Dominique Meeùs
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Table of contents
Mots-clefs : ❦ nature, immuabilité ❦ Newton ❦ nature immuable, brisée par la science ❦ homme, non purement animal ❦ homme, se fait par le travail ❦ naturel, pas de distinction entre — et chimique ❦ chimique, pas de distinction entre naturel et — ❦ organique, synthèse de composés —
p. 194 ⅔La première période de la science moderne de la nature se clôt — dans le domaine du monde non organique — avec Newton. C’était la période où elle acquit la maîtrise des matériaux donnés ; elle accomplit de grandes choses dans le domaine de la mathématique, de la mécanique et de l’astronomie, de la statique et de la dynamique, en particulier grâce à Kepler et à Galilée, dont les conclusions ont été tirées par Newton. Mais, dans le domaine organique, on n’avait pas dépassé les premiers rudiments. L’étude des formes de vie qui se succèdent et s’évincent dans l’histoire, de même que celle des conditions changeantes de vie qui leur correspondent — la paléontologie et la géologie — n’existent pas encore. La nature n’était somme toute pas considérée comme quelque chose qui se développe dans l’histoire, qui a son histoire dans le temps ; on ne tenait compte que de l’extension dans l’espace ; les diverses formes n’avaient pas été groupées par les savants selon leur succession, mais seulement selon leur juxtaposition ; l’histoire de la nature était valable pour tous les temps, comme les ellipses que décrivent les planètes. Pour toute étude plus poussée des p. 195formes de la vie organique, il manquait les deux bases primordiales, la chimie et la connaissance de la structure organique fondamentale, la cellule. La science de la nature, révolutionnaire à ses débuts, se trouvait en face d’une nature absolument conservatrice dans laquelle tout était, aujourd’hui encore, tel qu’il avait été depuis le commencement du monde, et dans laquelle, jusqu’à la fin du monde, tout resterait tel qu’il avait été dès le début.
Il est caractéristique que cette conception conservatrice de la nature, aussi bien dans le domaine non organique que dans le domaine organique [… (phrase inachevée)].
Mathématique | Physique | Paléontologie | Physiologie végétale | Thérapeutique |
Astronomie | Chimie | Géologie | Physiologie animale | Diagnostique |
Mécanique | Minéralogie | Anatomie |
Première brèche : Kant et Laplace. Deuxième : géologie et paléontologie (Lyell, développement lent). Troisième : chimie organique, qui produit des corps organiques et dégage la validité des lois chimiques pour les corps vivants. Quatrième : 1842 [Théorie] mécanique de la chaleur, Grove. Cinquième : Darwin, Lamarck, cellule, etc. (Lutte, Cuvier et Agassiz). Sixième : l’élément comparatif en anatomie, climatologie (isothermes), géographie animale et végétale (voyages d’exploration scientifiques depuis le milieu du 18e siècle) géographie physique en général (Humboldt), la mise en liaison des matériaux. Morphologie (embryologie, Baer).
La vieille téléologie s’en est allée au diable, mais maintenant la certitude est bien établie que, dans son cycle éternel, la matière se meut selon des lois qui, à un stade déterminé — tantôt ici, tantôt là — produisent nécessairement dans des êtres organiques l’esprit pensant.
L’existence normale des animaux est donnée dans les conditions simultanées à leur existence, dans lesquelles ils vivent et auxquelles ils s’adaptent ; celles de l’existence de l’homme, dès qu’il se différencie de l’animal au sens étroit du terme, sont absolument inédites ; elles doivent d’abord être élaborées par le développement historique qui suit. L’homme est le seul animal qui puisse sortir par le travail de l’état purement animal ; son état normal est celui qui correspond à la conscience et qu’il doit lui-même créer.
Le Baer qu’il associe au mot embryologie s’est opposé à la théorie de la récapitulation, en tout cas à la récapitulation de formes adultes.
Mots-clefs : ❦ découverte scientifique, trois grandes — ❦ chaleur, équivalent mécanique ❦ énergie, transformation de l’— ❦ énergie, conservation ❦ cellule, unité du vivant ❦ Mayer ❦ Joule ❦ Colding ❦ Schwann ❦ Schleiden ❦ Darwin ❦ évolution ❦ naturel, pas de distinction entre — et chimique ❦ chimie organique, synthèse de composés
p. 196 ⅓Mais, vers cette même époque, la science de la nature empirique prit un tel essor et obtint des résultats si éclatants que non seulement cela permit de triompher complètement de l’étroitesse mécaniste du 18e siècle, mais, grâce à la démonstration qui fut faite des liens existant dans la nature même entre les différents domaines de recherches (mécanique, physique, chimie, biologie, etc.), la science de la nature se transforma elle-même de science empirique en science théorique, et, avec la synthèse des résultats acquis, en un système de connaissance matérialiste de la nature. La mécanique des gaz, la chimie organique nouvellement créée qui dépouilla l’une après l’autre ce qu’on appelait les combinaisons organiques de leur dernier reste de mystère en les produisant à l’aide de matières inorganiques, l’embryologie scientifique qui datait de 1818, la géologie et la paléontologie, l’anatomie comparée des plantes et des animaux, toutes fournirent une matière nouvelle dans des proportions inouïes jusque-là. Mais trois grandes découvertes furent d’une importance décisive.
p. 197La première fut la preuve de la transformation de l’énergie découlant de la découverte de l’équivalent mécanique de la chaleur (par Robert Mayer, Joule et Colding). Il est prouvé maintenant que toutes les innombrables causes agissant dans la nature, qui, jusqu’alors, menaient sous la dénomination de forces une existence mystérieuse, inexpliquée — la force mécanique, la chaleur, le rayonnement (lumière et chaleur rayonnante), l’électricité, le magnétisme, la force chimique de combinaison et de décomposition — sont des formes, des modes d’existence particuliers d’une seule et même énergie, c’est-à-dire du mouvement ; non seulement nous pouvons prouver que leur transformation, leur passage d’une forme à l’autre se produit continuellement dans la nature, mais nous pouvons les réaliser elles-mêmes dans le laboratoire et l’industrie, et cela de telle façon qu’à une quantité donnée d’énergie sous une forme correspond toujours une quantité déterminé donnée d’énergie sous telle ou telle autre forme. Ainsi nous pouvons exprimer l’unité de quantité de chaleur en kilogrammètres, et les unités ou quantités quelconques d’énergie électrique ou chimique à leur tour en unités de quantité de chaleur et inversement ; de même nous pouvons mesurer la quantité d’énergie reçue ou dépensée par un organisme vivant et l’exprimer dans une unité quelconque, par exemple, en unités de quantité de chaleur. L’unité de tout le mouvement dans la nature n’est plus une affirmation philosophique, mais un fait scientifique.
La deuxième découverte — quoique antérieure dans le temps — est celle de la cellule organique par Schwann et Schleiden, de la cellule en tant qu’unité d’où naissent et grandissent par multiplication et différenciation tous les organismes, à l’exception des plus inférieurs. C’est grâce à cette découverte seulement que l’étude des produits organiques vivants de la nature — aussi bien l’anatomie et la physiologie comparées que l’embryologie — a trouvé un terrain solide. On avait dépouillé de leur secret la formation, la croissance et la structure des organismes ; le miracle, jusqu’ici incompréhensible, s’était résolu en un processus s’accomplissant selon une loi essentiellement identique pour tous les organismes pluricellulaires.
Mais il restait encore une lacune essentielle. Si tous les organismes pluricellulaires — plantes, ainsi qu’animaux, y compris l’homme — sont issus chacun d’une seule cellule selon la loi de la division cellulaire, d’où vient alors la diversité infinie de ces organismes ? C’est à cette question qu’a répondu la troisième grande découverte la théorie de l’évolution exposée et fondée pour la première fois par Darwin de façon systématique. Quelles que soient les transformations diverses par lesquelles cette théorie passera encore dans le détail, dans l’ensemble elle résout dès maintenant le problème de manière plus que suffisante. La preuve est établie dans ses grandes lignes de la série évolutive des organismes à partir p. 198de quelques organismes simples jusqu’aux organismes de plus en plus variés et de plus en plus compliqués, tels que nous les voyons aujourd’hui sous nos yeux, pour s’élever jusqu’à l’homme ; ce qui permet non seulement l’explication des produits organiques de la nature existant actuellement, mais le fondement de la préhistoire de l’esprit humain, de la recherche des différents stades d’évolution depuis le simple protoplasme sans structure, mais sensible aux excitations, des organismes inférieurs jusqu’au cerveau pensant de l’homme. Or, sans cette préhistoire, l’existence du cerveau pensant de l’homme reste un miracle.
Avec ces trois grandes découvertes, les processus principaux de la nature sont expliqués, ramenés à leur cause naturelle. Une seule chose reste encore à faire ici : expliquer la naissance de la vie à partir de la nature inorganique. Au stade actuel de la science, cela ne signifie pas autre chose que produire des albuminoïdes à l’aide de substances non organiques. La chimie approche de plus en plus de la solution de ce problème. Elle en est encore très loin. Mais, si nous réfléchissons que c’est seulement en 1828 que Wœhler a obtenu le premier corps organique, l’urée, avec des matériaux inorganiques et que l’on prépare maintenant des combinaisons organiques innombrables de façon artificielle, sans aucune substance organique, nous n’allons pas donner à la chimie l’ordre de faire « halte » devant l’albumine. Jusqu’à présent, elle peut produire toute substance organique dont elle connaît exactement la composition. Dès que sera connue la composition des corps albuminoïdes, elle pourra procéder à la production de l’albumine vivante. Mais ce serait exiger un miracle qu’elle dût du jour au lendemain produire ce que la nature elle-même ne réussit à réaliser que dans des circonstances très favorables, sur quelques corps célestes au bout de millions d’années.
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Dialectique de la nature, Fragment retranché du Feuerbach Le matérialisme exclut l’ « adjonction étrangère », la prise en compte d’un « autre monde ».
Il est vrai que la conception matérialiste de la nature ne signifie rien d’autre qu’une simple intelligence de la nature telle qu’elle se présente, sans adjonction étrangère […]
Denis Collin (« La dialectique de la nature contre le matérialisme » ?) fait remarquer qu’après avoir dit ça, Engels introduit une conception de la dialectique (les « lois » hégéliennes) qui peut présenter le caractère d’une « adjonction étrangère ».
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Les savants n’aiment pas les « adjonctions étrangères » : mêmes croyants, ils font à Dieu aussi peu de place que possible.
Dieu n’est nulle part plus maltraité que par les savants qui croient en lui. Les matérialistes expliquent simplement l’état des choses sans recourir à ce genre de phraséologie ; ils ne le font que lorsque des croyants importuns veulent leur imposer Dieu, et alors ils répondent brièvement, soit comme Laplace : « Sire, je n’avais, etc.* », soit plus vertement, à la manière des commerçants hollandais qui habituellement mettent à la porte les commis voyageurs allemands essayant de leur imposer leur camelote, avec ces mots : « ik kan die zaken niet gebruiken** » et l’affaire est liquidée. Mais qu’est-ce que Dieu n’a pas dû supporter de la part de ses défenseurs ! Dans l’histoire des sciences modernes de la nature, Dieu est traité par eux comme Frédéric-Guillaume III par ses généraux et ses fonctionnaires dans la campagne d’Iéna. Un corps d’armée dépose les armes après l’autre, une forteresse capitule après l’autre devant l’assaut de la science, jusqu’à ce qu’elle ait finalement conquis tout le domaine infini de la nature et qu’il ne reste plus place en elle pour le créateur. Newton lui laissait encore « l’impulsion première », mais ne souffrait aucune autre intrusion dans son système solaire. Le père Secchi lui rend certes tous les honneurs canoniques, mais ne l’en éconduit pas moins de façon catégorique de son système solaire, et ne lui permet plus guère un acte de création qu’en ce qui concerne la nébuleuse primitive.