Dominique Meeùs
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Une caricature du marxisme
et à propos de l’ « économisme impérialiste »

Rédigé d’août à octobre 1916. Publié pour la première fois en 1924. Œuvres, tome 23, p. 27‑83.

1. L’attitude marxiste au sujet des guerres et de la « défense de la patrie »

P. 29.

2. « Notre conception de la nouvelle époque »

P. 36.

De fait, pour les grandes nations de l’Europe de l’Ouest, l’époque des luttes nationales, de la formation des États modernes est celle de 1789‑1871. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut plus y avoir de lutte de libération nationale et que seules sont possibles des guerres impérialistes dans la « nouvelle époque » présente. Une « époque » n’est pas une détermination absolue.

En fait, il y a « trois types différents de pays : les pays avancés de l’Europe de l’Ouest (et de l’Amérique), où le mouvement national appartient au passé […] l’Europe de l’Est, où il appartient au présent [… et] les semi-colonies et les colonies où il appartient, dans une large mesure à l’avenir ». (« La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », thèse 6. C’est Lénine qui souligne.)

3. Qu’est-ce que l’analyse économique ?

P. 41.

À propos de « l’impossibilité de réalisation », il ne faut pas mélanger l’économique et le politique. En gros, l’impérialisme c’est, économiquement, le passage de la libre concurrence au monopole et, politiquement, de la démocratie à la réaction (et pas seulement en politique extérieure). L’impérialisme peut conquérir économiquement de nouveaux marchés, sans annexions.

4. L’exemple de la Norvège

P. 50.

Le fait que la séparation soit contraire au développement ne la rend pas économiquement impossible. Politiquement, il faut défendre le droit des nations à la libre disposition.

5. Du « monisme » et du « dualisme »

P. 58.

Dans le couple nation oppressive/nation opprimée, la différence objective de situation, la ligne de masse et l’unité imposent de tenir deux discours différents.

Le développement inégal du capitalisme exclut d’attendre une révolution mondiale simultanée. Il y a convergence de la révolution socialiste dans les pays développés et de la révolution nationale et démocratique dans les pays moins avancés.

6. Les autres questions politiques abordées et dénaturées par P. Kievski

P. 69.

Mots-clefs : ❦ parti ouvrier, doit s’intéresser aux luttes de tous les groupes et classes ❦ programme minimum ❦ réforme réalisable, démocratique, politique, pas économique ❦ violence, contre

p. 69 ⅔Seuls les « économistes » de triste mémoire pensaient que les « mots d’ordre d’un parti ouvrier » étaient proclamés exclusivement à l’intention des ouvriers. Non, ces mots d’ordre sont proclamés pour l’ensemble de la population laborieuse, pour le peuple tout entier. Dans la partie démocratique de notre programme, à l’importance de laquelle P. Kievski n’a « pas du tout » réfléchi, nous nous adressons spécialement au peuple tout entier, et c’est pourquoi nous y parlons du « peuple ».

Prolétariat des pays moins développés. Pour l’unité et le droit à la libre disposition.

Bien entendu, il est infiniment plus probable que même dans les petits États le socialisme ne se réalisera pas sans guerre civile, et c’est pourquoi l’unique programme de la social-démocratie internationale doit être la reconnaissance de cette guerre, bien que dans notre idéal il n’y ait pas de place pour la violence à l’égard des hommes. (P. 75, ½.)

La différence entre les mots d’ordre « niant » ou stigmatisant les tares politiques et ceux relatifs aux tares économiques a complètement échappé à P. Kievski. Cette différence est que certaines tares économiques sont inhérentes au capitalisme en général, quelles que soient les superstructures politiques dont il est coiffé, qu’anéantir ces tares sans anéantir le capitalisme est économiquement impossible et qu’on ne petit citer aucun exemple prouvant le contraire. Par contre, les tares politiques consistent dans des atteintes au démocratisme, qui est parfaitement possible, du point de vue économique, « sur la base du régime existant », c’est-à-dire à l’époque du capitalisme, et qui se réalise sous ce régime, à titre exceptionnel, partiellement dans un État, partiellement dans un autre. (P. 78, ¼.)

Comparaison avec le divorce (p. 78 ½) et autres droits démocratiques. Différence entre un droit démocratique et les conditions de son exercice (p. 79, haut). Utilité de la démocratie et nécessité de lutter pour les droits démocratiques avant la révolution socialiste.

Cette objection atteste l’incompréhension la plus totale du rapport entre la démocratie en général et le capitalisme. Ce qui est habituel en régime capitaliste, non pas en tant que cas isolés, mais en tant que phénomène typique, ce sont des conditions qui rendent impossible aux classes opprimées la « réalisation » de leurs droits démocratiques. Dans la majorité des cas, le droit au divorce demeure irréalisable en régime capitaliste, car le sexe opprimé y est économiquement écrasé, car la femme, en régime capitaliste, demeure, quel que soit le système de démocratie, une « esclave domestique », confinée dans la chambre à coucher, la chambre des enfants, la cuisine. Le droit d’élire « ses » juges populaires, « ses » fonctionnaires, « ses » instituteurs, « ses » jurés, etc., est également dans la majorité des cas irréalisable en régime capitaliste, du fait précisément de l’oppression économique qui pèse sur les ouvriers et les paysans. Même chose pour la république démocratique : notre programme la « proclame », en tant qu’« autocratie du peuple » bien que tous les social-démocrates sachent parfaitement que la république la plus démocratique, en régime capitaliste, ne mène qu’à la corruption des fonctionnaires par la bourgeoisie et à une alliance entre la Bourse et le gouvernement. (P. 79, ¼.)

Mots-clefs : ❦ démocratie, rend la lutte des classes plus claire ❦ divorce ❦ femme, « esclavage domestique » et capitalisme ❦ droit démocratique, sans la lutte pour les — le socialisme est impossible ❦ droit démocratique, lutter pour en démasquer les limites sous le capitalisme ❦ droit démocratique, possibilité de réalisation ❦ démocratie, sans — le socialisme ne peut pas se maintenir ni conduire au communisme ❦ programme maximum ❦ question nationale ❦ libre disposition des nations

Seuls des gens absolument dépourvus de réflexions ou absolument ignorants du marxisme en tirent cette conclusion : ainsi donc, la république ne sert à rien, la liberté du divorce ne sert à rien, la démocratie ne sert à rien, la libre disposition des nations ne sert à rien ! Les marxistes, eux, savent que la démocratie n’élimine pas l’oppression de classe, mais rend seulement la lutte des classes plus claire, plus ample, plus ouverte, plus accusée ; c’est ce qu’il nous faut. p. 80Plus la liberté du divorce est complète, et plus il est évident pour la femme que la source de son « esclavage domestique » est le capitalisme, et non l’absence de droits. Plus le régime est démocratique, et plus il est évident pour les ouvriers que l’origine du mal est le capitalisme, et non l’absence de droits. Plus l’égalité en droit des nations est complète (et elle n’est pas complète sans la liberté de séparation), et plus il est évident pour les ouvriers de la nation opprimée que tout tient au capitalisme, et non à l’absence de droits. Et ainsi de suite. (Pp. 79‑80.)

Toute la « démocratie » consiste dans la proclamation et dans la réalisation de « droits » difficilement réalisables et d’une façon très conditionnelle en régime capitaliste ; mais sans cette proclamation, sans que la lutte pour les droits soit menée immédiatement et sans délai, sans que les masses soient éduquées dans l’espoir d’une telle lutte, le socialisme est impossible. (pp 80‑81.)

En fait, son argumentation [à P. Kievski] se ramène à ceci : la révolution socialiste résoudra tout ! Ou, comme le disent parfois les partisans des conceptions de P. Kievski : en régime capitaliste, la libre disposition est impossible, en régime socialiste, elle est superflue.

C’est là une conception absurde du point de vue théorique, et chauvine du point de vue de la politique pratique. L’adopter, c’est ne rien comprendre à la signification de la démocratie. Le socialisme est impossible sans la démocratie dans les deux sens suivants : (1) le prolétariat ne peut pas accomplir la révolution socialiste s’il ne s’y prépare pas en luttant pour la démocratie ; (2) le socialisme victorieux ne pourra pas maintenir sa victoire et conduire l’humanité vers le dépérissement de l’État sans réaliser complètement la démocratie. C’est pourquoi, lorsqu’on dit : la libre disposition est superflue en régime socialiste, on énonce la même absurdité, on tombe dans la même déplorable confusion que si l’on disait : en régime socialiste, la démocratie est superflue. (P. 81, ¼.)

La révolution économique crée les prémisses indispensables à l’abolition de toutes les formes d’oppression politique. C’est pourquoi précisément il est illogique et erroné d’invoquer la révolution économique alors que la question posée est celle de savoir comment anéantir l’oppression nationale. On ne peut l’anéantir sans révolution économique. C’est incontestable. Mais se contenter de cette affirmation, c’est tomber dans un ridicule et lamentable « économisme » impérialiste. (P. 81, ¾.)

7. Conclusion. Les procédés d’Alexinski

P. 82.

Tout le reste [de P. Kievski] est une espèce de confusion inextricable, truffée de phrases dans le genre de : […] « Ce n’est pas de chartes et de droits qu’il s’agira, ni de la proclamation de la liberté des peuples, mais de l’instauration de rapports véritablement libres, de la destruction de l’esclavage séculaire, de l’abolition de l’oppression sociale en général et de l’oppression nationale en particulier ». (P. 82 ½.)