Dominique Meeùs
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Mots-clefs : ❦ dialectique, de la nature
La dialectique dite objective règne dans toute la nature, et la dialectique dite subjective, la pensée dialectique, ne fait que refléter le règne, dans la nature entière, du mouvement par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et leur conversion finale l’un en l’autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature.
[*] Il faudrait examiner l’allemand. Faut-il interpréter « règne [*] dans toute la nature » au sens fort (elle règne, souverainement, comme moteur du monde) ou au sens faible (elle a lieu partout) ? La suite est compatible avec le sens faible : dans « le règne [*], dans la nature entière, du mouvement par opposition des contraires », le singulier « du mouvement » ne serait pas la contradiction dialectique, in abstracto, comme moteur du monde, mais la pluralité des contradictions concrètes qui sont, à leur niveau, le moteur de tous les divers mouvements. Cela correspondrait à l’insistance de Mao Tsé-toung sur le caractère spécifique de la contradiction. Au sens faible, la thèse a un sens, même si elle est, à mon avis, fausse. (J’en discute, entre autres, en commentant le chapitre 12 de l’Anti-Dühring.)
Le développement de n’importe quel concept ou rapport de concepts (positif et négatif, cause et effet, substance et accident) dans l’histoire de la pensée est à son développement dans la tête du dialecticien pris individuellement, comme le développement d’un organisme dans la paléontologie est à son développement dans l’embryologie (on pourrait dire dans l’histoire et dans l’embryon isolé). Qu’il en soit ainsi, Hegel l’a découvert le premier en ce qui concerne les concepts. Dans le développement historique, la contingence joue son rôle qui, dans la pensée dialectique comme dans le développement de l’embryon, se résume en nécessité.
Au tournant des 18e et 19e siècles On a cru que certains embryons passaient par des stades rappelant des embryons d’espèces « inférieures ». (Inférieures dans une hiérarchisation prédarwinienne du vivant.) Plus tard on a même prétendu y voir le rappel de formes adultes inférieures. C’est ce qu’on a appelé la théorie de la récapitulation, qui n’a été vraiment réfutée qu’au 20e siècle. Il est donc normal qu’Engels considère ça comme scientifique. Tirer de là, quand bien même la théorie de la récapitulation aurait été plus sérieuse, que le développement d’un concept (ou d’un rapport) dans le cerveau d’un penseur rappelle le développement historique de ce concept (ou de ce rapport), c’est une conclusion analogique invalide. Hegel ne peut avoir « découvert » ce qui n’est pas, ce qui n’est pas plus dans la pensée que dans la biologie.
Cela me paraît témoigner d’une confusion entre science, logique et philosophie. Depuis, un certain nombre de courageux ont écrit sur la « logique dialectique », mais je ne pense pas que personne ait jamais pu expliquer ce que ça peut vouloir dire. Ces auteurs ont sans doute eu de bonne foi l’impression d’y entrevoir quelque chose. Les écrits sur la « logique dialectique » me donnent toujours l’impression de discours incantatoires, exégèse d’écrits antérieurs pris comme argent comptant.
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Mots-clefs : ❦ induction ❦ abstraction ❦ preuve, par la pratique
p. 231 ½ Induction et analyse. Combien est peu fondée la prétention de l’induction d’être la forme unique ou du moins prédominante de la découverte scientifique, la thermodynamique en donne un exemple frappant. La machine à vapeur a donné la preuve la plus péremptoire que l’on peut mettre en jeu de la chaleur et obtenir du mouvement mécanique. 100 000 machines à vapeur ne l’ont pas mieux démontré qu’une seule ; elles ont seulement contraint de plus en plus les physiciens à l’expliquer. Sadi Carnot a été le premier à s’en occuper sérieusement ; mais non par induction. Il étudia la machine à vapeur, l’analysa, trouva qu’en elle le processus fondamental n’apparaît pas à l’état pur, mais qu’il est masqué par toutes sortes de processus secondaires ; il élimina ces circonstances accessoires, indifférentes pour le processus principal, et construisit une machine à vapeur (ou machine à gaz) idéale, qui, à vrai dire, est tout aussi peu réalisable que, par exemple, une ligne ou une surface géométriques, mais qui, à sa manière, remplit le même office que ces abstractions mathématiques : elle représente le processus considéré à l’état pur, indépendant, non altéré. Et il tomba le nez sur l’équivalent mécanique de la chaleur (voir le sens de sa fonction C), qu’il ne pouvait découvrir ni voir, pour la seule raison qu’il croyait à la substance calorique. Voilà aussi la preuve de la nocivité de théories fausses.
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L’observation empirique à elle toute seule ne pourra jamais prouver de façon suffisante la nécessité. Post hoc, mais non propter hoc (Encyclopédie, I, p. 84). Cela est si vrai que, du lever constant du soleil le matin, il ne s’ensuit pas qu’il se lèvera aussi demain, et, en fait, nous savons maintenant qu’un moment viendra où un matin le soleil ne se lèvera pas. Mais la preuve de la nécessité est dans l’activité humaine, dans l’expérience, dans le travail : si je peux produire le post hoc, il devient identique au propter hoc.
Mots-clefs : ❦ activité de l’homme, influence sur la pensée ❦ transformation de la nature par l’homme
p. 233 ⅓Jusqu’ici la science de la nature, et de même la philosophie, ont absolument négligé l’influence de l’activité de l’homme sur sa pensée. Elles ne connaissent d’un côté que la nature, de l’autre que la pensée. Or, c’est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l’intelligence de l’homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature. C’est pourquoi, en soutenant que c’est exclusivement la nature qui agit sur l’homme, que ce sont exclusivement les conditions naturelles qui partout conditionnent son développement historique, la conception naturaliste de l’histoire — telle qu’elle se manifeste plus ou moins chez Draper et d’autres savants — est unilatérale et elle oublie que l’homme aussi réagit sur la nature, la transforme, se crée des conditions nouvelles d’existence. De la « nature » de l’Allemagne à l’époque où les Germains s’y établirent, il reste diablement peu de chose. La surface du sol, le climat, la végétation, la faune, les hommes eux-mêmes ont infiniment changé, et tout cela du fait de l’activité humaine, tandis que les transformations qui dans ce temps se sont produites dans la nature de l’Allemagne sans que l’homme y mette la main sont insignifiantes.