’elle fait pitié. Engels se prend pour un génie par procuration lorsque son ignorance lui fait croire que son héros Hegel l’emporte sur les savants. (Si moi je me rengorge de fierté lorsque Kim Clijsters gagne un match, je suis un chauvin ridicule, mais au moins c’est un fait que Clijsters a gagné. Engels est doublement ridicule quand il se rengorge des succès de Hegel parce qu’en plus les victoires de son champion sont inexistantes.)
Les savants font rarement de la bonne science grâce à la philosophie. Steven Weinberg a écrit sur la philosophie « Against Philosophy », chapitre 7 de Dreams of a Final Theory : Search for the Ultimate Laws of Nature, Hutchinson Radius, Londres, 1993, ISBN : 0-09-177395-4. Il n’est en fait pas du tout contre la philosophie, mais il montre que la philosophie peut paralyser les savants : voir p. 141-142 sa discussion de la découverte de l’électron par Thomson et pas par Kaufmann.
Sur la « philosophie spontanée des savants » :
Engels n’est pas inintéressant — bien que toujours excessif et suffisant — sur la « philosophie spontanée des savants », pour reprendre (si je peux me permettre cet anachronisme) l’expression d’Althusser.
P. 211 ⅛ Les savants croient se libérer de la philosophie en l’ignorant ou en la vitupérant. Mais, comme, sans pensée, ils ne progressent pas d’un pas et que, pour penser, ils ont besoin de catégories logiques, comme, d’autre part, ils prennent ces catégories, sans en faire la critique, soit dans la conscience commune des gens soi-disant cultivés, conscience qui est dominée par des restes de philosophies depuis longtemps périmées, soit dans les bribes de philosophie recueillies dans les cours obligatoires de l’université (ce qui représente non seulement des vues fragmentaires, mais aussi un pêle-mêle des opinions de gens appartenant aux écoles les plus diverses et la plupart du temps les plus mauvaises), soit encore dans la lecture désordonnée et sans critique de productions philosophiques de toute espèce, ils n’en sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise. Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques.
P. 211 ⅔ Les savants ont beau faire, ils sont dominés par la philosophie. La question est seulement de savoir s’ils veulent être dominés par quelque mauvaise philosophie à la mode, ou s’ils veulent se laisser guider par une forme de pensée théorique qui repose sur la connaissance de l’histoire de la pensée et de ses acquisitions.
(*) Attribué à Newton. Physique, garde-toi de la métaphysique ! (*) c’est tout à fait juste, mais dans un autre sens.
Les savants gardent à la philosophie un reste de vie factice en tirant parti des déchets de l’ancienne métaphysique. Ce n’est que lorsque la science de la nature et de l’histoire aura assimilé la dialectique que tout le bric-à-brac philosophique — à l’exception de la pure théorie de la pensée — deviendra superflu et se perdra dans la science positive.
Dans le deuxième passage, au delà de la « philosophie spontanée des savants », il aborde la question de la fin de la philosophie, qu’il rejette sans pouvoir s’en défaire. La philosophie disparaît dans la mesure où elle « se perdra dans la science positive », mais elle revient, cachée par un passe-partout purement verbal, sous le déguisement de « pensée théorique » et, pire, de « pure théorie de la pensée ».
Comparer à un passage du Feuerbach où, sans parler de « pure théorie de la pensée », la dialectique offrirait une synthèse générale des résultats des sciences positives.